Notre récent article sur l’invasion de nos belles rivières par un nouveau prédateur nous a valu nombre de réactions, comme celle de nos amis de l’EPTB Epidor en Dordogne, qui nous apportent des informations complémentaires sur un sujet autour duquel l’émotionnel prend souvent le pas sur les débats rationnels.
Sur la Dordogne, si le plan saumon pédale dans la semoule depuis 30 ans, le
silure n’y est pas pour grand-chose. Le problème c’est que plus de 50% (et probablement beaucoup plus) des individus n’arrivent pas à franchir les grands barrages de la basse Dordogne pour aller rejoindre les frayères. Ceci sans parler des éclusées, des problèmes de dévalaison, de qualité des eaux estuariennes...
Le silure est certes un très gros prédateur nouveau dans les rivières du Sud-Ouest. Mais pour EPIDOR, qui travaille depuis quatre ans de manière approfondie sur le sujet, le silure est un bel écran de fumée potentiel, bien pratique pour éviter d’aborder nombre de sujets qui fâchent. D’ailleurs EDF s’y intéresse fortement !
Les débats actuels qui tendent à le décrire comme un redoutable ichtyocide qui détruirait tout sur son passage rappellent d’ailleurs ceux qui avaient lieu dans les années 1980 après l’introduction du sandre.
EPIDOR a donc déjà recueilli pas mal de données sur l’alimentation du silure, après avoir analysé le contenu de 670 estomacs, dont 180 avec contenu.
En dehors du cas de la lamproie, qui est une proie très facile, et qui est d’ailleurs le migrateur qui se porte le moins mal, à chaque fois qu’un migrateur a été retrouvé dans l’estomac d’un silure, c’était au pied
d’un barrage (zone de blocage).
En ce qui concerne d’éventuelles mesures de gestion, EPIDOR a commencé à y réfléchir. Mais ce n’est pas si simple. Vu la prolificité de l’espèce, on ne peut espérer qu’une efficacité ponctuelle et temporaire.
Il est également nécessaire d’utiliser des techniques sélectives, et la ligne semble actuellement la seule à l’être véritablement.
L’établissement a aussi travaillé sur des idées qui permettront de mieux vivre avec le silure, puisqu’il est maintenant durablement implanté dans nos rivières.
commentaires
Merci pour ces liens. Le silure ne va certes pas dévorer tous les migrateurs, même si l’étude Loire montre qu’il ne dédaigne ni l’alose ni le saumon quand il est gros. Devenu symbole du fait de sa taille imposante et de son arrivée récente, il pose plutôt question sur la notion de condition de référence ou de peuplement originel d’une rivière. Il faut savoir que l’état écologique d’un cours d’eau s’estime aujourd’hui par écart à la norme de certains indicateurs biologiques, dont l’indicateur piscicole très utilisé (IPR, IPR+). En d’autres termes, on fait une comptabilité des poissons capturés et on compare à une typologie "idéale" de ce que devrait être le peuplement à cet endroit. Vous pouvez trouver une biodiversité et une biomasse importantes, mais si ce ne sont pas les espèces "normales" (espérées), le tronçon sera considéré comme dégradé.
En soi, une présence comme une absence peuvent être tolérées. On ne sait pas trop qui fixe le seuil de tolérance, au demeurant. Est-il tolérable d’avoir des silures, poissons chats, perches soleil, carpes, etc. sur des rivières où ces espèces n’étaient pas attestées au sortir de la dernière glaciation ? Est-il tolérable, en sens opposé, de ne plus avoir de saumons, aloses, lamproies, anguilles, etc. alors que ces espèces furent longtemps présentes ? Veut-on (ne veut-on pas) ces espèces sur toutes les rivières où elles sont "typologiquement" attendues ? Sur un quota de rivières "témoins" ? Est-ce simplement raisonnable de prétendre maîtriser l’ensemble des paramètres de peuplement et dépeuplement d’une rivière, de surcroît dans des délais rapides si cette maîtrise résulte d’une obligation à échéance comme la DCE 2000 ?
Le silure, c’est un peu l’anti-saumon dans le discours : l’étranger inquiétant versus l’identitaire désirable. Mais le silure n’est pas si étranger au fond, il était dans nos rivières au Pliocène et au Miocène. Un paquet de millions d’années certes... où s’arrête l’ancestralité de référence du peuplement ? Le saumon pour sa part n’est pas seulement emblématique d’une espèce appréciée, il est aussi symbole d’une rivière de qualité (alors que le silure ubiquiste se plaît partout, même en eau dégradée) : pas d’obstacles en montaison, pas de turbine en dévalaison, pas de chenalisation estuarienne, pas de pollutions, pas de colmatage des fonds, pas de milieux banalisés, pas de réchauffement ni d’acidification de l’eau, pas de pathologies émergentes, pas de pression de surpêche, etc. Cela revient grosso modo à déconstruire deux siècles d’impacts humains sur les bassins (et au-delà sur le climat). Pourquoi pas mais affirmer qu’il suffit d’une "plan" avec quelques dizaines ou centaines de millions d’euros, et laisser espérer un horizon temporel de succès de quelques années, c’est tromper le public.
Juste à titre d’illustration : http://www.arte.tv/guide/fr/051451-000-A/le-silure-geant-des-rivieres?autoplay=1
Les résultats récents produits sur la Loire sur un secteur sans ouvrages transversaux apportent des éléments complémentaires très intéressants, notamment sur la prédation des espèces amphihalines... Voici le lien vers le résumé de ce travail : http://www.saumon-sauvage.org/sites/www.saumon-sauvage.org/files/documents/resume_4p_silurusalosa_v1.pdf