Un amendement à la loi sur l’eau votée le 20 décembre 2006, passé totalement inaperçu, va permettre à Veolia de préserver sans coup férir son plus grand contrat français, qui représente 50% de ses bénéfices annuels dans l’hexagone. Alors que nombre d’élus et d’associations contestent depuis plusieurs années l’emprise qu’exerce la multinationale sur le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif), il aura suffi de 45 petits mots pour préserver un monopole exorbitant.
La Générale des eaux est titulaire depuis 1923 d’un contrat de régie intéressée avec le Sedif, qui regroupe 144 communes de la banlieue parisienne.
Ce contrat expire en 2010. Depuis plusieurs années le Sedif, présidé par M. André Santini, député-maire (UDF, mais qui a récemment rallié M. Sarkozy) d’Issy-les-Moulineaux, et Veolia sont régulièrement mis en cause au motif que ce contrat de « régie intéressée » procurerait des bénéfices exorbitants, et indus, à la Générale.
L’UFC-Que Choisir n’avait ainsi pas hésité en janvier 2006 à dénoncer des « surfacturations » colossales, à hauteur de 59% du prix de l’eau facturé aux quatre millions d’usagers captifs d’Ile-de-France.
S’en suivit une furieuse polémique, avec volée de bois vert et noms d’oiseaux à l’adresse de tous ces crétins gauchistes qui n’y connaissent rien…
Parallèlement un certain nombre d’élus, de gauche, essentiellement PC et quelques PS, (très peu de PS en vérité, surtout un, certes enragé, mais ça fait peu), avaient élaboré le projet de constituer une association « d’opposants », soit une trentaine de collectivités membres du syndicat qui souhaitaient se donner les moyens de procéder à un audit indépendant qui permettrait d’étudier, objectivement, les différents modes de gestion envisageables à l’issue du contrat actuel.
L’horizon, bien sur, étant le retour à une gestion publique et l’éjection de l’affreux Veolia.
Les malheureux ! Ni une, ni deux, après quelques diners exploratoires, l’idée est immédiatement récupérée par le camp adverse (les méchants), qui déposent dare-dare les statuts de l’association en question, et placent à sa tête l’un de leurs affidés, véritable Torquemada définitivement accro à la Veolia.
Histoire de faire bonne mesure, dans le courant de l’été 2006 plusieurs chefs de file de l’opposition sont sollicités par une donzelle qui veut les interroger sur leur vision du service public de l’eau. Elle intervenait au nom d’un fumeux institut… dont les bureaux sont sis aux Champs Elysées, à la même adresse qu’une officine de lobbying grassement appointée par la Générale depuis vingt ans…
On apprend dans le même temps que le Sedif a recruté un ancien membre de la Cour des Comptes, qui supervisera les 50 000 audits qui vont être conduits afin de déterminer « l’ordre juste » qui doit présider à la signature du prochain contrat.
Déjà là, on augure sans peine que l’affaire est dans le sac. Et que Veolia va continuer à couler des jours heureux en Ile-de-France.
Vous êtes d’accord ? Ah, vous ne serez jamais de grands capitaines d’industrie !
Veolia et ses amis du Sedif n’allaient pas s’arrêter en si bon chemin.
Comme la loi sur l’eau est sur le feu, qu’elle verra passer, dans l’indifférence générale 2839 amendements, la blanche dextre d’un de nos amis lobbyistes va veiller à verrouiller notre affaire pour les siècles des siècles.
45 mots qui pèsent des milliards
Notre admirable loi sur l’eau signe en vérité l’entrée de la France dans l’ère de la modernité responsable.
En effet, vous n’allez pas le croire, pour la première fois le service d’eau potable est explicitement désigné comme une compétence communale.
Ici j’avoue avoir beaucoup pêché, à chaque fois que j’explique que depuis la Révolution ce sont les communes qui ont la compétence, patati, patata…
Bernique, en fait on avait des bouts de textes planqués un peu partout, mais pas une compétence béton. Ca ne pouvait plus durer.
Donc, grâce à notre admirable LEMA, le service d’eau potable devient une compétence communale OBLIGATOIRE pour la partie distribution.
La production d’eau potable, son transport et son stockage demeurent facultatifs.
Ces nouvelles dispositions ne révolutionnent pas l’état des choses existant.
Sauf pour le Sedif !
Car notre article 54 apporte deux précisions d’importance :
– les communes déterminent librement les zones desservies par le réseau de distribution en arrêtant un schéma directeur, obligation qui n’existait à ce jour que pour l’assainissement collectif et non collectif. L’obligation de desserte ne vise donc pas les usagers extérieurs à ce périmètre.
Mais surtout :
– « Toutes les compétences en matière d’eau potable assurées à la date de publication de la loi (le 31 décembre 2006) par des départements, des associations syndicales autorisées (ASA) ou constituées d’office ne peuvent être exercées par les communes sans l’accord des personnes publiques concernées . »
Les voilà, nos 45 mots qui pèsent des milliards !
Prenons notre Sedif, 144 communes d’Ile-de-France dont certaines ruent dans les brancards.
Si d’aventure quelques furieux gauchistes voulaient soustraire leurs collectivités au Syndicat et à Veolia, embaucher des fonctionnaires, faire des tarifications sociales, enfin l’horreur quoi, et bien c’est plus possible.
Peuvent toujours se brosser pour que les « personnes publiques concernées » (le Sedif, et donc Veolia) les autorise à aller baguenauder ailleurs.
Quinte flush.
Je n’ai pas encore réussi à savoir combien de stock-options va toucher le petit génie qui a mitonné l’amendement. Je consulte, faut pas désespérer.
NOTE :
L’article 54 de la LEMA :
I. - La deuxième partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifiée :
1° L’intitulé de la section 2 du chapitre IV du titre II du livre II est ainsi rédigé : « Eau et assainissement » ;
2° Dans la même section, il est inséré une division ainsi rédigée : « Sous-section 1. - Dispositions générales », comprenant les articles L. 2224-7 à L. 2224-11-5 ;
3° L’article L. 2224-7 est ainsi rédigé :
« Art. L. 2224-7. - I. - Tout service assurant tout ou partie de la production par captage ou pompage, de la protection du point de prélèvement, du traitement, du transport, du stockage et de la distribution d’eau destinée à la consommation humaine est un service d’eau potable.
« II. - Tout service assurant tout ou partie des missions définies à l’article L. 2224-8 est un service public d’assainissement. » ;
4° Après l’article L. 2224-7, il est inséré un article L. 2224-7-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2224-7-1. - Les communes sont compétentes en matière de distribution d’eau potable. Dans ce cadre, elles arrêtent un schéma de distribution d’eau potable déterminant les zones desservies par le réseau de distribution. Elles peuvent également assurer la production d’eau potable, ainsi que son transport et son stockage.
Toutefois, les compétences en matière d’eau potable assurées à la date de publication de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques par des départements, des associations syndicales autorisées ou constituées d’office ne peuvent être exercées par les communes sans l’accord des personnes publiques concernées. »
commentaires
Effectivement, mais les deux pistes que vous évoquez reposent sur une majorité "nouvelle" au sein de ce syndicat, dont force est de consteter qu’elle n’existe pas aujourd’hui... L’hypothèse la plus probable à l’heure actuelle est celle de voir un affermage (au même) succéder à une régie intéressée devenue désuète.
Bonjour
Si je comprends bien, le courrier adressé le 18 avril à tous les memebres du syndicat en vue de recueillir l’avis des élus sur le mode de gestion actuel et à venir, n’a qu’un but, arbitrer entre un affermage ou une dsp classique. Donc si certaines communes veulent sortir du SEDIF pas possible, pas mal l’amendement...
Y’a plus qu’à acheter des actions VEOLIA
Je crains que vous n’ayiez parfaitement compris...
Cette information me conforte dans mes analyses que j’avais avancées lors de notre congrés sur l’eau à Bobigny. Je suis responsable de l’association INDECOSA de SETE, et à ce titre, nous avions fait un procès au Maire de l’époque, en 97,sur les termes du contrat passé avec la CGE. Toute cette manipulation de texte(s), de désinformation(s) après les informations n’est que la suite logique de
l’imposition de l’AGCS. (Merci Mr P. LAMY)
Dans ce texte les fournisseurs qui sont en charge d’assurer un mandat de fourniture doivent OBLIGATOIREMENT être protégés et recevoir les mêmes attribus que les services de fonction. La loi de décembre 2006 en est le reflet et le soutien.
Pendant ce congrès, nous avons échangé des informations, j’ai interpellé la Sénatrice Communiste sur le vote qui a eu lieu sur ce sujet. Nous avons entendu la réponse "Je me suis abstenue"
L’eau est un produit qui rapporte gros pour les sociétés qui distribuent, et qui creusent les bugjets des ménages les plus défavorisés. Une bataille OUI, mais avec des combattants, beaucoup de combattants.
N’est-il pas possible pour des communes qui feraient front ensemble et décideraient de ne plus adhérer de démontrer que l’alinéa de cet article de loi est abusif ?
Une question me taraude : dans le texte que vous donnez, il n’est pas question des concessionnaires. En d’autres termes, une commune n’a pas le droit de sortir du syndicat intercommunal (ces contraintes sont assez classiques, on les retrouve dans les lois sur l’intercommunalité et les EPCI) mais rien n’empêche de changer de concessionnaire ou de repasser en régie directe si le SEDIF le décide, non ?