La Guadeloupe et la Martinique sont très gravement polluées depuis plusieurs dizaines d’années par des pesticides interdits, en particulier le Chlordecone, massivement utilisé dans la culture de la banane. En dépit d’innombrables rapports et études conduites ces dernières années par les autorités concernées, les responsabilités de ce véritable désastre sanitaire ne sont toujours pas établies. La santé des populations semble gravement menacée. La tentative de mise en examen le 4 juin 2007 de l’un des avocats qui représentent un collectif d’associations qui ont déposé plainte pour empoisonnement vient de mettre le feu aux poudres.
Associations de consommateurs et de défense de l’environnement, professions judiciaires et avocats de la Guadeloupe sont en ébullition.
Au début du mois de mai 2007 le Procureur de la République de Pointe-à-Pitre prenait un réquisitoire invitant un juge d’instruction à mettre en examen l’avocat Harry Jawad Durimel, porte-parole des Verts de la Guadeloupe, et candidat aux législatives du 9 juin prochain, pour des prétendus faits de violation du secret de l’instruction et entrave à sa bonne marche dans une affaire remontant à février 2004, dans laquelle il assistait deux clients accusés de trafic de stupéfiants.
Harry Jawad Durimel, convoqué le lundi 4 juin 2007 au Tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre dans un contexte tendu, n’a finalement pas été mis en examen au terme d’une audition de 9 heures.
Il est ressorti de la salle d’audience en tant que témoin assisté. Les avocats ne sont pas satisfaits de cette décision. Et ont décidé de maintenir leur mouvement de grogne. Aucune audience pour laquelle la présence d’un avocat est nécessaire ne devait se tenir le 5 juin. Harry Jawad Durimel et ses avocats comptent saisir la chambre de l’instruction qui se tient à Basse-Terre, afin d’y déposer un recours en nullité contre les poursuites qui visent leur confrère.
L’avocat qui clame haut et fort son innocence, et soupçonne qu’on veut le faire taire en raison de son son activisme dans l’affaire du Chlordecone, a notamment reçu le soutien de la Fédération nationale des unions des jeunes avocats.
On mesure l’émotion suscitée par l’affaire à la lecture du communiqué publié par l’Ordre des avocats du barreau de la Guadeloupe le 5 juin 2007 :
« Les Avocats du Barreau de la Guadeloupe, réunis en assemblée générale ce lundi 4 juin 2007, ont pris acte de ce que, le juge d’instruction, après avoir entendu pendant plus de 9 heures la défense présentée dans l’intérêt de Maître Harry Jawad Durimel, au cours de laquelle ont été mises en évidence des violations massives et systématiques des règles de droit, n’a pas cru devoir prendre la décision qu’imposait l’inconsistance du dossier, à savoir la mise hors de cause de notre confrère.
C’est pourquoi
Les Avocats du Barreau de la Guadeloupe, garants des libertés et soucieux du respect du droit :
– Décident de poursuivre leur mobilisation pour que Justice soit rendue ;
– Maintiennent leur décision de suspendre toute participation aux activités judiciaires, et ce, jusqu’à nouvel ordre ;
– Dit que la présente motion sera transmise : à Madame le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, au Conseil National des Barreaux, à la Conférence des Bâtonniers de France et d’Outre Mer, au Bâtonnier de Paris, à la Confédération Nationale des Avocats, à la FNUJA, au Syndicat des Avocats de France (SAF), aux Syndicats d’Avocats de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane, à la Ligue des Droits de l’Homme (LDH).
Le Barreau de la Guadeloupe ».
L’affaire n’en finit pas de faire des vagues, dans l’attente d’une nouvelle comparution de l’avocat devant le tribunal le 14 juin prochain.
Ainsi, comme le relatait Domactu.com le 6 juin , le procès en appel du « crash » d’Air Caraïbe intervenu à Saint-Barthélémy en 2001 devait être examiné le mardi 5 juin par la cour d’appel de Basse-Terre.
Mais en raison du mouvement des avocats en soutien à maître Harry Jawad Durimel, l’audience n’a pu se tenir, et a été renvoyée au 29 janvier 2008. Une décision qui a provoqué la colère des familles des victimes, dont certaines avaient fait le déplacement depuis la métropole et le Canada pour suivre le procès…
Le 14 juin 2007, plus d’une centaine d’avocats et de sympathisants s’étaient réunis devant le palais de justice pour soutenir une fois de plus Harry Jawad Durimel. Entre 11 heures et 22 heures 17 avocats de la défense se sont succédés pour montrer que le dossier défendu par l’accusation était creux. Ils demandaient donc l’annulation de la procédure entamée à l’encontre de leur collègue. La Cour d’Appel de Basse Terre mettait sa décision en délibéré au 28 juin 2007.
Une affaire explosive
Le 24 février 2006 l’Union des producteurs agricoles de Guadeloupe, l’Association agriculture, société, santé, environnement, l’Union régionale des consommateurs et l’association SOS Environnement Guadeloupe déposaient difficilement plainte contre X pour :
– Mise en danger d’autrui (risque immédiat de mort ou d’infirmité) par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence, faits prévus par l’article 223-1 du Code Pénal, et réprimés par les articles 223-1, 223-18 et 223-20 du Code Pénal.
– Administration de substance nuisible ayant porté atteinte à l’intégrité d’autrui, faits prévus et réprimés par les articles 222-15, Al 1 et 222-12 Al 1.7 du Code Pénal.
La plainte était soutenue par un collectif d’une trentaine d’avocats guadeloupéens, dont l’un des chefs de file est Harry Jawad Durimel.
Le tribunal d’instance de Basse-Terre avait dans un premier temps jugé la plainte recevable. Mais le procureur de la République avait fait appel de la décision.
Le Tribunal d’instance de Basse-Terre a donc renvoyé au... 21 juin 2007 l’examen de la recevabilité de la plainte pour empoisonnement au Chlordécone déposée le 24 février 2006 par le collectif d’associations…
« On assiste depuis plusieurs années aux Antilles à une explosion des cancers, des maladies de Parkinson et d’Alzheimer et des maladies auto-immunes. Les terres agricoles sont massivement polluées, les agriculteurs ne sont toujours pas indemnisés et les responsables de ce désastre ne sont ni identifiés ni poursuivis », dénonçaient le 5 mars dernier Louis Boutrin et Raphaël Confiant, auteurs du livre « Chronique d’un empoisonnement annoncé », aux Editions l’Harmattan, dans une lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle.
L’utilisation du Chlordecone, pesticide organochloré, n’a été interdite aux Antilles qu’en septembre 1993, en raison des risques potentiels qu’il présentait pour la santé humaine.
Cet insecticide organochloré, souvent qualifié de pesticide de « première génération » puisque sa synthèse remonte au début des années 1950, fut d’abord produit aux Etats-Unis, avant d’être homologué en France au début des années 1980, pour lutter contre le charançon du bananier.
Selon le MEDD, "compte tenu de sa rémanence dans l’environnement", les autorités administratives de Guadeloupe et de Martinique, en application du principe de précaution, ont pris différentes mesures, depuis plusieurs années, afin de limiter l’exposition des personnes.
Plusieurs plans d’actions visant la protection des ressources en eaux, la surveillance de la teneur en résidus des aliments, l’élimination des derniers stocks de pesticides non utilisés et l’évolution rapide des pratiques agricoles auraient donc été mis en œuvre ces dernières années.
En 2003, dans les deux départements, la réalisation d’analyses de sols préalables à la plantation de cultures vivrières a été imposée par arrêté préfectoral.
Afin de compléter ces mesures, le Gouvernement demandait en outre à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) d’évaluer le risque de l’exposition alimentaire de la population antillaise au Chlordécone et de proposer des limites maximales de résidus pour les aliments les plus contaminés. En effet, il existe très peu de données chez l’homme et il est donc nécessaire de compléter les informations disponibles.
Parmi les éléments connus actuellement, on peut citer les principaux effets rapportés chez des travailleurs, généralement plus exposés que la population générale, d’une usine américaine qui produisait du Chlordécone aux Etats-Unis, en 1976, et qui sont des effets neurologiques (tremblements, irritabilité, troubles visuels et céphalées), des signes d’hépatotoxicité et une atteinte de la spermatogenèse.
Chez l’animal de laboratoire, on observe également des atteintes rénales (néphrotoxicité) et des effets sur la reproduction dont notamment une dégradation de la spermatogenèse.
Mais ces effets n’auraient été observés, selon le MEDD, « qu’ à des doses nettement plus élevées que celles auxquelles les populations des Antilles sont actuellement exposées ».
Raison pour laquelle des études épidémiologiques ont ensuite été confiées à l’INSERM en Guadeloupe (étude HIBISCUS, étude TIMOUN) pour mettre en évidence des effets éventuels sur la population générale.
Une bombe à retardement
L’exposition au Chlordécone a lieu en consommant des aliments contaminés, principalement les produits végétaux mais aussi, dans une moindre mesure, les produits d’origine animale.
En effet les animaux (volailles, caprins, bovins) ont pu aussi être eux-mêmes contaminés en consommant des végétaux.
Les produits de la pêche (poissons, crustacés) peuvent être également contaminés s’ils vivent dans des zones où le Chlordécone a pu s’accumuler (sédiments).
L’eau de boisson peut aussi contribuer à cette exposition si elle provient d’une source contaminée et si elle n’a pas été traitée.
Le rapport de l’AFSSA était rendu public en octobre 2005. Son analyse a conduit les ministères concernés à prendre deux arrêtés qui définissent les teneurs maximales autorisées :
– pour les denrées d’origine végétale, la teneur maximale autorisée pour les plus consommées d’entre elles, carottes, concombres, dachines ou madères, ignames, melons, patates douces et tomates, est fixée à 50µg/kg ; pour les autres végétaux, cette teneur maximale est de 200 µg/kg.
– pour les denrées d’origine animale, la teneur maximale autorisée pour la viande de volaille, la plus consommée, est de 50 µg/kg (ces teneurs sont déterminées par rapport au poids de produit à l’état frais) pour les autres denrées, la teneur maximale est de 200 µg/kg.
En ce qui concerne les personnes consommant des produits cultivés dans des jardins familiaux sur des sols susceptibles d’être contaminés, l’AFSSA recommandait, dans l’attente des résultats d’une étude plus approfondie sur le sujet, de limiter leur consommation de légumes racines (dachine ou madère, et patate douce) à deux fois par semaine environ.
Silence on empoisonne
Pour l’association S-EAU-S, dont l’animateur Gérard Borvon, responsable Eau des Verts, membre du Comité national de l’eau, a effectué sur place une mission d’enquête, c’est : « Silence, on empoisonne ! » :
« Avec la bénédiction de l’AFSSA, l’Etat Français, sous la signature du ministre de l’économie des finances et de l’industrie, du ministre de l’agriculture et de la pêche, du ministre de l’outre-mer, du ministre de la santé et des solidarités, vient d’autoriser la consommation de denrées alimentaires d’origine animale et végétales contaminées à des taux élevés par le Chlordécone, un pesticide particulièrement redoutable utilisé sur les bananes. »
Le Gouvernement constituait ensuite une mission d’inspection interministérielle qui s’est rendue aux Antilles en janvier 2005.
Elle dressait un « constat positif des actions mises en place » et émettait des recommandations d’ordre sanitaire, environnemental et agronomique.
En terme d’évaluation du risque, elle recommandait notamment, en insistant sur la nécessité d’une démarche concertée entre les deux départements, de renforcer le suivi des résidus de pesticides dans les denrées locales et importées, dans les ressources en eau, les écosystèmes et les sols et de poursuivre les études d’exposition des populations en fonction des habitudes alimentaires et des modalités d’approvisionnement.
En terme de gestion du risque enfin, elle préconisait sur les zones jugées prioritaires, le renforcement de plans d’action destinés à sensibiliser les agriculteurs à la nécessaire évolution des pratiques agricoles.
Enfin une mission parlementaire publiait un rapport sur le Chlordecone en juillet 2005.
Créée en octobre 2004, sur proposition de M.Philippe Edmond-Mariette et cosignée par les députés de la Guadeloupe et de la Martinique (Joël Beaugendre, Gabrielle Louis-Carabin, Eric-René Jalton, Alfred Marie-Jeanne, Alfred Almont, Louis-Joseph Manscour), elle a depuis lors été chargée de suivre l’évolution des mesures prises.
Comme préconisé par la mission d’inspection, un comité interministériel de pilotage, chargé d’assurer la coordination de l’ensemble du dispositif a enfin été constitué.
Par ailleurs, une mission prospective composée d’experts de l’AFSSA, de l’INRA et du CIRAD mandatés par le Gouvernement travaille depuis lors à « l’élaboration d’un rapport permettant d’analyser les scenarii envisageables pour faire face à la contamination des sols, tant en ce qui concerne l’évolution des systèmes de production que les mesures d’accompagnement pouvant être mises en œuvre par l’Etat. »
On se demande bien dès lors, quand on a consulté l’ensemble de ces rapports, ce qui peut continuer à entraver l’instruction de la plainte qu’ont déposé les associations en 2006.
On nous aurait caché quelque chose ?
A suivre.
Lire aussi :
par Les eaux glacées du calcul égoïste et l’association S-Eau-S, le 17 septembre 2007 :
commentaires
Archipel des sciences a le plaisir de vous inviter à une conférence intitulée :
CHLORDECONE ET SANTE
Cette rencontre sera animée par le Docteur MULTIGNER, chercheur à l’INSERM U625 et entouré de quelques uns de ses confrères, des chercheurs du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de la Guadeloupe et de l’Université Antilles Guyanes (UAG)...
L’intervention sera limitée strictement aux questions de nature scientifique et centrée sur les aspects toxicologiques et médicaux de la problématique.
Cette rencontre sera animée par le Docteur MULTIGNER entouré de quelques uns de ses confrères, des chercheurs du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de la Guadeloupe et de l’Université Antilles Guyanes (UAG).
L’intervention sera limitée strictement aux questions de nature scientifique et centrée sur les aspects toxicologiques et médicaux de la problématique.
Samedi 6 Septembre 2008 à 15h
Cité des métiers - Raizet - Abymes - Renseignement : 05 90 94 31 16 ou 05 90 25 80 48
Merci d’informer. Malgré la masse de documents envoyée partout, une chappe de plomb s’est abattue sut cette affaire parfaitement scandaleuse.
Voir les articles sur cette affaire sur le site :
http://www.montraykreyol.org/