L’événement fera date et confirme, ô combien, l’état de coma dépassé de la politique de l’eau française. Dans un projet de rapport, adopté le 13 mai 2009, le CESE passe minutieusement en revue les travers, failles et défaillances des politiques publiques de l’eau, et formule plusieurs propositions destinées notamment à introduire davantage d’équité et de transparence, au bénéfice des usagers. Deux ans après l’adoption de la LEMA et le « Grenelle », ce rapport pointe à nouveau les innombrables travers et abus qui pénalisent les usagers domestiques, véritables vaches à lait d’une politique qui nous conduit par ailleurs droit dans le mur, comme l’atteste le rapport à 2021 ou 2027 des objectifs de reconquête de la qualité des eaux, assignés par la Directive-cadre européenne… Si nous n’en partageons pas toutes les préconisations, ce rapport est aussi un symptôme : faut que ça change, et vite !
Factures incompréhensibles, méconnaissance des « indicateurs de performance » sur les différentes étapes du cycle de l’eau, tensions croissantes sur les conflits d’usage de la ressource dans certains territoires, désastre de l’ANC, polémiques récurrentes sur le prix de l’eau..., tout y est.
Le CESE a passé au crible les problèmes restés en suspens depuis l’adoption de la Lema le 30 décembre 2006.
Centré sur les usages domestiques de l’eau, le texte propose d’abord de "renforcer l’évaluation, la transparence et la gouvernance au bénéfice de l’usager".
Transparence et gouvernance
"La Lema précise que les collectivités doivent fournir un rapport annuel sur le service de l’eau s’appuyant sur 29 indicateurs de performance qualitatifs et quantitatifs, a expliqué Paul de Viguerie, rapporteur du projet d’avis au nom de la section cadre de vie du CESE. Malgré cette analyse de plus en plus fine, le consommateur garde une impression de flou et a toujours du mal à lire la facture qu’il reçoit."
Le CESE incite donc les collectivités organisatrices à s’investir dans la collecte de ces indicateurs pour obtenir une vision homogène dans la durée, et à veiller à l’homogénéité des procédures pour parvenir à un diagnostic partagé entre acteurs permettant un vrai débat public sur l’eau.
De ce côté là nous ne sommes pas au bout de nos peines puisqu’une récente journée de travail réunissant l’Onema et la FNCCR a fait apparaître des divergences sensibles quant à la pertinence du fameux « tronc commun » d’indicateurs que les collectivités sont désormais censées renseigner, afin d’alimenter le SISPEA. Logique quand on sait combien le lobbying de la FP2E a pesé sur la définition de nos fameux zindicateurs…
De son côté, l’usager doit être en mesure d’évaluer l’état de son réseau privatif et de ses équipements. Le CESE propose donc de mettre en place un diagnostic "réseau domestique", portant sur l’état des réseaux privatifs, obligatoire pour toute cession immobilière à compter de 2011 et finançable par crédit d’impôt.
Là, ça risque de ne pas très bien se passer, bon courage. Voir déjà l’insurrection en cours avec l’ANC…
Le Conseil préconise aussi d’introduire dans la facture d’eau un indicateur moyen de consommation à l’échelle du territoire de la collectivité maître d’ouvrage, et de faire figurer sur cette même facture la répartition du montant facturé entre collectivités, opérateurs et autres organismes bénéficiaires.
Excellent. On en finirait enfin avec la fable des 120m3 de consommation annuelle pour un foyer de deux personnes et demi, qui continue à déformer totalement toutes les statistiques en la matière, alors qu’on sait parfaitement que ladite consommation se situe bien plutôt dans les 80 à 90m3…
Toujours dans l’optique d’améliorer la transparence et la gouvernance au bénéfice de l’usager, il insiste sur la nécessité de généraliser la création de commissions consultatives des services publics locaux (CCSPL) dans toutes les collectivités gestionnaires de services d’eau.
Pas gagné d’avance puisque ce sont les élus qui s’y s’étaient opposés lors du vote de la LEMA, lors même que nos amis du cartel étaient pour !
Il souhaite également que les missions de la Commission nationale du débat public (CNDP) soient élargies à la gestion des usages comme de la ressource et que le débat public soit organisé à partir de cette instance, avec le concours et l’appui de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema) et du Comité national de l’eau.
Voilà qui serait bien : la CNDP et le maîs, la CNDP et les retenues collinaires, la CNDP et la petite hydro-électricité, la CNDP et les barrages, la CNDP et les golfs, la CNDP et les piscines, la CNDP et le pluvial… Bon, on pourrait continuer longtemps.
Pour obtenir une réversibilité effective des modes de gestion, le Conseil recommande que les assemblées délibérantes procèdent, au regard des indicateurs, à chaque renouvellement de mandat, à un examen des contrats de délégation de service public ou de fonctionnement des régies.
EXCELLENTE INNOVATION ! Nous applaudissons à deux mains. Car vous avez bien lu. Après chaque élection on audite les contrats de DSP. Voilà qui va déplaire à la FP2E. Enfin non, puisque nos amis sont l’incarnation vivante de la transparence, donc ils devraient adorer.
Ressources
Au chapitre de la préservation de la ressource, le CESE s’est penché sur l’utilisation domestique de l’eau de pluie. Du fait de l’interconnexion des réseaux et des risques de contamination, la question fait aujourd’hui débat pour des raisons sanitaires. Le Conseil préconise donc d’évaluer le rapport coût/efficacité du crédit d’impôt finançant les installations de récupération et de veiller à assurer la contribution des utilisateurs au financement du réseau collectif où ils rejettent l’eau après usage.
Là nos amis autarciques vont s’étouffer. Bon, depuis le temps qu’on vous prévient…
Dans les opérations importantes d’urbanisme, il suggère en outre d’étudier l’opportunité de prévoir un réseau spécifiquement dédié à la récupération des eaux de pluie en vue de leur utilisation.
Mouais, et comment on va le financer le séparatif à donf ?
Le Conseil estime par ailleurs que les eaux usées constituent la ressource en eau alternative la plus intéressante à exploiter, en particulier outre-mer et dans tous les territoires confrontés à la rareté de l’eau. Mais il faut pour cela fixer des normes et prévoir des financements affectés pour les collectivités intéressées.
Peuvent toujours rêver de fourguer du « re-use » à tout va, alors que le bio et les AMAP explosent partout en France. Va en falloir des campagnes de com pour forcer « l’acceptation sociale » de ce nouveau business…
Toujours en termes de gestion quantitative de l’eau, le CESE est favorable à l’extension du réseau des retenues collinaires en milieu rural, à condition de les inscrire dans le cadre de véritables projets de gestion concertée des territoires.
Bon, passons cela à la moulinette de la CNDP et on verra après ce qu’en pense, au hasard, nos amis de Gabas Nature et Patrimoine.
Qualité de l’eau
Mais la question essentielle aux yeux du CESE reste l’amélioration de la qualité de l’eau. Selon lui, les agriculteurs ont aujourd’hui adopté des pratiques plus favorables et les dispositions du plan "Ecophyto 2018" de réduction des usages de pesticides vont dans le bon sens.
Tiens, ils n’ont pas du lire le dernier brûlot du professeur Jean-Claude Lefeuvre, que nous chroniquions il y a peu. On touche ici du doigt la limite de l’exercice. Si l’on attend encore 40 ans que les « bonnes pratiques » finissent d’infuser à la FNSEA, c’est mal barré…
Mais d’autres sources de pollutions diffuses - résidus médicamenteux, perturbateurs endocriniens, dérivés d’usages domestiques - sont très préoccupantes et le Conseil soutient la mise en oeuvre des propositions formulées récemment dans le rapport préparatoire du plan national Santé-Environnement (PNSE2).
Un peu d’audace : revoyons de A à Z les procédures d’AMM. Etude d’écotoxicité obligatoire avant l’autorisation de mise sur le marché de toute nouvelle molécule. Les labos vont se barrer ailleurs ? Bon débarras !
Il propose par ailleurs « d’accompagner la montée en charge des services publics d’assainissement non-collectif » (Spanc) qui constituent pour plus de 20% des habitants aujourd’hui, dans les zones rurales et outre-mer, la seule solution d’accès à l’assainissement. Les installations étant coûteuses, le Conseil préconise qu’elles puissent faire l’objet d’un crédit d’impôt spécifique. Il réaffirme en outre la nécessité d’une égalité de traitement entre les systèmes d’assainissement collectif et non-collectif qui doivent pouvoir bénéficier des mêmes taux de subvention de la part des agences de l’eau. Les fonds européens devraient aussi pouvoir être mobilisés, en particulier le Feader au titre de l’axe 3 qui porte sur l’"amélioration de la qualité de la vie". Le CESE propose aussi que les collectivités organisatrices puissent créer des services publics d’assainissement unifiés entre le collectif et le non-collectif afin d’élargir les missions du service et de garantir ses objectifs de protection du milieu récepteur de ses rejets par une gestion mieux coordonnée.
Ici le hic, comme nous l’avons exprimé en long et en large à l’ONEMA il y a peu, c’est qu’il serait temps d’arrêter les conneries.
Il faut en fait un « plan Marshall » de l’ANC :
– réécrire la réglementation de A à Z,
– imposer un cadre technique compréhensible,
– mettre au pas les margoulins qui contribuent à faire partir l’affaire en vrille,
– sécuriser d’urgence des financements adaptés.
Comme ça ne va pas se faire comme cela, les jacqueries vont se multiplier…
Le prix de l’eau
Concernant la fixation du prix du service public de l’eau et de l’assainissement, véritable serpent de mer, le CESE se contente de réaffirmer quelques principes et de tracer des pistes d’évolution.
Il considère ainsi que le prix du service de l’eau fixé par les collectivités locales organisatrices doit demeurer territorialisé. A priori, l’échelon intercommunal s’avère être le niveau de gestion le plus adapté pour la recherche du meilleur prix, et ce afin de mutualiser de façon aussi efficace que possible la charge des coûts fixes, et de fixer clairement les missions et performances du service qui sont les plus adaptés à l’échelon local.
(Très insuffisant !)
L’évolution des missions d’intérêt général confiées aux opérateurs des services d’eau conduit à la remise en question de leur modèle économique, estime par ailleurs le Conseil. Définition plus précise du périmètre du service, mode de rémunération en fonction des performances exigées de l’opérateur, dissociation des volumes vendus des volumes prélevés (dans le cadre de la réutilisation des eaux usées, par exemple) : le projet d’avis présente plusieurs pistes d’évolution.
(Ici le spectre du financement par l’impôt pointe du bout du nez. Ce n’est qu’un début, continuons le combat. Comme c’est inéluctable à terme, et plus vite qu’on ne le croit, à quoi sert de finasser ?)
Il recommande aux collectivités et à l’ensemble des parties prenantes d’initier une réflexion pour mettre en place de nouveaux modes de rémunération des services d’eau et d’assainissement "qui soient cohérents avec l’ensemble de leur mission d’intérêt général". Car cette mission d’intérêt général "ne peut pas être rémunérée par un accroissement des volumes consommés et facturés", insiste-t-il.
Nos amis parlent d’or, mais quand il va falloir faire avaler à l’usager qu’il va désormais devoir, en sus de la facture, acquitter x nouvelles taxes, qui vont se multiplier à uns vitesse exponentielle, va y avoir du sport…
Enfin, le CESE recommande de mettre en oeuvre la proposition d’André Flajolet, député du Pas-de-Calais et président du Comité national de l’eau prévoyant d’instaurer une contribution au Fonds de solidarité logement (FSL) de l’ordre de 1% du prix du service de l’eau afin de pouvoir financer une aide directe personnalisée aux personnes démunies pour garantir leur accès à l’eau.
Ttt, ttt, ttt, ça ne marche pas le FSL, voir les travaux de notre ami Henri Smets. Là aussi, faut changer de braquet.
Reste qu’au total le rapporteur dudit rapport, M. Paul de Viguerie, membre de l’UNAF, a eu l’incontestable mérite d’identifier nombre de points de blocage qui connaîtront inévitablement de profondes évolutions dans les prochaines années.
Et que ce rapport, après tant d’autres, témoigne à nouveau que le roi est nu.
A continuer sur la lancée actuelle, ça va mal finir…
La note de présentation de l’avis
A SONG :