L’audience du 19 mai dernier pouvait le laisser prévoir. Le Conseil constitutionnel a validé l’interdiction des coupures d’eau "toute l’année", disposition qui faisait l’objet d’une QPC déposée par la SAUR. Les réactions ne devraient pas tarder, augurant d’un débat qui va inévitablement se poursuivre.
Le communiqué du Conseil constitutionnel :
"Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 mars 2015 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société SAUR SAS, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la dernière phrase du troisième alinéa de l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles.
"Cette disposition interdit, tout au long de l’année, de procéder, dans une résidence principale, à l’interruption de la fourniture d’eau pour non-paiement des factures.
"La société requérante faisait valoir qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a porté une atteinte excessive, d’une part, à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre et, d’autre part, aux principes d’égalité devant la loi et les charges publiques.
"Le Conseil constitutionnel a écarté ces griefs.
"Il a d’abord relevé qu’en prévoyant l’interdiction critiquée, quelle que soit la situation des personnes et pendant l’année entière, le législateur a entendu s’assurer qu’aucune personne en situation de précarité ne puisse être privée d’eau. Les dispositions contestées, en garantissant dans ces conditions l’accès à l’eau qui répond à un besoin essentiel de la personne, poursuivent ainsi l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent.
"Le Conseil constitutionnel a ensuite rappelé, en s’appuyant sur les règles fixées par le code général des collectivités territoriales, l’encadrement législatif spécifique qui entoure les contrats passés pour la distribution d’eau. Il en a déduit que les distributeurs d’eau exercent leur activité sur un marché réglementé.
"Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, jugé que l’atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre qui résulte de l’interdiction d’interrompre la distribution d’eau n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur.
"Le Conseil constitutionnel a ensuite écarté le grief tiré de la violation du principe d’égalité en jugeant que les distributeurs d’eau ne sont pas placés dans la même situation que les fournisseurs d’électricité, de gaz ou de chaleur et que les règles applicables à la distribution de l’eau dans les résidences principales sont en rapport direct avec l’objectif poursuivi par le législateur d’assurer la continuité de la distribution de cette ressource.
"Le Conseil constitutionnel a, par suite, déclaré conforme à la Constitution la dernière phrase du troisième alinéa de l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles."
Et maintenant le "lentillage"...
L’association France Libertés s’est félicitée de la décision du Conseil constitutionnel : "Le verdict est sans appel", a-t-elle réagi dans un communiqué.
"Cette décision est l’aboutissement d’un long combat pour le respect de la loi et de la dignité des plus démunis", a-t-elle ajouté.
Un client de la Saur, chez qui l’opérateur avait coupé l’eau pendant plusieurs mois, avait déposé fin 2014 un recours devant le tribunal d’Amiens (Picardie).
Le tribunal de grande instance d’Amiens avait ordonné le rétablissement immédiat de l’eau et renvoyé son jugement à la décision du Conseil sur la QPC.
La justice avait auparavant condamné plusieurs distributeurs, dont la Lyonnaise des Eaux (Aisne), Veolia Eau (Cher) et la régie publique Noreade (Nord), pour avoir coupé l’eau pendant plusieurs mois à des clients avec des arriérés de factures.
On se gardera de triompher : dans la loi pour la transition énergétique, les députés ont maintenu l’interdiction généralisée des coupures d’eau, que les sénateurs avaient supprimée, mais ont donné aux distributeurs la possibilité de réduire le débit, comme c’est le cas pour l’électricité...
Autrement dit les pauvres, voire les mauvais payeurs, se verront imposer, via le "lentillage", un débit réduit, de plus en plus réduit.
Au point qu’il ne permet pas de faire fonctionner un chauffe-eau ni de prendre une douche...
Une pratique "sociale" très libérale, comme on le voit.
Et on va voir si la terre entière se relève contre le "lentillage"...
Dès mardi, le 2 juin, France Libertés, la FP2E, le syndicat patronal des affreuses multinationales et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), ont déjà prévu de tenir un conclave pour parler lentillage et faux pauvres.