Une page semble à la veille d’être tournée en Bretagne, gravement affectée depuis 30 ans par une pollution des eaux liée au développement sans frein d’un modèle agricole dont les retombées environnementales se sont révélées catastrophiques. Après avoir longtemps tergiversé, aiguillonné par la menace imminente de lourdes sanctions communautaires, l’Etat semble s’être enfin résolu à faire appliquer des mesures trop longtemps différées. Au-delà d’une action pour l’heure conjoncturelle et limitée, la reconquête de la qualité des eaux ne deviendra effective qu’avec une évolution profonde d’un modèle agricole qui peine encore à accomplir une mue pourtant indispensable. On apprendra le 5 septembre 2007 que la Commission a renoncé à saisir la Cour de justice des communautés européennes des poursuites engagées dans le dossier des nitrates en Bretagne, sous réserve de reprendre les poursuites en 2009 si la France ne respectait pas ses engagements.
Selon les termes d’un décret publié au Journal officiel le 30 aout 2007 pris afin d’assurer l’exécution de l’arrêt C-266/99 de la Cour de justice des Communautés européennes du 8 mars 2001, un train de mesures visant à permettre la mise en conformité de neufs bassins versants bretons en infraction avec la directive européenne datant de janvier 1975 sur la qualité des eaux, sera rendu obligatoire à partir du 1er janvier 2008.
Epilogue d’un interminable feuilleton ?
Après avoir multiplié les mises en demeure, la Commission avait saisi à la fin du mois de juin 2007 la Cour de justice des communautés européennes, en accordant un ultime délai à la France, jusqu’à la fin septembre, pour se mettre en conformité avec la directive limitant à 0,50 mg/l le taux maximal de nitrates admissibles dans l’eau.
Faute d’y parvenir la France encourait une amende de 28 millions d’euros, assortie d’astreintes journalières de 117 882 euros. Le montant global des pénalités aurait donc pu se chiffrer en plusieurs dizaines de millions d’euros.
Aux termes du décret, il va revenir aux préfets des trois départements concernés d’arrêter concrètement ces programmes d’action.
Les captages concernés sont majoritairement situés dans les Côtes d’Armor, comprenant le barrage de l’Arguenon à Pléven, les captages du Bizien à Hengoat, du Gouessant à Saint-Trimoël, de Guindy à Plouguiel, de l’Ic à Binic et de l’Urne à Trégueux. Deux prises d’eau sont également concernées dans le Finistère, celles de l’Aber Vrac’h à Kernilis et de l’Horn à Plouénan, et une en Ille-et-Vilaine, la prise d’eau des Echelles à Montours.
Depuis le printemps dernier les différentes rencontres entre les services de l’Etat et la profession agricole laissaient planer un doute sur l’effectivité des mesures envisagées, d’abord annoncées comme basées sur le « volontariat », ce qui ne trompait personne.
Bruxelles ne s’y est pas laissé prendre et à clairement fait comprendre à Paris que toute nouvelle dérobade entraînerait le prononcé de sanctions.
Ainsi l’entourage du commissaire à l’environnement précisait-il que ce dernier n’entendait cependant pas clore définitivement la procédure et, faute de résultats tangibles, se réservait la possibilité de reprendre en 2009 les poursuites contre la France.
Désormais annoncées comme obligatoires, les mesures envisagées imposent au secteur agricole d’importantes réductions de production et de fertilisation.
Des mesures de soutien, notamment sous forme de pré-retraite proposées aux éleveurs de porcs, et d’aides au désendettement d’un montant de 60 millions d’euros sur 5 ans, sont également prévues…
"Les agriculteurs ont déjà fait beaucoup d’investissements pour l’environnement, a estimé M. Jacques Jaouen, président de la chambre d’agriculture du Finistère. Si on leur demande de repartir sur d’autres voies ou de modifier leur système de production, ils vont partir et le plan sera alors une catastrophe."
Déclaration qui laisse augurer, à l’instar des prises de positions antérieures de l’intéressé, de négociations tendues avec les services de l’Etat.
D’autant plus que le programme d’actions lui-même prend les contours d’une véritable usine à gaz, comme le révèle Gérard Borvon, animateur de l’association S-EAU-S, dans l’analyse publiée par le site de l’association le 31 aout 2007 : « Pour éviter l’amende européenne : le programme d’action prévu contre les nitrates en Bretagne ».
Reste que nombre de signes témoignent qu’un page se tourne bel et bien.
Qu’il s’agisse de la fin du mandat de M. Jacques Chirac, qui a coîncidé, tout un symbole, avec la disparition de M. Alexis Gourvennec, ou, dans un autre registre, comme l’annonçait le quotidien Le Télégramme dans son édition du 31 aout 2007 de la fin d’un interminable contentieux qui opposait depuis 2001 le préfet du Finistère à la FDSEA et au CJDA quant à l’application de la directive nitrates.
Le préfet du Finistère avait en effet pris en juillet 2001 un arrêté imposant la mise en œuvre d’un certain nombre de mesures destinées à lutter contre la pollution par les nitrates d’origine agricole.
Les organisations syndicales avaient saisi en octobre 2001 le Tribunal administratif, lui demandant d’annuler l’arrêté, au motif que celui-ci constituait « une rupture d’égalité de traitement devant les charges publiques pour les éleveurs de porcs, dès lors que les éleveurs d’autres types d’animaux, notamment de bovins et de volailles, ne subiraient pas des contraintes identiques pour la création ou l’extension de leurs exploitations ou leurs épandages d’effluents ».
Dans un premier temps le juge administratif avait annulé l’arrêté du préfet, considérant que « la liste des zones d’excédent structurel du Finistère a été dressée par un arrêté du 30 novembre 1994 et qu’il n’est pas établi que cette liste a été réexaminée dans une période de quatre années avant la publication » de l’arrêté contesté de juillet 2001. Ainsi, « l’ensemble des prescriptions de la partie II de l’arrêté est entaché d’illégalité ».
Le ministère de l’Écologie ayant interjeté appel de ce jugement, la Cour administrative d’appel de Nantes vient de lui donner gain de cause. Elle estime que « ces dispositions ne sauraient avoir pour effet, contrairement à ce que soutiennent la FDSEA et le CDJA du Finistère, de porter atteinte au droit de propriété, à la liberté d’entreprendre ou à la liberté de contracter. »
Michel Barnier optimiste
Interrogé par RMC le mardi 5 septembre 2007, Michel Barnier s’est voulu rassurant : « Je pense que la Commission est sur le point de décider la semaine prochaine de différer cette saisine de la Cour de justice européenne ». La France risque une amende de 28 millions d’euros pour non respect d’une directive sur les nitrates datant de 1975. Elle a récemment proposé à la Commission un plan visant à réduire la pollution qui affecte 9 bassins versants bretons. Selon lui, les commissaires européens chargés de l’environnement et de l’agriculture proposeront le sursis « la semaine prochaine ». Il s’est estimé satisfait de cette décision qui permettra « d’engager le plan (...) présenté avec son confrère de l’écologie Jean-Louis Borloo aux agriculteurs locaux et qui leur demande beaucoup d’efforts » et a évoqué une « confiance » restaurée avec la Commission européenne.
La Commission renonce à saisir la Cour de justice européenne
Quelques heures plus tard un communiqué du ministère de l’Agriculture annonçait que le commissaire européen à l’Environnement, M. Stavros Dimas allait demander de ne pas transmettre la saisine de la Cour de justice européenne sur le dossier nitrates français. M. Dimas a communiqué sa décision mercredi matin au ministre de l’Agriculture, Michel Barnier, lors d’un entretien téléphonique, précisait le ministère. Décision qui devait être entérinée officiellement le 12 septembre 2007 par le collège présidé par M. Jose Manuel Barroso.
Le dossier de l’eau en Bretagne :
Le site d’Eau et rivières de Bretagne
Sur le conflit en cours,les communiqués de presse de 2007
L’association S-Eau-S
Alerte rouge sur le porc en Bretagne
Le principe « pollué-payeur » : une caricature en Loire-Bretagne
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