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LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE
FLUX
Le SAGE jardinier de la terre, par Dominique Bonnard (*)
par Marc Laimé, 16 mai 2014

L’écologie et au travers de celle-ci, l’agriculture biologique bien pensée situe les êtres vivants dans leur habitat et cherche à les comprendre au travers des relations qui les lient les uns aux autres. En quelque sorte, la fonction du SAGE est de se poser en jardinier de la terre garant d’une ressource eau pérenne, garant aussi du partage équitable de ce bien commun. C’est ce paradigme qu’a développé l’association des usagers de l’eau des Pyrénées Orientales, en participant à un atelier du SAGE plaine du Roussillon le 9 avril 2014.

« Les nouveaux acquis, la nouvelle donne font que nous sommes dorénavant dans un
espace fini, non extensible. Cela oblige les sociétés humaines à repenser les techniques
d’exploitation et de recyclage.

Aujourd’hui, l’eau contemporaine a changé de statut, elle commence à être gérée de
manière globale. De nouvelles préoccupations sont apparues telles que la protection de la
biodiversité et du paysage, telle la préservation des écosystèmes, l’eau est « un milieu de
vie » tout ceci constitue les éléments garants de la pérennité de la ressource. Longtemps,
on a pensé que « l’eau pouvait être considérée comme abondante ».

Aujourd’hui les
citoyens, de part notre mode de développement, commencent à comprendre qu’elle est
devenue « un bien limité à la qualité menacée » avec une pollution de plus en plus diffuse
et complexe.

La vitesse est l’autre paramètre, en effet notre capacité à bouleverser le milieu naturel est
sans précédent.

L’écologie et au travers de celle-ci, l’agriculture biologique bien pensée situe les êtres
vivants dans leur habitat et cherche à les comprendre au travers des relations qui les lient
les uns aux autres. En quelque sorte, la fonction du SAGE est de se poser en jardinier de
la terre garant d’une ressource eau pérenne, garant aussi du partage équitable de ce bien
commun.

Ces dernières décennies ont apporté une connaissance nouvelle et approfondie du vivant
et de la dynamique des écosystèmes (1). Nous devons désormais agir avec la nature et
non en nous considérant comme des chefs d’orchestre que nous ne sommes pas. Nous
vivons en ce moment l’effondrement d’un système économique fondé sur l’exploitation de
ressources naturelles pensées commet inépuisables. Nous savons maintenant que celles-ci
sont limitées.

Il est utile de rappeler les principaux effets néfastes de l’agriculture chimique : celle-ci
repose sur l’usage d’ intrants, donc sur la question de l’énergie et du pétrole d’où une fuite
en avant sans issue. 53% des eaux souterraines en France (2) présentent des concentrations
de pesticides trop élevées. Les monocultures et cultures intensives appauvrissent la
biodiversité, stérilise la terre à terme, Les exemples se faisant de plus en plus nombreux. Ce
système économique entraîne une perte de la vie sociale des territoires et de la connaissance
subtile de ces derniers.

L’agriculture vivrière ne peut être placée sur le marché du libre
échange, c’est un crime. Nous avons ainsi construit une agriculture hors-sol (3).

L’agriculture agrochimique du modèle dominant s’autoproclame « agriculture
traditionnelle »
mais en réalité son histoire ne remonte qu’à une soixantaine d’années. Ce
modèle agricole n’aura représenté qu’une parenthèse de l’évolution de l’humanité liée à
l’exploitation des énergies fossiles. L’agriculture biologique quant à elle est en fait la
véritable héritière de l’agriculture paysanne en cherchant à renouer avec les fondements
d’un travail de la terre en résonance avec le milieu ambiant.

Cultiver la terre autrement est donc devenu un impératif. Traiter en aval les effets d’une
agriculture prédatrice de la ressource eau est un luxe et un gâchis que l’on ne peut plus se
permettre parce que nous n’en avons plus les moyens. A cela s’ajoutent les effets collatéraux
de cette politique sur la santé humaine avec l’effet cocktail que confirment aujourd’hui
nombre d’études des services de santé. La grave dégradation actuelle du cheptel apicole
en traduit un autre aspect (4).

C’est pourquoi, à tous les niveaux, il nous faut aujourd’hui privilégier le qualitatif sur le
quantitatif. Nous avons quitté de fait l’ère du quantitatif pour nous engager dans celui
du « bien vivre » qui est en fait une quête de cohérence de vie.

L’agriculture biologique paysanne reprend nécessairement à son compte une redéfinition
des espaces et du paysage avec notamment le rôle protecteur des haies dans le
ruissellement des eaux. L’agriculture biologique pourvoyeuse de main d’oeuvre, engendre
une nouvelle dynamique sociale, économique et culturelle du territoire. Il est évident que
l’agriculture biologique à laquelle nous faisons référence est celle des circuits courts où
l’on sait qui est qui et qui fait quoi. Quant à celle qui cherche a capter la forte demande
en constant essor d’aliments sains et diversifiés par de pseudo cahiers des charges
élastiques ou sous l’étiquette d’une agriculture raisonnée (...) (5), ces productions
opportunistes n’ont rien à voir avec le mouvement de mutation sociétale que nous
connaissons.

La sécurité alimentaire des peuples repose sur une agriculture vivrière locale diversifiée,
associant de nouveau élevage et culture.

L’agroécologie n’est pas destiné à des
consommateurs privilégiés, elle représente une alternative à l’impasse dans laquelle nous
sommes.

La gestion locale de l’eau nécessite des espace agricoles vivants, en osmose
avec le milieu naturel, qui réinvente une unité du territoire et du vivant. Tout comme
l’artisanat, l’agriculture s’est laissé déposséder de ses savoirs au profit de techniciens et de
techniques industrialisées. Raisons pour lesquelles les exploitants agricoles appartenant au
système dominant sont sur la défensive face à la mutation en cours.

La renaissance d’une agriculture vivrière portée par de nouvelles générations qui ne sont pas nécessairement issues du milieu agricole redonne du sens au travail de la terre, offre une perspective attractive, désirable (6).

La reconfiguration des territoires aujourd’hui se traduit par des espaces agricoles, des espaces naturels, des « tiers-paysages » laissés pour compte comme les nomme Gilles Clément ainsi que des espaces urbanisés qui, tous, appartiennent aujourd’hui à un ensemble indissociable de patrimoine commun.

En conclusion, il me semble utile et nécessaire d’approfondir cette réflexion sur la
mutation agricole en cours (7), et non d’esquiver ou d’étouffer cette réflexion sous prétexte
de lourds conflits d’intérêts et de tensions à venir. Le mieux est bien d’en parler, de dire
les choses telles quelles se présentent.

La superficie agricole en Languedoc Roussillon a reculé de 1 % par an entre les deux
derniers recensements : c’est énorme. Partout on observe une conversion des terres
agricoles en terres constructibles. Cette période caractérisée par une forte pression
démographique, nous ne voulons pas la considérer comme une fatalité inéluctable, comme
un état de fait. Une expansion infinie des habitats sur le territoire et de l’urbanisation n’est
plus envisageable aujourd’hui. Cela va à l’encontre des lois de l’écologie et des
écosystèmes qui sont devenus les fondements de nos travaux.

Paradoxe de cette crise profonde de gestion des ressource en eau, celle-ci nous
offre l’ opportunité unique de réfléchir tous ensemble au sein de la structure du SAGE :
associations d’usagers, associations environnementales, élus, syndicats, organisations
agricoles, ASA, Agence de l’eau, représentants de l’ Etat, chercheurs, etc., sur les conditions
à réunir pour une gestion pérenne et équitable de la ressource. Et cela nous conduit
nécessairement à poser des questions sur les choix économiques.

Le SAGE parle d’écologie scientifique sur laquelle s’appuie une politique
environnementaliste qui ne résoudra rien le fond des problèmes.

Maintenant nous y
sommes et il n’y a plus à tergiverser. Nous allons devoir penser en termes d’écologie
politique.

Le SAGE développe une éthique de la responsabilité, c’est pourquoi nous avons
l’impérieuse nécessité d’élever le débat, prendre du champ par rapport aux conflits
d’usages, aux urgences qui nous pressent pour poser les bases des conditions du devenir
viable des hommes qui nous succéderont sur ce territoire.

La gestion de l’eau nécessite d’être pensée dans la durée, chacun le sait.

Par la force des choses nous allons devoir être économe de la ressource.

Par la force des choses, nous allons devoir être solidaires. Alors commençons !

Comme nous l’évoquions en préambule, notre capacité à bouleverser le milieu naturel est
sans précédent. On assiste actuellement à une exponentielle technologique, financière et
énergétique qui ne résoudra rien et ne peut que générer de la rareté en termes de ressource en
eau. Il faut agir en amont des problématiques alors que tous les modes de gestion actuels
n’interviennent qu’en aval des problèmes.

70 % de l’eau douce est utilisée par l’agriculture (8), c’est pourquoi la question du travail de
la terre est centrale dans la gestion des masses d’eau. Les exploitants agricoles apôtres du
modèle dominant sont en souffrance.

Il y a aujourd’hui perte de sens dans leur rôle. Ils
doivent entendre et ils l’entendent, l’obligation de restituer l’eau à la terre en l’état dans
lequel ils l’ont reçue. Et nous devons les aider pour cela.

Il nous faut à la fois gérer au mieux, ou disons au moins mal, la situation présente et ce
sera un casse tête. Parallèlement nous devons reconsidérer les usages, les modes de
gestion,les techniques et les technologies employées portés par l’ utopie de réconcilier l’
homme avec son milieu naturel.

L’urgence première face à toutes ces questions repose sur l’engagement de nos élus
locaux, maillon faible des SAGE, afin que ceux-ci entrent en compétence, prennent
intérêt aux tenants et aboutissants d’une gestion pérenne de la ressource eau.

Le service public de l’eau est très mal en point, la politique du chacun pour soi, à
commencer par celle des plus aisés, est déjà bien engagée avec l’explosion des forages
privés à laquelle nous assistons, qui sape les fondements de toute politique publique viable.

L’eau est une ressource locale, sa gestion doit rester au plus près du local avec
l’implication du plus grand nombre des usagers. La mise en commun est la garantie d’une
gestion pérenne de la ressource eau : informer, associer, impliquer le plus grand nombre des citoyens dans une transparence de gestion du premier des biens communs. »

(*) Dominique Bonnard

Pour l’association des Usagers de l’eau des Pyrénées Orientales

(1) Chacun pourra se reporter aux publications des travaux de recherches sur les dynamiques des sols de Claude et Lydia Bourguignon ou ceux de Bernard Bertrand, Victor Renaud ou Gilles Clément pour ne citer que ces cinq figures.

(2) Sources : Ministère de l’Ecologie, BRGM.

(3) Nous sommes pour un protectionnisme agricole afin que chaque peuple oeuvre à son autosuffisance vivrière. On ne peut mettre sur le le libre marché les fondements de l’autonomie des peuples au risque de produire de dangereuses dépendances politiques. La France tout comme l’Allemagne, l’Angleterre et les Etats Unis ont toujours pratiqué un protectionnisme agricole qui ont fondé leur suprématie politique dans le monde.

(4) La France reste, le premier utilisateur de pesticides (fongicides, insecticides, herbicides) en Europe avec l’usage de 70 000 tonnes par an (sources statistiques Sénat)

(5) Le cahier des charges « Nature et Progrès » , situé parmi les plus rigoureux ne représente que 5 % de l’offre en production biologique. Il faut savoir que durant ces trente dernières années, la demande à toujours été supérieure à l’offre et pourtant, nous n’avons jamais connu de rupture de l’offre. Celle-ci s’adaptant à la demande au travers de cahiers des charges complaisants et d’importations toujours croissantes (60 % de la consommation de produits « biologiques » sont actuellement importés)

(6) Aux Etats Unis, ce sont actuellement plus de 50 millions d’habitants qui s’approvisionnement en produits de maraîchage biologiques locaux au travers de circuits courts tels que coopératives d’achats, équivalents de nos AMAP. Mouvement porté principalement par la jeunesse américaine. On assiste à l’émergence d’un mouvement de même nature en Europe actuellement au travers d’associations telles que « Slow food » et les actions pour des cantines scolaires bio.

(7) Voir les analyses développés depuis plus de quarante années par Edgar Pisani, René Dumont, François de Ravignan ou plus récemment Sylvia Perez-Victoria et Marc Dufumier

(8) Sources : Ministère de l’ Ecologie.

Lire aussi :

- La ligne de partage des eaux, entretien avec la géographe Isabelle Lajeunesse

Zéro de conduite.net

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