Le 22 juin dernier les élus qui siègent au conseil d’administration du Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de la région parisienne (SIAAP), le plus grand donneur d’ordres européen dans le domaine de l’environnement, doté d’un budget d’un milliard deux cent millions d’euros, et qui épure les eaux usées de dix millions de Franciliens, ont adopté, à l’unanimité, dans la plus grande discrétion une délibération qui ouvre la voie, avec la création d’une SemOp à l’usine de Valenton, à la privatisation, au bénéfice de Suez, d’un service public essentiel.
Il s’agit, sur la base d’un rapport daté du 7 juin 2016 aux données totalement orientées, voire mensongères, soumis au Conseil d’administration par le Président (PCF) du syndicat, M. Belaïde Bedreddine, adjoint à la petite enfance à la mairie de Montreuil et conseiller départemental de la Seine-Saint-Denis, de décider que la gestion de la gigantesque station d’épuration de Valenton, qui était jusqu’alors confiée en DSP à une filiale de Suez-Lyonnaise, Sequaris, soit effectuée à l’avenir par… une SEMOP, dont 60% du capital sera détenu par Suez et 40% par le SIAAP !
Ceci au motif qu’une gestion en régie exigerait l’embauche de 109 agents supplémentaires ! Ce ratio a été obtenu en procédant à des calculs d’équivalents temps plein (ETP) totalement biaisés, à partir d’une comparaison entre différentes usines du syndicat, dont les filières techniques ne sont pas identiques, ce qui invalide d’emblée les comparaisons farfelues du nombre de personnels nécessaires à leur fonctionnement.
Cette affirmation extravagante ne résiste donc pas à l’examen, et est fermement dénoncée par les syndicats de personnels du SIAAP. On s’étonne dès lors que des élus “de gauche" aient pu l’avaliser les yeux fermés…
Il est vrai qu’un mois plus tôt, Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris en charge du Grand Paris, assistait aux côtés de Jean-Louis Chaussade, directeur général de SUEZ Environnement, et Chantal Jouanno, vice-présidente de la Région Ile-de-France, à l’inauguration en fanfare par Belaïde Bedreddine, président du SIAAP, de "BIOGNVAL", une "solution inédite pour valoriser les eaux usées en biocarburant liquide".
En lieu de "nouvelle révolution industrielle", il ne s’agissait en réalité que d’un "pilote" (qui permettra ultérieurement de "développer la filière au plan mondial"), mais qui se contente en attendant de produire... une tonne par jour de biogaz, soit deux pleins de poids lourd...
Aucune communication n’a été effectuée depuis lors sur l’affaire du projet de SemOp, aux conséquences incalculables, sinon la polémique qui nous oppose à SUEZ-LDE sur la question des SemOp.
L’affaire est décisive. Denis Dessus, vice-président de l’Ordre national des architectes, dénonçait dans Politis le 7 mai 2014 le projet de loi créant les Sociétés d’économie mixte à opération unique (SemOp), grâce auquel “Les majors du privé allaient devenir opérateurs publics” :
« Les élus politiques pensent ainsi pouvoir contrôler le prestataire privé, major du secteur, ce qu’ils n’arrivent pas à faire en PPP. Bien au contraire, ils vont se trouver liés, avec une indétermination patente dans l’attribution des responsabilités en cas de litige sur l’exécution du contrat, et des conflits d’intérêt inévitables au cas où le pouvoir adjudicateur serait amené à agir contre un cocontractant dont il serait actionnaire et co-décisionnaire ! »
(…)
« Certaines collectivités pensent avoir trouvé la formule, la simplification d’un contrat global sur des décennies, la possibilité d’éviter les dérives des PPP et de s’affranchir des règles et du contrôle du Code des marchés publics, alors qu’elles vont au contraire se retrouver piégées, et les usagers encore plus ! Cette proposition de loi a été voulue par les établissements publics locaux (EPL), organismes avec les élus des collectivités comme administrateurs, qui se développent partout sur le territoire en raison du retrait des services de l’état. »
(…)
« L’autre lobby est celui des grandes entreprises, de l’eau notamment. En privatisant les services publics, sans contrôle possible et de façon quasi définitive, car comment imaginer que la SEM qui aura grossi et embauché sera dissoute au bout de 20 ou 30 ans, les décideurs politiques jouent un jeu dangereux qui engagera leurs collectivités bien au-delà de leurs propres mandats. Dans cette procédure, l’entreprise, major du secteur, devient l’opérateur global, dans l’objectif, naturel pour une société privée, de faire le plus de profit. La conséquence inévitable de l’absence de remise en concurrence sera l’augmentation des prix des services payés par l’usager ! »
Le coup de force de SUEZ-Lyonnaise, s’il devait aboutir, signerait le premier acte de la privatisation du SIAAP, qui assure l’épuration des eaux usées de près de dix millions de Franciliens, dans la mesure où la station de Valenton représente près du tiers de la capacité épuratoire globale du syndicat.
Les syndicats du SIAAP dénoncent aussi d’autres décisions prises par son président, qui témoignent toutes d’une fuite en avant vers la privatisation.
Ainsi, contre l’avis du dernier Comité Technique Paritaire, Bélaïde Bedreddine vient-il d’imposer la fermeture de l’usine de Pierrelaye, la privatisation du service des espaces verts et celui des passeurs de Seine sur l’usine d’Achères, sans parler du gel des effectifs, alors que la quasi-totalité des usines du SIAAP fonctionnent avec des effectifs à flux tendus. A venir aussi, la privatisation du service informatique…
L’affaire est d’autant plus choquante qu’elle intervient dans le contexte d’une enquête conduite depuis trois ans par deux juges d’instruction parisiens visant trois affaires distinctes de surfacturations estimées à près de 700 millions d’euros, liées à trois chantiers du SIAAP…
Elle s’inscrit aussi, et surtout, dans les grandes manoeuvres déjà engagées pour retrouver le primat de la gestion privée de l’eau dans la région parisienne, mis à mal par la republicisation décidée à Paris par Bertrand Delanoë en 2010.
A l’approche de 2017, la mise en oeuvre du scénario de reconquête soigneusement préparé depuis le mitan des années 2000 ne cesse de s’accélérer.
Le vote de la délibération adoptée le 22 juin dernier par l’ensemble des élus « de gauche » de Paris, des Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne siégeant au SIAAP, favorable à la création d’une SemOp à Valenton, résonne ainsi comme un véritable glas des espoirs nés en 2010.
La théorie des dominos est rarement démentie par les faits, surtout si l’on songe à la séquence politique qui s’annonce en région parisienne : 2017, 2020, 2022, 2024…
Vers une nouvelle SemOp de LDE-SUEZ à La Seyne...
LDE-SUEZ s’indigne, nous accusant, pas plus tard qu’hier, de "complotisme", quand nous dénonçons son activisme pour "offrir" aux collectivités, via des bureaux d’études aussi complices que duplices, de créer une SemOp, instrument juridique qui institutionnalise le conflit d’intérêt, comme jamais dans l’histoire agitée de la commande publique en France.
Nouvel épisode aussi navrant que scandaleux avec la décision de la municipalité de La Seyne, qui va créer une SemOp, dont LDE-SUEZ détiendra cette fois 65% du capital :
https://www.ouest-var.net/actualite/la-seyne-pas-de-regie-municipale-pour-l-eau-12291.html
Où l’on voit des élus, dépassés, inconscients des enjeux, se faire rouler dans la farine par une multinationale qui ne se pare des plumes de la RSE et du développement durable que pour mieux asseoir sa domination sans partage sur un bien public essentiel.
Lire aussi :
– Veolia (sociétés dédiées) versus Suez (SemOp)
http://www.eauxglacees.com/Veolia-societes-dediees-versus
Les eaux glacées du calcul égoïste, 13 septembre 2016.
– SemOp : la polémique Eaux glacées - Suez rebondit
http://www.eauxglacees.com/SemOp-la-polemique-Eaux-glacees
Les eaux glacées du calcul égoïste, 18 octobre 2016.