Ad augusta per angusta. Une promenade inopinée un samedi matin sous la pluie et voilà que nous découvrons ébahi pourquoi et comment la facture d’eau des Franciliens va subir dans les toutes prochaines années le contrecoup d’une spéculation effrénée, sans précédent depuis les grandes heures du gaullisme immobilier.
Le Grand Paris Express c’est 68 nouvelles gares en première et seconde couronne de la Métropole, pour un coût de 35 milliards d’euros.
A côté, (1971, souvenirs, souvenirs), la Garantie foncière et Lipsky jouaient dans le bac à sable.
Hier matin, sous la pluie, nous nous en allions vaillamment faire l’acquisition des ingrédients nécessaires à la confection d’une feijoada au supermarché (E viva Porto !) Primland, sis 88 boulevard Edouard Branly à Romainville, en lisière de Montreuil.
Romainville ! Corinne Valls, Don Bartolone ! Avant d’avoir fait ouf on est déjà à la troisième saison du Parrain...
L’autre marché canal portuguese historique du dimanche matin aux Quatres Chemins, avec le vrai chou à lapin, à peine sorti du tromé, on se fait maintenant alpaguer par des petits revendeurs comme dans The Wire, tout fout le camp.
Bref, ici, en lointaine filiation des dérives psychogéographiques chères aux situs, impossible de faire mieux, sans compter qu’avant que le Comité du Tourisme du 93 n’y parachute des bobos à poussette, ce sont quelques générations de grossiums de l’immobilier qui se seront carapatés Outre-Quiévrain.
Bus 96 depuis Ménilmontant jusqu’à Porte des Lilas, puis le 105 de Porte des Lilas à Carnot, puis le 322 depuis Carnot jusquà l’antre bénie du Chourizo et de la morue sèche.
Au carrefour Carnot, une emprise d’un bon hectare sur laquelle d’immenses engins de chantier à l’arrêt entourent un gigantesque réservoir en alu, d’une bonne quinzaine de mètres de haut, ressemblant à un gazomètre (avec les petites échelles sur le côté) : la future gare Carnot dans le prolongement de la ligne 11 du métro parisien.
Encore cinq stations dans le 322 et voilà Primland, paumé au milieu de nulle part, cerné par les bretelles de l’A3 en lisière de Montreuil, le haut, pas les bobos.
Dans le bas Montreuil, c’est Carrefour, et les marchands d’essence, qui créent des "nouveaux lieux de vie", faut le voir pour y croire :
http://www.datapressepremium.com/rmdiff/2005161/diff_2021018050717192555.pdf
Emplettes faites, je traverse le boulevard pour repartir dans l’autre sens, et me retrouve juste en face d’un autre chantier, un immense trou dans la boue au fond duquel s’affairent des ouvriers, casque et gilet fluo, sous la pluie, un samedi matin.
L’intéressant c’est le paysage autour, un attristant méli-mélo de vieux pavillons de meulière, de nombreuses ruines aux toits effondrés et aux vitres brisées, d’anciens hangars abandonnés, bref tout ce qui confère à la zone son caractère de “no-go zone”.
Et juste en face de l’arrêt de bus un immense panneau : “Ici votre future résidence, du 2 au 5 pièces, à proximité de la nouvelle station de la ligne 11, blablabla… Avec tous les petits cartouches qui vont avec, déclinant la kyrielle d’avantages fiscaux propres à séduire l’investisseur potentiel. De Robien sors de ce corps !
Le contraste entre l’immense et rutilant chromo en couleur de la fastueuse résidence et l’environnement est accablant. Un Palais des mille et nuits pour famille de cadres (presque) supérieurs ayant voté En Marche, parachuté genre en plein Mossoul dévasté par l’offensive finale contre l’EI.
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Du coup, après avoir rejoint Carnot par le 322 dans l’autre sens, et avant de reprendre le 105 bondé (il pleut grave), pour revenir a casa avec les Chourizos, les haricots noirs et tout le toutim, je furète au carrefour autour du Trianon, le grand cinoche délabré en béton ocre qui a du faire les délices des blousons noirs à la fin de la Guerre d’Algérie. Avant que d’accueillir vingt années durant les belles heures de la Dernière séance, présentée par Eddy Mitchell...
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Et, ô surprise, une, deux, trois, quatre… résidences enchantées qui vont sortir de terre dans chacune des friches adjacentes au cinoche. Hosannah !
Ah, oui, ce sont les usagers du service public de l’eau potable, qui vont supporter sur leur facture le coût du “dévoiement” des réseaux d’eau, qui doivent être déplacés pour laisser place au Grand Paris Express.
Quant à la gestion “alternative” des eaux pluviales, horizon indépassable de notre temps, allez donc trainer vos guêtres dans la gadoue à Carnot un jour de pluie, on en reparlera.
Bon, pour goûter tout le sel de l’affaire, et patienter dans le bus, ne pas omettre de se munir des trente kilos de plaquettes publicitaires que vous délivreront gratuitement la horde d’escrocs patentés, propagandistes furieux (et parfaitement désintéressés) du “Grand Paris”…
Quand le bâtiment va...
Pour finir en beauté, la présentation d’un tout récent rapport du CGEDD, qui tombe à pic :
"Au premier trimestre 2017, la reprise en cours fin 2015 se poursuit. L’activité dans la promotion immobilière progresse mais est moins dynamique qu’au trimestre précédent : sur un an, les mises en ventes sont en hausse de 3,5 % et les ventes augmentent de 8,1 %, portées par l’investissement locatif et l’accession à la propriété.
Les autorisations de construire progressent également, se traduisant par des mises en chantier en hausse de 23,7 % sur un an.
Dans l’ancien, les transactions sont toujours dynamiques et les prix accélèrent à + 2,9 % sur un an.
Le volume des crédits nouveaux contractés au premier trimestre poursuit sa hausse sous l’effet de l’augmentation des renégociations pour atteindre 100 milliards d’euros au premier trimestre.
Parallèlement, les taux d’intérêt se stabilisent, dans le contexte de la remontée sensible des taux des OAT. L’activité des entreprises du bâtiment s’améliore, de même que leurs perspectives, mais elles restent à un niveau inférieur à leur moyenne de longue période.
Du côté de la promotion immobilière, les perspectives sont au-dessus de leur moyenne de long terme quel que soit l’horizon d’activité considéré."
Lire aussi :
– Quand le Grand Paris impacte les canalisation d’eau
http://www.batiactu.com/edito/projets-grand-paris-impliquent-devoiement-canalisations-50163.php
Bati Actu, 28 août 2017
commentaires
de retour ce même samedi pluvieux d’une manifestation vitriote au lieu-dit Gare au Théâtre au sujet du "Gros Paris", nous avons partagé avec les cultureux du MétroPop le constat suivant : Grand Paris est une hydre monstrueuse car sans tête. les habitants ne sont absolument pas associés à tous ces grands projets économiques et spéculatifs ! si vous souhaitez interpeler les "responsables" et certainement coupables de cette opération : où vous adressez ?
j’ai personnellement rédigé un message sur un des nombreux sites-catalogues du Grand Paris Express pour connaître l’emplacement de la zone humide à créer dans le Val-de-Marne en "compensation" comme annoncé mais personne n’a répondu depuis 6 mois ; inquiétant non ? où sont les pilotes ?
une chose est certaine : ils ne souhaitent pas voir arriver l’intrusion citoyenne dans leurs grosses affaires.
L’annonce de solutions alternatives sert surtout à faire adhérer les naïfs :
d’abord, lorsqu’on a bien densifiée et rendue hermétique à tous points de vue, physiques comme sociaux, une zone donnée, les phénomènes naturels sont portion congrue, comme le vivent les habitants d’un espace nord-américain où s’élargissent chaque année les problèmes, ponctuels et durables. Mais cela s’est déjà manifesté, et de plus en plus régulièrement sous diverses formes, dans l’Ouest, le Nord-Est, le Centre et le Sud de l’Hexagone ;
de second, un ‘aménagement’ prétexte à l’occupation irréfléchie de l’espace prépare d’extravagantes concentricités de populations favorisant quelques points spatiaux ciblés et contrepieds d’une politique d’ensemble,
ensuite, leurs habitants se heurteront pèle-mêle à des soucis de circulation et d’approvisionnements de toutes espèces dont les bouchons ou les ruptures actuels ne sont que les pâles prémisses.
Ces politiques d’ensemble sont essentiellement des stratégies de niveau économique qui ignorent toutes les autres données qui font un corps social. Sauve-qui-peut !