Des centaines d’organismes publics permettaient jusqu’à présent à des milliers d’associations de défense de l’environnement de faire entendre leur voix dans tous les domaines sensibles de la question environnementale. Le gouvernement vient d’y mettre un terme en publiant au Journal officiel le 13 juillet 2011 un décret qui restreint considérablement les conditions de participation du secteur associatif au débat. Une association devra en effet compter désormais au moins 2000 membres pour participer aux travaux de ces instances… Une véritable mise sous tutelle, préparée depuis plusieurs mois, comme le révélait un récent rapport parlementaire.
La manœuvre est simple et vise à mettre un coup d’arrêt à l’action des associations les plus gênantes pour le pouvoir et tous les lobbies.
Le ministère de l’Ecologie et un groupe de parlementaires qui n’ont toujours pas digéré l’affront du Grenelle, qui avait vu dans un premier temps les élus être bousculés par la société civile développent en substance l’argumentaire suivant :
« Les Français vont de plus en plus financer dans les prochaines années par leurs dons les associations de défense de l’environnement. Certaines d’entre elles, qui se qualifient de « lanceurs d’alerte » ont développé une véritable expertise, et conduisent une guérilla obstinée, qui rend de plus en plus malaisée la gestion des problèmes « sensibles ». Mais comme la « gouvernance » de ces empêcheurs de polluer en rond est critiquable (entendre qu’ils ne se couchent pas immédiatement devant tous les lobbies…), on va trier le bon grain de l’ivraie, et « labelliser » les associations « responsables », qui auront seules le droit à l’avenir de siéger dans toutes les instances au sein desquelles s’organise le débat public sur les sujets les plus sensibles, et donc les plus controversés…
Pour Mme Corinne Lepage, présidente de Cap21, ancienne ministre de l’Environnement, qui a dénoncé la manœuvre dans un communiqué diffusé le 19 juillet, ce texte est liberticide.
« Les mauvais coups se font généralement le 14 juillet ou le 15 août. C’est encore plus tentant en période de crise majeure, comme actuellement. C’est sans doute pour cette raison que le Journal officiel du 13 juillet publie un nouveau décret concernant les associations.
Celui-ci fixe les modalités d’application au niveau national de la condition prévue au premier point de l’article R.141-21 du code de l’environnement, concernant les associations et fondations souhaitant participer au débat sur l’environnement dans le cadre de certaines instances.
Pour pouvoir participer, une association devra désormais compter au moins 2 000 adhérents. Quant aux associations d’utilité publique, elles devraient exercer leur action sur la moitié des régions au moins, et disposer d’un minimum de 5 000 donateurs, pour pouvoir se faire entendre.
Les seuls organismes ayant le droit de le faire entendre leur voix sur les politiques environnementales sont des organismes publics au sein desquels seules ces grandes associations ont le droit d’être représentées. De plus, l’Etat s’octroie le droit de vérifier les conditions de financement des associations pour s’assurer « de leur indépendance ».
Ce texte est donc liberticide au regard de la liberté d’association, ou plus précisément du droit des associations à se faire entendre. Il exclut en particulier toutes les associations d’experts qui ont fait l’essentiel du travail en termes d’alerte au cours des dernières années, comme l’ont immédiatement souligné les mouvements les plus directement concernés :
« Mouvement des générations futures – Criirad, Criigen, Réseau santé environnement, Inf’OGM, pour n’en citer que quelques-uns – n’auront aux termes de ce texte plus le droit de participer, voire plus le droit d’être agréés puisque c’est l’agrément au titre de l’environnement lui-même qui est touché par ce décret scélérat.
Autrement dit, non seulement aucun texte de protection des lanceurs d’alerte n’a jamais été pris par ce gouvernement, du temps de monsieur Borloo comme a fortiori du temps de madame Kosciusko-Morizet, mais plus encore, c’est la capacité des associations les plus dérangeantes pour les lobbies défendus par le gouvernement qui est ici mise en cause.
En effet, sans agrément, la capacité de porter plainte avec constitution de partie civile reste très réduite.
Dans ces conditions, les procès mettant en cause ces lobbies deviennent beaucoup plus difficiles.
De la même manière, le fait que les agréments soient conditionnés par le nombre de personnes rendra très difficile la tâche des associations locales, constituées contre tel ou tel projet, telle ou telle infrastructure. Les préfets pourront toujours soutenir qu’elles ne remplissent pas les conditions.
Ainsi le gouvernement s’est-il attaqué avec efficacité, une fois encore, aux modestes contre-pouvoirs que notre pays compte encore. »
Un courrier de protestation rédigé par plusieurs dizaines de petites associations, contresigné par le WWF et Greenpeace, a déjà été adressée à madame Kosciusko-Morizet,
A contrario France Nature Environnement (FNE), dont 70 % du financement est public, approuve la mesure dans une lettre interne :
« Une réforme globalement positive, notamment grâce à l’intervention de FNE
Cette réforme était nécessaire. En effet, si la diversité contribue souvent à l’intérêt du débat, les conditions actuelles d’octroi de l’agrément aboutissaient à des abus. C’est bien la légitimité et la représentativité qui doivent d’abord primer dans le dialogue environnemental. »
Sources :
Lire aussi :
L’Etat s’attaque aux lanceurs d’alerte
Blogs-Mediapart, 22 juillet 2011.
L’Etat se débarrasse des associations qui dérangent
Basta, 1er septembre 2011
La réforme de l’agrément menace-t-elle l’indépendance des ONG ?
Actu Environnement, 15 septembre 2011