Eau et rivières de Bretagne nous alerte à juste titre sur un amendement déplorable (scandaleux !) voté en catimini par les députés dans la nuit du 16 au 17 juin 2010. A rebours des déclarations officielles, l’état ouvre la voie à une extension sans précédent des porcheries industrielles. « Vivre et penser comme des porcs », fustigeait le regretté Gilles Chatelet, dans un remarquable pamphlet publié en 1998 (*). Nous y sommes.
« L’adoption par la commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale, de l’amendement de plusieurs députés bretons, visant à relever le seuil d’autorisation pour les porcheries de 450 à 2000 places (!) est une véritable déclaration de guerre à la politique environnementale. Il a été voté hier soir mercredi 16 juin, en catimini, à l’occasion de l’examen du projet de loi sur la modernisation agricole.
« Le prétexte d’une harmonisation européenne ne tient pas : aucune disposition européenne n’impose à la France de relever ce seuil. Par contre, comme chacun sait, la France a déjà été condamnée (captages eau potable) et se trouve toujours sous la menace de nouvelles condamnations européennes (directive nitrates), faute d’avoir suffisamment restauré la qualité de ses eaux. « Ce n’est pas cet amendement qui va nous y aider » a indiqué Jo Hervé, le Président d’Eau & Rivières de Bretagne.
« Pour tous les projets de créations ou d’extensions jusqu’à 2000 places de cochons, (soit 5000 porcs produits par an), ce relèvement aurait comme conséquence immédiate
– de les dispenser de la réalisation d’une étude d’impact sur l’environnement ;
– de supprimer toute enquête publique et tout avis des conseils municipaux concernés ;
– d’éviter l’examen des projets par les Conseils Départementaux d’Hygiène.
« S’il devait être confirmé en séance plénière par l‘Assemblée Nationale, cet amendement conduirait à priver l’Etat de toute capacité à réguler la pression polluante, puisque les préfets ne peuvent juridiquement s’opposer à la simple déclaration à laquelle seraient soumises les porcheries industrielles.
« L’Etat vient d’engager un plan de lutte contre les marées vertes en Bretagne qui va mobiliser 120 millions d’euros ; il est toujours sous la menace d’importantes sanctions financières dans le cadre du contentieux européen sur les nitrates. Le vote de cet amendement aberrant rendra encore plus difficile la lutte contre les pollutions par les nitrates et ces marées vertes. Il va aggraver un peu plus le fossé entre la société et le monde agricole.
« ERB saisit ce jour les parlementaires bretons pour leur demander de revenir sur cet amendement déplorable à l’occasion de l’examen en séance plénière prévu le 30 juin prochain. En lien avec France Nature Environnement, l’association alerte le Ministre d’Etat, Ministre de l’Ecologie, pour qu’il fasse revenir la majorité parlementaire à la raison.
« Dans l’attente de l’examen du texte en séance plénière, Eau & Rivières de Bretagne suspend immédiatement toute participation aux instances environnementales consultatives auxquelles elle est associée. »
Nitrates à la mer
La carte ci-dessous (*) atteste que les rivières bretonnes rejettent annuellement à la mer de 10 à 97 kilos d’azote par hectare de bassin versant, pour une moyenne régionale de 25 kilos.
Si l’on excepte le bassin versant de la Vilaine, très étendu, cette moyenne monte à 33 kilos...
Record absolu : une petite rivière léonarde, le Guillec, avec 97 kilos !
A côté l’Horn (en contentieux eaux-brutes) : 62 kilos, l’Elorn : 53 kilos, etc...
A comparer avec les autres fleuves atlantiques : le Mississipi, 6 kilos, l’Amazone, 5 kilos, le Saint Laurent, 4 kilos. Et pour les fleuves nord- européens : le Rhin et l’Oder 15 kilos, la Seine 12,5 kilos, la Loire 9 kilos...
(* Source : ENSA Rennes, Conseil Scientifique de l’environnement de Bretagne).
Salades de cochons
« Cet été, il faudra faire gaffe aux tractopelles sur les plages bretonnes !, met en garde Le Canard Enchaîné dans son édition du 16 juin 2010. Comme chaque année ce sont 200 000 tonnes de laitues vertes qui vont venir s’échouer sur les Côtes-d’Armor et le Finistère.. Des
« ulves » qu’il va falloir exfiltrer à la hâte par pleins camions bennes avant qu’elles ne pourrissent.
L’an dernier, à Saint-Michel-en-Grève, deux chiens et un cheval sont morts, asphyxiés par les vapeurs toxiques. François Fillon était aussitôt accouru pour déclarer la guerre totale aux algues vertes, avec à la clé 134 millions d’euros pour cinq ans. Mais c’est loin d’être gagné. Les communes qui doivent se coltiner chaque jour le ramassage des algues ne savent pas comment s’en débarrasser.
On a bien construit à la hâte dans les Côtes-d’Armor, pour 8 millions d’euros, deux usines capables de réduire en compost 30 000 tonnes de laitues de mer par an. Mais c’est à peine la moitié de ce que le département récolte tous les ans sur ses plages.
Résultat : tous les jours des camions bennes font des centaines de kilomètres pour acheminer le surplus d’algues jusqu’à une autre usine à Nantes. Bravo pour le bilan carbone !
Certes, l’Etat a promis de s’occuper des fautifs, les 14 millions de cochons, dont le lisier farci de nitrates engraisse les algues vertes. Afin de les inciter à mettre la pédale douce sur les rejets de nitrates, il est prévu de subventionner les éleveurs à hauteur de 80 millions d’euros sur cinq ans. Comme l’a promis la secrétaire d’Etat à l’Ecologie, Chantal Jouanno, il faudra aussi « éviter que les cheptels d’animaux ne s’agrandissent ».
Démonstration avec le récent feu vert donné par le préfet des Côtes-d’Armor à la construction à Trébivon d’une maternité porcine géante : 883 truies qui pondront 25 000 porcelets par an. De là à dire que c’est du travail de cochon… »
Contact :
Jean-François Piquot, porte parole ERB : 02 99 06 74 39
Gilles Huet, Délégué général ERB : 06 80 25 21 90
(*) « Vivre et penser comme des porcs. De l’incitation à l’envie et à l’ennui dans les démocraties-marchés », Gilles Chatelet, Exils, 1998. (Réédité en poche par Folio "Actuel").
Lire aussi :
"Contre l’amendement Le Fur : Résistance"
AE2D Brest, 18 juin 2010.
Signer la pétition contre l’amendement Le Fur sur le site de Cyberacteurs
"Pour une politique agricole saine, durable, juste et solidaire
Bastamag, 18 juin 2010.
commentaires
C’est Isabelle Autissier qui va être triste (une ex-Ingénieur Agro tout de même) !
Au passage sur Chatelet : un petit lien sur l’excellent Article 11
Vivre et penser....et péter comme des porcs : quelques kg de P en plus pour le Grenelle comme pour les porcheries. Et aussi des rivières un peu plus vertes !