A l’issue de son examen en commission à l’Assemblée nationale, après un premier tour de chauffe au Sénat, le projet de loi « d’accélération et de simplification de l’action publique » (dit ASAP), incarne jusqu’à la caricature le programme commun de la Macronie et de la droite, aujourd’hui incarnée par "Les Républicains" : mettre à bas toutes les digues garantes d’une action publique conforme à l’intérêt général. "As Soon As Possible"... Le débat en plénière reprend à l’Assemblée le lundi 28 septembre. Florilège.
– EAU, plusieurs amendements ont été adoptés en commission, comme le pressentait un observateur averti :
https://www.dalloz-actualite.fr/flash/simplification-des-amendements-cavaliers-surveiller)
Irrigation : le Conseil d’Etat au service de la FNSEA !
– Un amendement sur les prélèvements d’eau :
Détermination par décret des volumes d’eaux prélevables (art 33 ter nouveau)
Dans un contexte de tensions sur la ressource en eau, le texte apporte une « réponse aux fragilités des autorisations uniques de prélèvements pour l’irrigation agricole » en proposant un cadre juridique consolidé à la définition des volumes prélevables dans les milieux qui sont le fondement de ces autorisations. Un décret viendra déterminer les modalités d’évaluation de ces volumes prélevables "dans certains bassins en déséquilibre quantitatif", en cadrant notamment les instances associées à cette évaluation. Le gouvernement s’est engagé à ce que ce décret "soit finalisé le plus rapidement possible, afin de faciliter les concertations".
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/2750/CSASAP/716
– Le Conseil d’Etat, seul juge en première et dernière instance des recours contre les projets de retenues pour l’irrigation agricole !
L’amendement du gouvernement apporte "une première brique en traitant de la volumétrie", estime le rapporteur, qui propose de son côté une autre solution (article 33 quater nouveau) en privilégiant la rapidité de recours contre les décisions relatives aux projets d’ouvrages de prélèvement d’eau à usage d’irrigation. Le texte attribue pour ce faire au « Conseil d’État une compétence en premier et dernier ressort. »
Après d’âpres débats au sein de la majorité, les députés ont donc obtenu que le Conseil d’Etat soit juge en premier et dernier recours des contentieux sur les retenues d’eau ! Cela semble totalement absurde d’inverser ainsi le fonctionnement de la justice administrative, en supprimant le droit au recours, sur une matière aussi sensible :
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/2750/CSASAP/717
Un autre amendement adopté propose d’alléger la réglementation des travaux de prévention des inondations :
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/2750/CSASAP/536
Un amendement du gouvernement souhaitait aussi réduire de quatre à deux mois le délai dans lequel il est possible de demander une concertation préalable pour un projet ayant fait l’objet d’une déclaration d’intention !
Enfin, un autre amendement sur les parcs naturels marins :
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/2750/CSASAP/537
Marchés publics : elle a bon dos la Covid !
Assouplissements de la commande publique (articles 44 quater, 44 quinquies et 44 sexies nouveaux)
Objectif : simplifier la passation dérogatoire de certains marchés et inscrire durablement au sein du code de la commande publique les dispositifs de soutien à l’économie et aux entreprises introduits par les ordonnances prises sur le fondement de l’habilitation de la loi n° 2020 290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.
Le gouvernement n’y va pas avec le dos de la cuillère. Le texte ajoute ainsi l’intérêt général comme cas de recours possible à un marché passé sans publicité ni mise en concurrence. "Il devrait notamment permettre de renforcer le tissu économique des territoires en facilitant la conclusion des marchés avec des PME qui n’ont souvent pas les moyens techniques et humains pour s’engager dans une mise en concurrence", insiste le gouvernement !
– Des marchés sans mise en concurrence, pour un "motif d’intérêt général" !
Un amendement gouvernemental, adopté, permettrait, dans un certain nombre de cas de recourir aux marchés sans publicité ni mise en concurrence préalables... pour « un motif d’intérêt général » !
L’exposé des motifs :
« L’article L. 2122 1 du code de la commande publique permet actuellement aux acheteurs de passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas fixés par décret en Conseil d’État lorsque en raison notamment de l’existence d’une première procédure infructueuse, d’une urgence particulière, de son objet ou de sa valeur estimée, le respect d’une telle procédure est inutile, impossible ou manifestement contraire aux intérêts de l’acheteur.
« L’article L. 2122 1 du CCP ne vise pas expressément, parmi les motifs permettant au pouvoir réglementaire de dispenser certains marchés de procédure de publicité et de mise en concurrence, de motifs liés à l’intérêt général. Pour sécuriser juridiquement les évolutions réglementaires qui pourraient intervenir pour simplifier la conclusion de certains marchés, notamment dans des secteurs confrontés à des difficultés économiques importantes ou constituant des vecteurs essentiels de la relance économique, la mesure proposée vise à ajouter l’intérêt général comme cas de recours possible à un marché passé sans publicité ni mise en concurrence. Il devrait notamment permettre de renforcer le tissu économique des territoires en facilitant la conclusion des marchés avec des PME qui n’ont souvent pas les moyens techniques et humains pour s’engager dans une mise en concurrence. »
La modification envisagée vise donc à permettre la passation du contrat sans publicité ni concurrence en cas de « motif d’intérêt général ».
On marche sur la tête ! Quel motif d’intérêt général autoriserait ainsi la résurgence du caprice du Prince, et de ses petits roitelets !
Lire aussi :
Loi Asap : "Au motif de l’intérêt général, on pourrait désormais avoir des marchés de plusieurs millions sans publicité ni concurrence"
Emmanuel Lévy, Marianne, 24 septembre 2020.
– Par ailleurs, à l’instar du régime applicable aux contrats de concession, l’article 44 sexies étend aux marchés conclus avant le 1er avril 2016 le dispositif de modification des contrats en cours d’exécution prévu actuellement par le code de la commande publique.
Les acheteurs bénéficieront ainsi de la possibilité de modifier ces marchés publics conclus pour une durée longue, lorsqu’une telle modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir. Autre avantage mis en avant, cette mesure clarifie la possibilité de modifier les marchés conclus avant 2016 en vue de commander des travaux, fournitures ou services supplémentaires (art. R. 2194-2 du code de la commande publique).
L’achat de ces prestations complémentaires, qui permettait sous l’empire du code des marchés publics la conclusion d’un nouveau marché sans publicité ni mise en concurrence, constitue désormais en vertu du code de la commande publique une hypothèse de modification autorisée du marché en cours d’exécution.
– Quelques ajouts proposés in extremis par le gouvernement concernent à nouveau la commande publique. L’article 46 bis A facilite ainsi la réalisation des opérations d’infrastructures de transports en permettant le recours aux marchés de conception construction pour les infrastructures de l’Etat. Les bâtiments sont explicitement exclus du périmètre de la mesure rendant toujours nécessaire l’intervention d’une mission de maîtrise d’œuvre distincte des marchés de travaux. Cette dérogation rejoint celle accordée à la Société du Grand Paris au titre du L.2171-6 du code de la commande publique.
Un autre article additionnel (46 bis B) permet d’intégrer dans ce marché global la mission de construction et de valorisation immobilière de projets connexes au Grand Paris Express, même lorsqu’ils ne sont pas directement liés aux infrastructures du Grand Paris Express. Ainsi, la Société du Grand Paris pourrait confier au titulaire d’un marché global les missions de réalisation des infrastructures du Grand Paris Express et de réalisation de projets connexes qui accompagnent ce projet, tout en limitant les interfaces entre deux marchés publics."
(*) En écho à la phrase célèbre de James Carville, conseiller de Bill Clinton, proférée lors de la campagne présidentielle victorieuse du parti démocrate face à George Bush en 1992 : « It’s the economy, stupid ». La dérégulation, ou suppression des règles, a pour but, selon le dictionnaire Collins, « d’encourager la concurrence et l’innovation ».
– Noter l’absence totale de réaction (pas une !), d’EELV, du PS, du PCF, de Génération.s, d’Ensemble, d’Attac, de la moindre ONG prétendant défendre l’avenir de la planète, des syndicats et autres belles âmes, si prompts à se précipiter sur le moindre micro quand il s’agit de dénoncer tout et n’importe quoi, à condition que cela n’engage à rien... Et que dire des medias ? On ne tire pas sur une ambulance. Enfin çà c’était dans le Monde d’avant, dans le Monde d’après, même les ambulanciers auront leur Kalach...
Lire aussi :
Loi ASAP et droit de l’environnement
https://www.maire-info.com/environnement/loi-asap-relocalisations-et-droit-de-l’environnement-l’offensive-du-gouvernement-en-commission-speciale-article-24537
Maire-infos, 24 septembre 2020.
– Loi ASAP : le gouvernement continue à défaire le droit à l’environnement
https://reporterre.net/Loi-Asap-le-gouvernement-continue-a-defaire-le-droit-de-l-environnement
Marie Astier, Reporterre, 29 septembre 2020.
commentaires
D’ailleurs ils le disent bien eux-mêmes, c’est la loi ASAP, As Soon As Possible....
Merci beaucoup pour cette analyse de la loi ASAP. Vous écrivez : "Noter l’absence totale de réaction (pas une !), d’EELV, du PS, du PCF, de Génération.s, d’Ensemble, d’Attac, de la moindre ONG ..." Mais Anticor et Transparency International ont dénoncé cette loi, notamment la "simplification" des marchés publics, cf www.anticor.org. Malheureusement, il n’y a pas encore eu de pétition en ligne. Je crois que le gouvernement fait la stratégie du Blitzkrieg, du pilonnage, tout arrive à toute vitesse, et les ONG ont à peine le temps d’informer et de mobiliser leur base....