Dans le contexte de mobilisation sur la gestion de l’eau qui monte en puissance à l’approche des municipales, un arrêt que vient de rendre le Conseil d’Etat le 4 février 2008 revêt une importance considérable. Il vient à nouveau de donner raison au Conseil général des Landes, dirigé par M. Henri Emmanuelli, qui a décidé depuis 1995 d’accorder des subventions bonifiées aux collectivités qui choisissent la gestion publique en régie. Depuis cette date Veolia, Suez et Saur ont engagé une véritable guerilla juridique pour mettre un terme à cette « énormité ». Le Conseil d’Etat vient donc à nouveau de statuer en faveur du Conseil général des Landes. Ce qui crée une situation inédite, puisque les entreprises avaient par ailleurs réussi à faire prohiber l’action portée par M. Henri Emmanuelli, par le biais d’un amendement scélérat à la loi sur l’eau du 30 décembre 2006 !
Au début des années 90, le Conseil général des Landes, présidé par M. Henri Emmanuelli, député (PS), développe une politique de l’eau ambitieuse. On oublie trop souvent que les Départements investissent chaque année plus de 700 millions d’euros, notamment pour soutenir les communes rurales dépourvues de moyens.
Sécurisation de la ressource, promotion de pratiques culturales respectueuses de l’environnement, en lien avec la profession agricole, et bonification des subventions accordées par le Conseil général, à destination des collectivités qui optent pour la gestion en régie de l’eau et de l’assainissement, ce qui concerne notamment les petites communes rurales du département.
Insupportable pour la Générale des eaux, la Lyonnaise des eaux et la Saur qui attaquent en 1995 devant la justice administrative les délibérations du Conseil général des Landes qui prévoient ces bonifications accordées à la gestion en régie. En fait les bonifications n’excédaient pas 10%, et le Conseil général continuait par ailleurs à subventionner les collectivités qui avaient opté pour la délégation à une entreprise privée.
Ce n’est pas le montant des sommes en jeu qui ont fait sortir de leurs gonds les entreprises, mais le principe même de la bonification accordée à la gestion en régie par une collectivité comme un Conseil général : violation de la concurrence ! Libre et non faussée comme chacun sait. Il fallait donc faire rendre gorge à Henri Emmanuelli.
Manque de bol pour nos amis du cartel, au terme d’une bagarre juridique homérique, le Conseil d’Etat, rend en séance plénière le 12 décembre 2003, un arrêt qui donne raison sans aucune ambiguïté au Conseil général des Landes, à la grande fureur des entreprises.
Qui va contre attaquer dès 2005. Comment ? Un sénateur (UMP) auvergnat, M. André Jarlier, dépose fort opportunément en avril 2005 un amendement (alinéa 5), à l’article 26 de la loi sur l’eau (LEMA), qui commence ses navettes entre l’Assemblée et le Sénat, amendement qui prohibe bien évidemment nos fameuses bonifications, pourtant validées par le Conseil d’Etat en 2003, nous l’avons vu.
L’amendement scélérat va être adopté en séance nocturne à l’Assemblée au début du mois de décembre 2006. Henri Emmanuelli avait réussi à obtenir que PS, PC et Verts se mobilisent afin de contraindre le gouvernement et l’Assemblée, conformément au règlement de cette dernière, à procéder à un vote qui verra finalement l’amendement scandaleux adopté par la majorité de droite, à la fureur d’Henri Emmanuelli, qui prédit en séance publique à Mme Nelly Olllin, alors ministre de l’Ecologie, que son nom demeurerait entâché par cette infamie.
Ne désarmant pas, le CG des Landes adopte de nouvelles délibérations dès le 23 mars 2007, toujours au même principe.
Ces délibérations réservent des aides départementales susceptibles d’être accordées aux communes rurales et à leurs groupements pour la réalisation d’études et de travaux en matière d’alimentation en eau potable et d’assainissement aux communes et groupements gérant leurs services d’eau et d’assainissement en régie.
Immédiatement le syndicat patronal du cartel, la Fédération des entreprises de l’eau (FP2E), saisit à nouveau la justice administrative en référé, ce n’est jamais que la quatrième fois.
Le 3 aout 2007, le juge des référés suspend l’exécution des délibérations…
Le Conseil général porte l’affaire en appel par devant le Conseil d’Etat.
Celui-ci, dans son arrêt rendu le 4 février 2008, vient donc de balayer à nouveau l’allégation selon laquelle des aides départementales aux études en matière de gestion de l’eau portent atteinte aux intérêts d’entreprises délégataires.
Cette affirmation devrait, selon la Conseil être étayée plus sérieusement que ne l’a fait jusqu’ici le cartel..
Le Département des Landes demandait donc au Conseil d’Etat d’annuler l’ordonnance du 3 aout 2007 par laquelle le juge des référés avait suspendu l’exécution des délibérations du Conseil général du 23 mars 2007 réservant des aides aux communes rurales et à leurs groupements pour la réalisation d’études et des travaux en matière d’alimentation en eau potable et d’assainissement.
Pour la FP2E, l’existence même de ces délibérations a conduit plusieurs collectivités à résilier des conventions de délégations de service public ou à envisager de le faire.
Selon le Conseil d’Etat, le juge des référés s’est fondé sur les allégations de la fédération professionnelle requérante relatives aux risques qui feraient courir à ses adhérentes ces délibérations et sur une liste de collectivités, produite par la fédération, qui auraient résilié une DSP, « ou qui avaient envisagé de le faire. »
Le Conseil d’Etat annule l’ordonnance : aucun élément ne permet de corroborer ces allégations, ni d’établir la réalité de mutations de DSP à des régies, pas plus que la preuve d’un lien de cause à effet entre ces mutations et les délibérations attaquées.
Conseil d’Etat, 4 février 2008, requête n° 308667.
Le dossier des municipales :
Les mobilisations pour l’eau dans plusieurs dizaines de villes françaises
Quelles sont les conséquences que l’on peut envisager à la suite d’une telle décision ?