Dans son dernier film Robert Guediguian clôt l’épopée de l’Estaque, de la classe ouvrière, des lendemains qui chantent, par la violence sans appel de la trahison de classe, sans même parvenir à nous convaincre qu’en dépit de tout, les jours heureux ne se sont pas définitivement effacés de l’horizon. Impitoyable métaphore qui éclaire d’un jour cru la catastrophe annoncée de « Marseille 2012 »…
Les Neiges du Kilimandjaro Bande-annonce par toutlecine
Il s’agissait, souvenons-nous en, pour toute la génération qui a engagé une guerre de civilisation à l’aube des années 90, aux fins de conduire à bonne fin le procès de la marchandisation de l’eau, de conclure un cycle par une apothéose : à Marseille en 2012, l’eau deviendrait, sans appel, une « marchandise ».
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis ce vote un après-midi, à Madrid, où les barons de l’eau pouvaient songer, enfin, à élire leurs successeurs.
Entre Pagnol et le Parrain, disions-nous. Nous y sommes.
Les « géants » de l’eau français, tétanisés, poursuivent, impuissants, leur descente aux enfers.
A ce jour Veolia et Suez, à la bourse, sont des « junk bonds »…
Du coup le scénario tout entier vole en éclats.
Annoncé comme l’événement majeur qui allait révolutionner à jamais la question de l’eau, l’affaire tourne au désastre.
Ses protagonistes se déchirent, de l’Elysée à la mairie de Marseille.
Une nuit des longs couteaux sur le Vieux-Port, farce non ?
D’abord la faillite guette. L’affaire engageait à ce que soient mobilisés 38 millions d’euros. Dont 16 par les « acteurs privés », qui, par ces temps de crise, n’ont pas lâché un kopeck.
D’où déficit, d’où crise à l’Elysée, où M. Christian Frémont, dircab, et ex-Préfet de Région PACA, multiplie les remontrances. Sans succès.
L’affaire est si mal engagée que l’Agence de l’eau Seine-Normandie qui, comme les autres Agences de l’eau françaises, a été priée de verser son écôt en puisant dans sa trésorerie alimentée par les factures d’eau de 65 millions de Français, a même consenti, vu la gravité de la situation à « prêter » jusqu’à fin 2012 deux millions d’euros au GIP constitué pour la farce.
Une farce en effet : on détourne l’agent des usagers de l’eau pour financer les « Oscars » des multinationales qui les rançonnent déjà jusqu’à plus soif. On aimerait d’ailleurs savoir quelle est la justification légale de ce « prêt », qui ne semble pas entrer dans les missions des Agences de l’eau…
Et comme cela ne suffit pas, Pagnolade oblige, on revient donc au Vieux-Port.
Et l’on y apprend, stupéfait, que la mairie de Marseille vient très obligeamment de remettre au pot, puisque Veolia, Suez et consorts s’y refusent obstinément.
A dire vrai rien de nouveau sous le soleil (de l’Estaque), mais l’affaire vaut néanmoins d’être relatée.
Marseille : 5 millions, rouge, impair et passe…
« Par délibération n°09/0991/DEVD du 5 octobre 2009, le Conseil Municipal approuvait la convention cadre entre l’Etat, le Conseil Mondial de l’Eau et la Ville de Marseille, en vue de l’organisation du 6ème Forum Mondial de l’Eau à Marseille en mars 2012.
Cette délibération annonçait, dans son exposé, le budget prévisionnel du Forum d’un montant de 38 millions d’Euros et sa répartition entre l’Etat (9 millions d’Euros), le secteur privé (19 millions d’Euros) et les collectivités territoriales (10 millions d’Euros dont 4 millions d’Euros pour la Ville de Marseille).
Compte tenu des incertitudes conjoncturelles sur le montant des contributions des entreprises privées au budget du Forum, le Conseil d’Administration du Groupement d’Intérêt Public (G.I.P.) dénommé « Comité International du Forum Mondial de l’Eau », a approuvé le 24 août 2011 un budget prévisionnel revu à la baisse. Il s’élève désormais à 29 millions d’Euros de dépenses directes pour une recette totale acquise à ce jour de 24,627 millions d’Euros.
Des recettes complémentaires doivent donc être trouvées par le GIP pour un montant de 4,373 millions d’Euros.
La Ville de Marseille souhaite y contribuer à hauteur de 1 million d’Euros, élevant ainsi sa contribution totale à 5 millions d’Euros.
Telles sont les raisons qui nous incitent à proposer au Conseil Municipal de prendre la délibération ci après :
LE CONSEIL MUNICIPAL DE MARSEILLE VU LE CODE GENERAL DES COLLECTIVITES TERRITORIALES
VU LA DELIBERATION N°09/0991/DEVD DU 5 OCTOBRE 2009
OUÏ LE RAPPORT CI-DESSUS
DELIBERE
ARTICLE 1 Est approuvée l’augmentation de la part de la Ville de Marseille de 1 million d’Euros, élevant ainsi sa contribution totale à 5 millions d’Euros.
ARTICLE 2 Les dépenses relatives à cette opération seront imputées sur les crédits de l’exercice 2011.
ARTICLE 3 Monsieur le Maire ou son représentant est autorisé à accomplir et à signer tous documents. »
La descente aux enfers
Dans une singulière Tribune, publiée dans le quotidien le Monde le 26 novembre 2011, deux élu(e)s Europe-Ecologie de la riante cité phocéenne appellent les citoyens à se mobiliser pour nettoyer les écuries d’Augias.
Là ce n’est plus Pagnol, c’est Gomorra.
Le « Grand bond en avant » de la Marseillaise
Le supplément économique "Énergies Sud" daté du mercredi 23 novembre du quotidien local « la Marseillaise », miraculeux rescapé des grandes heures du communisme municipal, consacre un copieux dossier au 6ème Forum mondial de l’eau, qui se tiendra à Marseille du 12 au 17 mars 2012.
Un sommaire aguichant : le forum « marchand » sous tous les angles, pseudo interviews et publireportages louangeurs, agrémentés des encarts publicitaires de rigueur (Société des eaux de Marseille, EDF...)
– Le FME des solutions et des engagements !
Interviews de M. Loïc Fauchon, président de la Société des eaux de Marseille, et Président du Conseil mondial de l’eau qui organise le Forum, de Mme Martine Vassal, adjointe de M. Gaudin en charge de l’eau, de M. Vauzelle, président du Conseil régional PACA, d’ERDF... du Président du Conseil général des Bouches-du-Rhône…
Des béotiens s’étonneront.
Le PCF, le Front de gauche, le Parti de gauche, Messieurs Vauzelle et Guérini, et on en passe, soutiennent haut et fort le « Forum alternatif » supposé pourfendre à la même période les forces du mal !
Des béotiens, vraiment. Cette (apparente) contradiction doit en réalité s’analyser, dialectiquement, comme le premier grand bond en avant vers le GRAND service public national de l’eau cher à Fabien canal historique et à la CGT-Veolia...
Les ferries de Veolia
A preuve, observons par exemple une autre ruse de l’histoire qui a elle aussi été surmontée sous l’effet d’un brillant retournement dialectique.
Personne ne sait où il va être possible de faire dormir les 20 000 congressistes attendus à la grand messe officielle, on ne va tout de même pas réquisitionner des tours dans les quartiers Nord !
Miracle, la SNCM dispose de ferries dont des mauvaises langues soutiennent contre toute évidence que ses personnels agrémentent la traversée jusqu’en Corse en employant leurs 42 jours de travail annuel à revendre au prix fort aux touristes imbéciles des boissons alcoolisées qui leur sont offertes à prix d’ami.
Eu égard à la bourrasque qu’affronte Veolia, propriétaire de la SNCM, deux de ces ferries vont transformer le Vieux Port en colonie pénitentiaire de film d’épouvante qui accueilleront les crétins de congressistes, qui se seront déjà fait tondre de 500 euros pour passer la journée au Parc Chanot, histoire d’y être évangélisés par les mêmes…
A ce stade il n’échappera pas à nos fidèles amis lecteurs (et lectrices), et surtout à nos très fidèles lecteurs, et très férocement non amis, que la seule issue raisonnable au scénario d’épouvante qui se dessine serait de proclamer que « le 6ème Forum mondial de l’eau n’aura pas lieu », ce à quoi songent par ailleurs très sérieusement d’aucuns qui le manigancent, c’est dire où nous en sommes.
Adoncques, et nonobstant moult trahisons et reniements déjà avérés, dont l’ampleur conduit, filons la métaphore jusqu’au bout, à réduire Le Mouchard de John Ford
à une symphonie pastorale, reste à réécouter les Neiges du Kilimandjaro, impeccable bande son de cette infamie.