Le désormais célèbre arrêt du Conseil d’état dit « Commune d’Olivet » a provoqué quatre mouvements antagoniques, dont les effets jouent pour l’heure de manière écrasante en faveur des grandes entreprises privées du secteur, qui se sont très vite organisées, avec force lobbying à l’appui, hélas couronné de succès, pour en prévenir les possibles effets dévastateurs, à savoir la fin par anticipation de plus de 350 contrats de DSP d’eau et d’assainissement sur le territoire français.
Quatre mouvements :
– Les tenants de la gestion publique y ont vu, à tort, une assurance de pouvoir mettre un terme (d’un coup de baguette magique...), à des contrats, ce qui aurait pu faciliter un retour en gestion publique.
– Les spécialistes du droit et cabinets d’avocats y ont trouvé matière à générer un surcroît d’activité.
– La puissance publique a soutenu aveuglément le lobbying des grandes entreprises, jusqu’à promulguer, via Bercy, des instructions faisant le lit de Veolia, Suez et SAUR.
– Ces dernières, enfin, en ont profité, s’appuyant sur les directives de Bercy, pour, prenant des libertés coupables avec le droit, éviter tout accident fâcheux et pérenniser des contrats qui avaient pu sembler menacés.
Eclatante illustration de l’emprise tentaculaire des Trois Sœurs, comme de la faiblesse des tenants de la gestion publique, puisqu’à ce jour la « jurisprudence Commune d’Olivet » n’a jamais trouvé à s’appliquer comme l’espéraient les tenants de « l’eau bien commun ».
Une nouvelle publication d’un article de doctrine dans la revue « Contrats et Marchés publics n° 5, Mai 2013 » en atteste à l’envi.
Intitulé « Le sort des délégations de service public conclues dans les domaines de l’eau, de l’assainissement et des déchets après le 3 février 2015 », cet article publié sous la direction de Stéphane Braconnier, professeur à l’université Paris II (Panthéon-Assas) directeur du JurisClasseur Contrats et marchés publics, signé par Nicolas Dourlens et Roland de Moustier, avocats au barreau de Paris, cabinet Frêche & Associés, témoigne s’il en était besoin que les aspirations à un regain de gestion publique ne peuvent faire l’économie d’un questionnement de fond sur les moyens à mobiliser pour y parvenir, qui excèdent très largement au cas d’espèce les seules catégories de l’agit-prop, régulièrement mobilisées à cet effet dans l’espace public…
1. CONTEXTE
« Trois ans se sont écoulés depuis l’arrêt d’Assemblée Commune d’Olivet du 8 avril 2009 (CE, ass., 8 avr. 2009, n° 271737, n° 271782, Contrats-Marchés publ. 2009, comm. 164, note G. Eckert) sans que les nombreuses questions que sa mise en oeuvre suscite aient toutes été levées, faute, à notre connaissance, de décisions rendues à ce jour par les juges du fond sur le processus de confirmation.
Alors que moins de deux ans restent à courir jusqu’à l’échéance du 3 février 2015, il paraît utile de rappeler ce qu’implique l’arrêt Commune d’Olivet, ce qu’il n’implique pas et ce que les parties peuvent (ou doivent) faire à l’approche de cette échéance.
2. COMMENTAIRES
A. - Ce que l’arrêt Commune d’Olivet a jugé
L’arrêt d’Assemblée Commune d’Olivet a posé le principe que les conventions de délégation de service public conclues antérieurement au 3 février 1995, dans les domaines de l’eau, de l’assainissement et des déchets ménagers, et dont la durée résiduelle à cette date était supérieure à vingt ans, « ne peuvent plus être régulièrement mises en oeuvre » au-delà du 3 février 2015 « sauf justifications particulières préalablement soumises à l’examen de trésorier-payeur général [aujourd’hui directeur départemental des finances publiques] ».
La doctrine en a rapidement déduit qu’un contrat entrant dans ses prévisions prendrait fin à cette date par « caducité », c’est-à-dire cesserait de produire ses effets et de lier les parties, et ce de plein droit et sans indemnité pour le cocontractant, sauf à ce qu’il soit identifié des « justifications particulières » permettant de dépasser cette échéance.
B. - Ce que l’arrêt Commune d’Olivet n’implique pas : la caducité « sèche »
D’emblée, il faut garder à l’esprit que l’arrêt Commune d’Olivet ne peut pas être compris comme impliquant la caducité « sèche » du contrat, qui prendrait donc fin sans alternative possible à la date du 3 février 2015.
En faisant référence à des « justifications particulières préalablement soumises à l’examen de trésorier-payeur général », le Conseil d’État a très explicitement admis que l’échéance du 3 février 2015 pouvait être dépassée, et le contrat poursuivi jusqu’à son terme initialement convenu (V. également en ce sens, F. Pellerin et L. Olléon, Caducité des délégations de service public dans les secteurs de l’eau, de l’assainissement et des déchets : comment aborder l’échéance de 2015 ? : BJCL 2009, p. 1747).
C. - Ce que l’arrêt Commune d’Olivet implique
1° Identifier les contrats
L’arrêt Commune d’Olivet implique tout d’abord de déterminer au cas par cas si tel ou tel contrat relève ou non de son champ d’application puisque seuls sont concernés les contrats qui tout à la fois :
– sont des délégations de service public,
– ont été conclus dans « le domaine de l’eau potable, de l’assainissement, des ordures ménagères et autres déchets »,
– et présentaient, telle qu’appréciée à la date du 3 février 1995, une durée résiduelle d’exécution alors supérieure à 20 ans.
Or, autant les deux dernières conditions ne devraient pas poser de difficulté, autant la première pourrait être moins évidente dans certaines circonstances, à raison :
– d’une qualification en délégation de service public qui ne va toujours pas de soi : ainsi de certaines conventions « innommées » ou de certains METP qui ont été conclus à la fin des années 80 et au début des années 90, pour des durées courant au-delà de 2015, portant par exemple sur le financement, la construction et l’exploitation d’installations de traitement des déchets et qui, d’un point de vue économique, s’avèrent parfois proches des délégations de service public à paiement public conclues de façon plus contemporaine ;
– et/ou de ce qu’ils ont été conclus par une société d’économie mixte, dont il n’est pas toujours évident qu’elle ait agi pour le compte d’une collectivité territoriale, au risque alors que le contrat ne soit pas une délégation de service public.
Mais hormis ces hypothèses, peu courantes au demeurant, l’identification des contrats relevant du champ d’application de l’arrêt Commune d’Olivet ne devrait pas poser de difficultés majeures.
2° Engager (ou non) le processus de confirmation de la durée
Une fois tel ou tel contrat identifié comme entrant dans le champ d’application de l’arrêt Commune d’Olivet, le processus de confirmation de la durée a vocation à être engagé.
À cet égard, l’arrêt Commune d’Olivet donne pour seule indication que des « justifications particulières » doivent être soumises au « trésorier-payeur général » (devenu DDFIP), sans préciser ni la nature desdites justifications, ni les conditions de la saisine du DDFIP.
La première question que l’on peut se poser est celle du sort des « contrats Olivet » dans l’hypothèse où l’autorité délégante ne prendrait aucune décision expresse relative à la confirmation ou non de la durée initialement prévue (que le DDFIP ait été ou non saisi de « justifications particulières »).
Dans ce cas, qui devrait rester théorique, il semble qu’il existe une sorte de « présomption de caducité » qui conduit à considérer que les stipulations du contrat de délégation de service public ne seront plus applicables à compter du 3 février 2015.
Une deuxième question qui se pose est celle de savoir qui peut engager le processus de saisine du DDFIP : celui-ci peut-il être saisi uniquement par l’autorité délégante ou peut-il également s’autosaisir, éventuellement à la demande du délégataire ?
Dans son avis du 20 février 1996 sur la prolongation par avenant de la durée d’une délégation de service public dans le domaine de l’eau, de l’assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, le Conseil d’État avait considéré qu’une prolongation par avenant conduisant à une durée globale supérieure à 20 ans devait être précédée de la saisine du DDFIP (alors TPG) « dans les conditions fixées par l’article 75 de la loi du 2 février 1995 », c’est-à-dire concrètement « à l’initiative de l’autorité délégante ».
Bien que l’arrêt Commune d’Olivet ne l’ait pas précisé expressément, il faut considérer à l’identique que seule l’autorité délégante peut saisir le DDFIP, ne serait-ce que parce que l’arrêt se fonde expressément sur l’article 75 de la loi du 3 février 1995.
Enfin, une troisième question se pose s’agissant des « justifications particulières » susceptibles de permettre une confirmation de la durée de la délégation de service public. Celles-ci devraient pouvoir s’entendre de manière relativement large et ne pas se limiter à la seule question de l’amortissement des investissements réalisés par le délégataire.
Même si le rapporteur public n’avait évoqué que la nature du service délégué et la durée d’amortissement, c’est bien l’économie générale du contrat qui doit être prise en compte et donc, comme l’a considéré le Conseil d’État, toutes « justifications particulières » permettant de confirmer la durée initiale.
La notion de « justifications particulières » renvoie essentiellement à des spécificités qui tiennent au contrat lui-même. Mais dès lors qu’elles sont bien spécifiques au contrat en question, toute justification, tout élément permettant de justifier la durée du contrat devrait pouvoir être pris en compte : l’article L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales indique d’ailleurs que la durée maximale de vingt ans peut être dépassée non seulement en raison de la « durée normale d’amortissement des installations », mais également en raison des « prestations demandées au délégataire ».
Or, la notion de prestation ne doit pas se limiter aux prestations « matérielles » mises à la charge du délégataire ; elle doit s’entendre à notre sens de manière large et permettre la prise en compte des « charges » que le contrat fait peser sur le délégataire : en ce sens, ces « prestations » peuvent donc correspondre, par exemple, à la reprise d’annuités d’emprunt par le délégataire ou au paiement de droit d’entrée dont il a généralement été tenu compte pour fixer la durée initiale de la convention et dont les parties peuvent donc tenir compte pour décider de confirmer cette durée.
La doctrine plaide d’ailleurs généralement pour une acception relativement large des justifications permettant de confirmer la durée d’une délégation en considérant qu’elle ne doit pas se limiter à la seule question des amortissements des investissements (V. par ex. L. Richer, La caducité des concessions en 2015 est-elle inévitable ? : Le Moniteur, 31 juill. 2009, p. 36 ; ainsi que S. Nicinski, art. préc.).
3° Responsabilités associées
Encore inédite à notre connaissance en jurisprudence, la situation du délégataire qui doit faire face au refus (exprès ou implicite) de l’autorité délégante d’engager le processus de confirmation (et a fortiori de l’achever), alors qu’il existe selon lui des « justifications particulières » qui l’aurait permis, est nécessairement délicate.
On peut d’emblée se demander si ce refus pourrait faire l’objet d’une annulation sur le fondement de la jurisprudence Béziers II (CE, sect., 21 mars 2011, n° 304806, Cne Béziers : JurisData n° 2011-004285) puisqu’en dépit de l’avancée, pour les droits du cocontractant, que représente cette décision, elle reste limitée à ce jour à la contestation de la seule décision de résiliation (il doit toutefois être signalé un jugement récent du tribunal administratif de Lille Société Eaux du Nord du 20 février 2013 [n° 1005463] qui a admis que le cocontractant de l’Administration « peut, eu égard à la portée d’une telle mesure d’exécution, former un recours de pleine juridiction contestant la validité de la modification unilatérale de ce contrat et tendant au rétablissement de l’état antérieur du contrat »).
En revanche, le cocontractant de l’Administration pourra certainement rechercher la responsabilité contractuelle de l’autorité délégante à raison du refus de confirmer la durée de la délégation de service public alors qu’il existait, selon le délégataire, des « justifications particulières » le permettant.
Sur le principe, l’engagement de cette responsabilité est largement admis en doctrine, et l’instruction du 7 décembre 2010 précitée reconnaît également que « l’attention de la collectivité doit être appelée sur le fait que le refus de confirmer la durée contractuelle, alors que cela correspondrait à des justifications particulières, pourrait exposer cette dernière à un contentieux indemnitaire ».
Mais quelle serait l’assiette de cette indemnité ? Y entreraient à tout le moins les sommes correspondant aux « justifications particulières » identifiées par le délégataire, et qui auraient dû être soumises au DDFIP.
Mais qu’en irait-il du gain manqué, que le délégataire aurait réalisé si le contrat s’était poursuivi jusqu’à son terme normal, au-delà du 3 février 2015 ? Si l’on admet que la responsabilité de l’autorité délégante est engagée à raison d’une caducité qu’elle a laissée survenir à tort, il faut alors admettre que le délégataire doit être relevé indemne de son entier préjudice, en ce compris donc le gain manqué.
3. RECOMMANDATIONS
À moins de deux ans de l’échéance du 3 février 2015, on peut formuler les trois principales recommandations suivantes :
– La première est que, au-delà des aspects procéduraux (qui saisit le DDFIP, qui décide in fine de la confirmation ou non de la délégation, sur le fondement de quelles pièces, etc.), les parties ont tout intérêt à se rencontrer très en amont pour déterminer le sort du contrat au-delà de cette date ;
– La seconde est que, dans l’hypothèse où il serait considéré que la poursuite du contrat est possible, le dossier soumis à l’examen du DDFIP doit être établi avec le plus grand soin, afin de limiter les risques de recours des tiers ou du contrôle de légalité ;
– La troisième est que, dans l’hypothèse où il serait considéré que le contrat cessera par caducité à la date du 3 février 2015, les parties devront organiser les modalités de fin du contrat en se fondant sur les clauses de gestion de la fin normale ou anticipée qui figurent souvent dans les conventions elles-mêmes (inventaire et sort des biens, constat des éventuels travaux de remise en état, éventuelles mesures de transition, etc.).
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Lire aussi :
Localtis, 17 mai 2013.