Le choix des différents modes de gestion, publique ou privée, des services d’eau et d’assainissement sont de plus en plus déterminés par l’évolution de la doctrine communautaire, qui a érigé depuis le Traité de Rome la concurrence au rang d’incontournable doxa de l’activité économique. Enjeux et perspectives.
Pour M. Michel Desmars, chef du service de l’eau à la FNCCR, l’évolution du cadre légal européen sera déterminant dans les prochaines années. Celui-ci doit être connu par les collectivités, comme en attestent a posteriori les déboires du syndicat de communes de Barr (68), devenus quasiment légendaires. Nous y reviendrons.
L’Europe modifiera-t-elle ou non dans un proche avenir sa position mi-chèvre-mi-chou vis à vis du secteur de l’économie mixte ?
Le questionnement est d’actualité, comme en atteste le dossier qu’y consacre le bimensuel "La Lettre du cadre territorial", dans son numéro 322, daté du 15 février 2007, dossier titré « L’Europe viendra-t-elle au secours des SEM ? Les SEM locales françaises se considèrent comme des entreprises publiques locales, au même titre que 16 000 entreprises en Europe. A l’instar de leurs consœurs allemandes, italiennes, espagnoles ou hollandaises, elles gèrent des services publics d’intérêt général. Mais le droit européen ne leur confère aucun statut dérogatoire : obligées d’être mises en concurrence lorsqu’elles candidatent à des marchés ou délégation de services publics, elles font souvent l’objet de procès en favoritisme lorsque les marchés leur sont attribués. Quel espoir européen ? »
D’emblée un constat inquiétant : la notion de service public n’existe pas en droit communautaire, et pour l’Union européenne le concept de service public revêt une connotation péjorative. Cachez ces fonctionnaires et ces monopoles que je ne saurais voir !
Il a donc été remplacé par celui de SIG (Service d’intérêt général), ce qui évite de se prononcer sur la composante publique ou privée du mode de gestion. Le choix demeurant en dernière instance du ressort de chaque Etat-membre, ce qui en l’état garantit encore une relative marge de manœuvre.
Reste que le maître mot du traité de Rome dans le domaine économique est le vocable bien connu de "concurrence". La concurrence est vertueuse car elle évite les monopoles, assure la diversité des choix et protège juridiquement le consommateur… Fermez le ban !
La Commission européenne a donc examiné le secteur de l’eau à la loupe, et conclu qu’il ne s’agissait pas d’un marché intérieur car la variété des situations juridiques et la présence des monopoles publics sont trop grands. L’usager n’a pas le choix de l’opérateur dans son périmètre géographique local. Nous avons donc ici affaire à un monopole ”naturel”. Et il n’existe donc pas en conséquence de marché intérieur, puisque l’usager n’a pas le choix de son fournisseur.
Le seul exemple de véritable privatisation (soit la cession intégrale des actifs à un opérateur privé, qui assure ensuite l’intégralité du service), en Europe est celui du Royaume-Uni, alors dirigé par la « Dame de fer » .
La France connaît une situation singulière. Elle a en fait « libéralisé », depuis un siècle et demi, le service de l’eau, en permettant à de grands opérateurs de conclure des contrats de délégations de service public avec les collectivités, qui demeurent propriétaires du patrimoine, et financent, via l’usager captif, l’activité du service. Dans ce cas de figure notre fameuse concurrence joue donc uniquement sur le choix du mode de gestion et de prestataire.
Aujourd’hui la Commission ne prévoit pas de nouvelle directive sur les SIG.
Le Parlement européen a une position sensiblement différente. Il propose en effet de confirmer la possibilité de choisir un opérateur interne sans mise en concurrence préalable, à condition toutefois que l’opérateur renonce à intervenir en dehors du périmètre de compétence de la collectivité organisatrice…
La loi européenne qui s’applique à ce secteur se résume en fait aux décisions de la Cour de justice des communautés européennes, installée à Strasbourg.
Que nous enseigne la jurisprudence de la Cour, notamment par le biais du célèbre arrêt Tecal de 1998, qui concernait le secteur des télécommunications ?
Le mode de gestion public n’est pas interdit, mais il est soumis à des conditions de plus en plus restrictives.
Ainsi le contrôle exercé par la collectivité sur l’activité du service doit être identique, quel que soit le mode de gestion, public ou privé.
In House or not ?
En outre le périmètre dans lequel une collectivité exerce une compétence d’eau et d’assainissement doit coïncider exactement avec celui de la collectivité concédante.
Autrement dit une régie ou un syndicat publics, quand bien même leurs résultats seraient époustouflants, n’ont pas le droit d’étendre leur activité au-delà du territoire de leur collectivité de rattachement…
Dans le même temps Veolia et Suez, on le sait, peuvent sans problème aucun étendre leurs tentacules sur tout le territoire français, et au-delà…
La concurrence « libre et non faussée » vous-dis-je…
Enfin une collectivité doit posséder 100% du capital du service à qui elle confie l’exercice d’une compétence en matière d’eau ou d’assainissement.
M. Desmars souligne enfin que les décisions de la Cour se prenant au cas par cas, vu la décision rendue contre Barr, force est de conclure à une instabilité juridique gênante pour les collectivités qui privilégient la gestion publique.
Il attire enfin l’attention du public sur le fait que le Parlement européen s’est donc saisi des SIG dans le secteur de l’eau, et a publié un rapport sur le sujet en septembre 2006.
Rapport dont les grandes orientations recommandent :
– de clarifier le droit européen,
– d’éviter la promulgation d’une directive cadre,
– d’élaborer des directives par secteurs, en commençant par les services où existe un ”marché intérieur”.
Le secteur de l’eau n’apparaît donc pas prioritaire.
Mais quid du fameux concept « d’in house » ?
En l’état le Parlement accepte donc le mode de gestion public, mais sous l’angle d’une dérogation au principe de mise en concurrence, qui entre lui-même en contradiction avec le principe de liberté de choix des collectivités locales, consacré par le fameux article 72 de la Constitution de 1958….
Le Parlement européen applique donc au secteur de l’eau la même règle que celle établie pour le secteur des transports.
Pas d’obligation de mise en concurrence si l’on opte pour un mode de gestion publique, régie ou SEM, mais à la stricte condition de ne pas sortir du périmètre géographique de l’autorité délégante, dans le cadre de ce qui apparaît constituer un monopole local.
Au final, et pour l’heure, la collectivité propriétaire d’une régie, ou actionnaire d’une Sem, peut donc faire prévaloir des objectifs d’intérêt général moins dépendants des exigences de profitabilité et des contraintes du marché financier que des entreprises privées en concurrence.
Un argument trop peu mobilisé par les collectivités, qui pourraient semble-t-il désormais, arguant du droit à l’eau institué par l’article 1 de la LEMA, instaurer par exemple de nouvelles formes de tarification sociale, pouvant aller jusqu’à la gratuité d’une première tranche de consommation.
Collectivités, encore un effort ! Notre ami Henri Smets, dont nous ne saluerons jamais assez l’opiniâtreté, vient, comme à l’accoutumée, de se fendre d’une analyse aussi fulgurante qu’incisive des ressources cachées de l’article 1 de la LEMA. Un peu de courage politique et l’affaire est jouable. On en reparlera avant les prochaines municipales.
Reste que régies comme SEM souffrent malheureusement d’une forme de maladie endémique : l’absence de capitaux propres.
Si Michel Desmars le dit nous pouvons lui faire confiance, il est bien placé pour le constater…
Du coup les débats européens sur la gestion interne – ou « in house » - et sur les services d’intérêt général inviteraient donc à un aggiornamento de la gestion publique locale.
Plusieurs pistes de réflexion ont déjà été identifiées.
Ainsi, si l’on réalise la synthèse entre les outils régie et Sem, sous la forme de la société à capitaux 100% publics, concilie-t-on, selon lui, la souplesse de fonctionnement de la société de droit privé avec le contrôle intégral par la collectivité publique.
Gordon Brown et Ségolène Royal souscriraient au tout d’enthousiasme.
Et ils ne sont pas les seuls. C’est ce schéma qui reçoit en fait aujourd’hui l’assentiment des spécialistes de l’eau, qu’ils soient techniciens ou politiques. Et au-delà du sempiternel débat régie contre délégation, c’est bien davantage en ces termes que doivent désormais être appréhendées les mutations du secteur dans les prochaines années.
Comparaison n’est pas raison…
Le secteur de l’eau et de l’assainissement est soumis à de fortes turbulences depuis quelques années. Les défenseurs de la gestion directe se mobilisent de plus en plus fortement et dénoncent d’innombrables dérives imputées aux transnationales de l’eau, qui bénéficient en France d’un monopole écrasant sur ces services.
Adversaires et tenants de la gestion privée font donc flèche de tout bois. Ces derniers n’ont de cesse de diffuser les conclusions d’innombrables enquêtes qui visent à « comparer » les performances respectives du public et du privé. D’où il appert, ô surprise, que les performances du privé sont invariablement supérieures à celles du secteur public.
A force c’est un peu lassant. A l’occasion amusant quand nos grands analystes se prennent un peu les pieds dans le tapis, comme cela va peu ou prou être le cas avec l’intervention de Mme Catherine Baruch, directrice d’études du BIPE. Celle-ci va présenter une récente étude de son organisme, et évoquer la « prise en compte du développement durable par les services d’eau et d’assainissement de 8 capitales européennes ». Prestation qui recevra donc un accueil mitigé.
Si trois bons élèves semblent se détacher du lot, Amsterdam, Stockholm et Paris, trois autres obtiennent tout juste la moyenne, Madrid, Londres et Berlin. Tandis qu’Athènes et Rome « pourraient mieux faire… ». Mais ce classement n’est pas corrélé avec la part de la facture d’eau dans le budget des ménages qui varie entre 0,3% (Paris) et 0,8% (Amsterdam) en passant par 0,4% (Rome), 0,6% (Berlin). Les autres se situant aux alentours de 0,5%.
Madame Baruch doit ensuite convenir d’une certaine difficulté à dresser ce type de comparatif, les chiffres n’étant soit pas disponibles, soit pas comparables… Londres présenterait ainsi des résultats très contrastés selon les différents critères de développement durable.
Bref, élève BIPE, peut mieux faire. Et vlan pour la FPEE, le syndicat de nos amis de Veolia et de Suez, qui nous bassinent avec le BIPE tous les quatre matins, quand ils ne nous refilent pas une piqure de rappel du BCG, non, l’autre, le Boston Consulting Group….
A suivre…