Gérard Police est agrégé de portugais et maître de conférences à l’Université des Antilles et de la Guyane. Auteur sur le site Blada.com des « Chroniques atypiques de la Guyane française », il vient d’y publier le 8 mai 2009 « Séquestrer la coopération », un texte dans lequel il dénonce les orientations actuelles de la coopération franco-brésilienne qui, sur fond d’importants contrats militaires, vont contribuer à perpétuer le véritable massacre de l’environnement à l’œuvre en Guyane depuis des décennies. Un texte salutaire quand la Guyane, comme l’ensemble des DOM-TOM connaît un regain de mobilisation.
« Entendre, lire, voir mois après mois, année après année, que l’intérieur de la Guyane est saccagé par l’orpaillage clandestin ; savoir ce que tout le monde sait, qu’existe une capacité militaire de rendre la vie tellement invivable aux garimpeiros et associés que leur activité cesserait d’être rentable et s’arrêterait ; s’extasier devant un futur pont dont la construction va surtout apporter du travail et de l’or aux maquerelles et proxénètes d’Oiapoque pour fournir en chair fraîche la main-d’*uvre masculine et affamée ; être bercé par le ronronnement de l’Année de la France au Brésil ; continuer à dépenser l’argent public en voyages-coopération-bling-bling*
« Toutes ces tranches de vie régionale sont imbriquées. Quel rapport ? Le rapport, c’est qu’on massacre impunément ce pays parce que nous sommes obnubilés par les chiffons rouges qu’on agite devant nos cornes pour détourner l’attention. Et que si nous le voulions les derniers orpailleurs clandestins seraient aujourd’hui en train de chasser les mygales à la main pour se nourrir. (Mais surtout que personne ne se mette à fantasmer des plans fascistoïdes pour « nettoyer notre terre sacrée de ces étrangers qui* etc ». Si vous aviez cru que*, cliquez sur autre chose, ce n’est pas pour vous.)
« Soyons bons citoyens disent-ils, participons, donnons notre avis, envoyons des courriers pleins de bon sens et d’espoir. Mais comme nous savons aussi que nos écrits patiemment tapés passeront au mixer d’un rapport final aseptisé, à quoi bon* ? Essayons autre chose alors*
Depuis que la machine française a des ratés, une spécialité nationale étonne l’étranger : la séquestration de patrons, dirigeants, cadres. La révolte du désespoir quand il n’y a rien d’autre, en face de votre désarroi, qu’un cravaté qui a pianoté la voie de garage de votre destin sur son ordinateur.
« Mais séquestrer quoi quand c’est tout qui se grippe ? Les usagers-otages ont déjà donné, merci. Pourtant, au moins pour ce qui est du désastre de l’or clandestin, la solution existe : nous allons séquestrer la coopération avec le Brésil.
« Le Brésil fait avancer ses pions de notre côté. Il n’y a rien à redire à cela. C’est de bonne guerre. Chacun tente de faire avancer ses pions sur l’échiquier. Il faut être fair-play. Certains sont meilleurs que d’autres. Nous sommes mauvais, ce n’est pas la faute de notre voisin. Médaille et respect pour le Brésil. Le futur port de la Guyane sera Santana, à côté de Macapá, sur les berges de l’Amazone. Nous sommes apparemment les seuls à nous en étonner, tout le monde le sait là-bas. Une noria de camions porte-conteneurs assurera le trafic de toutes sortes de marchandises sur 800 km de route, pour le plus grand bonheur des consommateurs de Guyane. Même les morceaux des fusées arriveront de cette façon. (Dommage que certains lecteurs croient à des plaisanteries : c’est décrit avec précision dans des études extrêmement sérieuses et compétentes.)
« Il restait un dernier verrou sur l’axe de développement nord-amazonien-caraïbe : la colonie française comme dit tout le monde sur le sous-continent sud-américain (il n’y a que les Français qui n’entendent pas). Le verrou-Guyane va enfin sauter et la route Transguyanaise faire couler des richesses devant nos portes. Ce ne fut pas facile, la France a fait traîner, mais entre le bâton de l’accusation colonialiste et la carotte des contrats d’armement du siècle, on est arrivé à un accord pleinement satisfaisant pour les deux parties. Le lubrifiant pour tous ces engrenages complexes s’appelle « coopération ». C’est un système d’échanges ritualisés attestant que tout va bien et qu’on est en paix. Dans les sociétés dites traditionnelles, on fait cela sérieusement, on y croit, on respecte. Dans les sociétés moins avancées comme la nôtre, on ne touche pas aux problèmes de fond ; on les dissimule sous d’épaisses couches d’euros. La coopération transfrontalière est le lubrifiant qui rend possible la fausse intégration d’un territoire-délégation régionale des fonds européens dans un ensemble régional assoiffé de monnaie forte. C’est le traitement anti-rejet contre l’enclave européenne. Tout le monde (sauf les Français) sait que le distributeur automatique de phynances ne pourra jamais être aimé, ni même respecté de ses voisins, sauf s’il devient indépendant. Mais ce n’est pas notre sujet.
« En attendant, séquestrons la coopération. Comme les femmes depuis l’antiquité quand elles veulent se faire entendre, faisons la grève (non pas du sexe) mais des échanges régionaux.
Le scénario est roboratif :
* « Allo Paris, ici Brasilia. C’est quoi cette histoire, vos Guyanais ne veulent plus coopérer ? Et nos contrats ? »
* « Brasilia, ici Paris. Nous avons négocié. Ils exigent qu’on arrête de bousiller leur territoire. On va être obligé d’envoyer l’armée, la vraie. Dites à vos garimpeiros de déguerpir. D’urgence. »
* « Paris, ici Brasilia. Bien reçu. Nous avons envoyé deux divisions aéroportées sur l’Oiapoque et les Tumucumaques. Périmètre vidé et clean. Reprenez la coopération SVP. »
* « Brasilia, ici Paris. Il y a un problème, ils ne veulent pas du pont non plus. Qu’est-ce qu’on fait ? »
* « Paris, ici Brasilia. OK, on lâche le pont, mais en échange vous nous livrez un sous-marin nucléaire. Gratos. Top secret. »
* « Brasilia, ici Paris. OK pour le sous-marin, mais c’est pas du neuf. Et la Guyane, vous ne voudriez pas annexer ? On garde le spatial* »
* « Paris, ici Brasília. Deux sous-marins, un porte-avion, trente Rafale. Neufs. Et un abonnement-cadeau de vingt ans à Ariane. Et un Airbus A380 aménagement présidentiel pour les frais de dossier. »
Sources :
Les Chroniques atypiques de la Guyane française, 8 mai 2009
Sur Blada.com
par Gérard Police, Agrégé de portugais et maître de conférences à l’Université des Antilles et de la Guyane
gerard.police@blada.com
Lire aussi :
Guyane, les ravages de l’orpaillage
Libération, 11 mai 2009.
– "Guyane française, l’or de la honte". Axel May. Calmann-Lévy. 2007.
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