La Loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « Loi Hamon », présentée, puis votée, à l’initiative de Benoit Hamon, encore ministre avant que d’être remercié, a mis en place, au bénéfice de l’usager, des dispositions protectrices sans précédent concernant le service public de l’eau potable. Plus d’un an plus tard ces mesures, que les collectivités locales concernées ont immédiatement refusé d’appliquer, apparaissent avoir purement et simplement été enterrées. Nouveau témoignage, si besoin était, que le Lobby de l’eau fait fi de toute loi ou règle qu’il n’ait pas lui-même édictée…
L’impact de la loi Hamon sur les usagers du service d’eau potable s’annonçait considérable.
Toutes les collectivités locales exerçant la compétence de distribution eau potable (17 000 en France...), allaient obligatoirement devoir proposer aux nouveaux abonnés au service (à dater du 17 mars 2004), la signature d’un CONTRAT, préalablement avant la délivrance d’eau, contrat qui devait spécifier un nombre incalculable d’informations :
– les modalités de fixation du tarif de l’eau...
– l’absence de conflits d’intérêts du prestataire !
– un délai de rétraction de 14 jours...
– des amendes si la loi n’était pas respectée, etc, etc.
Au cas d’espèce, si ces obligations innombrables n’étaient pas respectées, la CLASS ACTION devenait possible !
La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), diffusait en novembre 2014 à ses 800 collectivités membres une analyse juridique approfondie de l’impact de la loi Hamon sur le service public d’eau potable, et ses relations avec ses usagers, validant sans équivoque les contraintes nouvelles que les collectivités allaient devoir intégrer.
Ensuite : RIEN. Un refus unanime, catégorique, à l’initiative des plus grands services français : « Nous ne l’appliquerons pas… »
Eaux glacées interroge le 5 décembre 2014, M. Michel Desmars, chef du département « Cycle de l’Eau » à la FNCCR :
« Sur le plan juridique, je suis assez confiant dans notre analyse de la loi Hamon pour les services d’eau potable car nous l’avons validée avec la DGCCRF.
Sur le plan opérationnel, je comprends que des collectivités puissent être réticentes : la loi Hamon est certes très louable en ce qu’elle étend la protection des consommateurs, mais quelques dispositions ne sont pas très bien adaptées au cas des services d’eau potable, et peuvent même avoir des effets plutôt négatifs pour les abonnés de ces services. En particulier, la nécessité de fermer l’eau à la fin de chaque abonnement s’il n’y a pas très rapidement souscription d’un nouvel abonnement (afin d’éviter les consommations hors abonnement formellement établi, qui seront désormais difficiles à faire payer) va entraîner des opérations supplémentaires de fermeture et réouverture de branchements qui ont un coût, et qui diminueront également la qualité de service pour les usagers (les nouveaux arrivants dans un logement ne trouveront plus nécessairement l’eau disponible dès le premier jour).
Mais la loi est la loi (et en outre celle-ci dérive d’une directive européenne, et n’est donc pas facile à modifier). Mon avis est donc que les collectivités qui ne veulent pas l’appliquer finiront tôt ou tard par avoir des problèmes, soit avec les agents de la DGCCRF, soit avec les tribunaux.
Ceci étant, nous avons déjà répondu à de nombreuses questions de collectivités sur ce sujet, et nous avons tenu compte de leurs observations. Mais aucune ne nous a informés d’un désaccord total avec la présentation de la FNCCR. Nous serions donc très intéressés d’entendre leurs arguments. »
Bercy en fossoyeur
La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l’Economie publie dans la foulée un « guide pratique de nature à informer les consommateurs sur les contrats et factures de distribution d’eau potable. »
« Prenant en compte les dispositions de la loi Hamon, annonce la DGCCRF, ce fascicule propose une synthèse des différents textes de loi applicables à ces contrats, des principales clauses illicites ou abusives pouvant s’y trouver, et de leurs mentions obligatoires. Il indique également au consommateur vers quels interlocuteurs il peut se tourner s’il souhaite contester un élément de sa facture d’eau ou régler un litige avec son distributeur.
Les frais liés à la consommation d’eau et d’énergie font en effet partie des dépenses incontournables et représentent une part non négligeable du budget, notamment pour les foyers les plus modestes. »
Des « oublis » révélateurs
La Coordination des associations de consommateurs d’eau (CACE) a fort justement souligné que le recto verso de la DGCCRF comportait des « oublis » majeurs :
- moins de la moitié des usagers de l’eau potable et de l’assainissement (copropriétaire ou locataires) ne reçoivent pas de facture en provenance de l’exploitant ;
– les parts abonnement et consommation des rubriques distribution d’eau potable et collecte et traitement des eaux usées peuvent se dédoubler dans le cas d’une gestion en délégation au privé en :
– Part collectivité que l’exploitant reverse à la collectivité délégante pour lui permettre de faire face notamment aux investissements et extensions de réseau ;
– Part exploitant (ou délégataire) que cet exploitant garde pour lui et qui reflète les conditions contractuelles, en général léonine à son profit, de prédateur du service public ;
- Dans le cas d’une gestion en régie, la part exploitant n’existe pas puisque la régie est à la fois collectivité et exploitant du service.
– l’existence de seuils pour le montant total des parts abonnement par rapport au montant de la rubrique :
– 30 % pour une collectivité urbaine
– 40 % pour une collectivité
– 50 % pour une collectivité touristique
– l’existence de documents communicables (papier ou numérique ; consulter la CADA Commission d’Accès aux Documents Administratifs ; www.cada.fr) permettant à quiconque de prendre connaissance de la gestion de son service public contrepartie de la facture qu’il acquitte, voire de n’importe quel service français.
Ces documents sont :
o Le Rapport Annuel sur le Prix et la Qualité du Service (RPQS) produit par la collectivité (maire ou président de l’intercommunalité) ;
o Le Rapport Annuel du Délégataire (RAD) et son Compte Annuel du Résultat de l’Exploitation (CARE), qui devrait permetttre de contrôler l’activité du délégataire et l’aspect financier de l’exécution du contrat de délégation ;
(En réalité comme l’ont établi depuis fort longtemps nos amis de la CACE, ce fameux "CARE", conçu par le syndicat patronal des Trois Soeurs, ne permet aucunement de retracer l’équilibre économique du contrat. Pour commencer à s’en approcher il faut se livrer à des calculs des plus complexes, dont la quasi totalité des collectivités en DSP font pudiquement l’économie, étant le plus souvent dans l’incapacité de le mener à bien...)
o Les contrats de délégation (y compris annexes et avenants ;
o Tous les documents relatifs à l’activité du service et débattus en assemblée délibérante (conseil municipal ou comité syndical). Les débats de ces assemblées sont publics et il est très important d’y assister, même sans pouvoir y prendre la parole, pour demander des comptes aux élus qui y siègent.
– Les compte rendus des assemblées délibérantes ;
– La consultation du registre des délibérations ;
– Les audits, s’ils existent...
– Les rapports des Chambres Régionales des Comptes ;
– Les commandes et contrats passés avec des entreprises pour travaux ou cabinets d’experts ;
– Les bulletins d’analyse et l’appréciation de l’Agence Régionale de Santé (ARS) sur la qualité de l’eau distribuée, à la source, le long du réseau et au robinet. Ces bulletins doivent être affichés dans toutes les communes et consultables par le public.
Que faire ?
La France compte des dizaines de partis politiques, de syndicats, d’ONG, d’associations de défense des consommateurs…
Il suffirait à l’un d’entre eux d’analyser la loi Hamon et ses décrets d’application, l’analyse qu’en a fait la FNCCR et la fiche de la DGCCRF, pour y trouver les moyens juridiques incontestables d’engager à grande échelle une action de défense des usagers du service public d’eau potable.
Aucune organisation réputée défendre les intérêts des citoyens (surtout en période de crise) ne s’est emparée de cette question à ce jour.