A l’approche du Salon de l’agriculture, en amont de la prochaine campagne des présidentielles, la France revit déjà un scénario immuable. Alors que la pratique délirante du « tout irrigation » en soutien du maïs irrigué provoque depuis une vingtaine d’années des tensions croissantes autour de la gestion de la ressource en eau, tous les gouvernements en place depuis le début des années 90 ont immanquablement cédé aux pressions du syndicat agricole majoritaire, qui promeut une fuite en avant délétère que rien ne semble pouvoir entraver. Retour sur un désastre écologique majeur, que l’actuel gouvernement reproduit à l’identique de ses prédécesseurs.
La question de l’irrigation en agriculture est devenue si sensible à l’aube des années 2000 dans plusieurs grandes régions françaises, la Charente, le Sud-ouest, la Beauce, la Picardie, terres d’élection des grandes cultures irriguées, que de 2007 à 2016 tous les gouvernements successifs se plieront avec un coupable empressement aux exigences de la FNSEA.
Une situation intenable. Chaque été, près d’une vingtaine de départements prennent de manière récurrente des arrêtés sécheresse, et 30% du territoire métropolitain est considéré en déficit structurel. L’impasse s’est fait jour dans le courant des années 80. L’eau étant un patrimoine commun géré par tous ses acteurs, il a été considéré que tout prélèvement au-dessus d’un certain seuil devait faire l’objet d’une déclaration aux services de l’État. Qui a délivré des autorisations au coup par coup, sans aucune limite, pendant des décennies.
1976
L’affaire vient de loin. Le changement climatique personne n’en parle encore, mais la sécheresse historique de l’été 1976 est un coup de tonnerre. Raymond Barre évoquera un "impôt sécheresse". Pour la profession agricole c’est un traumatisme : à l’avenir l’eau pourrait-elle manquer ?
1992
La première tentative d’encadrement des prélèvements apparaît dans la deuxième loi française sur l’eau de 1992. Chaque agriculteur se voit accorder un certain quota. Ces autorisations ne devaient, en principe, être octroyées que si les ressources étaient suffisantes pour satisfaire l’ensemble des besoins en eau (entretien des milieux, énergie, industrie, eau potable…).
En pratique, les autorisations furent le plus souvent délivrées sur la base des droits acquis, sans que les ressources disponibles localement aient été sérieusement estimées.
2006
L’Europe adopte ensuite en 2000 la Directive-cadre européenne sur l’eau (DCE), qui impose à tous les Etats-membres de rétablir un bon état qualitatif des eaux, mais aussi de veiller à une gestion quantitative équilibrée à l’horizon 2015.
Après avoir transcrit la DCE en 2004, la France élabore la troisième loi française sur l’eau de 2006.
Le législateur décide que l’on déterminera pour chaque bassin en déficit ce que le milieu est capable de fournir sans impact environnemental grave, et sans risque pour l’alimentation en eau potable. Puis qu’on définira pour chaque usager un « volume prélevable » chaque année. Dans certains cas, cette approche pouvait conduire à des réductions de 30 à 50% par rapport aux prélèvements « historiques » de certains agriculteurs.
Les discussions vont s’éterniser entre la profession agricole, les agences de l’eau et les services de l’État pour définir ces quantités. Au point que cette première partie de la réforme, lancée pourtant en 2006, n’est toujours pas achevée.
2007
Avec le Grenelle de l’environnement, le conflit affleure au grand jour. La question de l’eau est si explosive qu’aucun groupe de travail spécifique de la grand-messe qui voit Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo camper en grands prêtres de l’écologie n’évoquera les rapports explosifs de l’eau et de l’agriculture.
La profession agricole impose en fait aux pouvoirs publics un marché de dupes. En échange de la baisse des volumes prélevables, les agriculteurs irrigants multiplient les stockages d’eau, sous forme de petits barrages, de retenues collinaires ou de bassines comme en Poitou-Charentes. Qui prélèvent de l’eau pendant l’hiver, quand elle est abondante, et la stockent pour pouvoir l’utiliser l’été.
2010
Le 8 mars 2010, de 1500 à 3000 agriculteurs manifestent à Toulouse devant le conseil général et la préfecture, pour défendre la fourniture d’eau pour l’irrigation. Une délégation est reçue par le préfet. Des manifestations similaires ont lieu à Mont-de-Marsan (Landes).
Les revendications portent sur la directive-cadre sur l’eau, qui impose une réduction drastique des volumes prélevables afin de maintenir un débit d’étiage minimum. Selon la Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles (FRSEA) et les Jeunes agriculteurs, de telles restrictions d’irrigation menaceraient 5600 à 8400 emplois sur les 240 000 liés à l’agriculture dans les 18 départements du bassin Adour-Garonne.
Pour le responsable de la FRSEA, l’incohérence des nouvelles restrictions et du système de calcul d’irrigation « aboutissent à des non-sens agricoles et à des aberrations écologiques, le niveau d’étiage minimum n’assurant pas le maintien des écosystèmes dans les cours d’eau. »
Les agriculteurs réclament la révision du système de calcul, et la création de réserves d’eau. Le préfet se déclare « prêt à une étude d’impact » de la réforme, et « ouvert à l’idée d’augmenter les retenues collinaires, alimentées par les eaux pluviales et les ruisseaux ».
Dans le Sud Ouest le projet de construction d’un grand barrage en amont de Toulouse a échoué dans les années 1980 en raison de la mobilisation des opposants, mais le même volume de stockage a déjà été construit de façon diffuse sous forme de petites retenues…
Le 13 avril 2010, la FNSEA, les Jeunes Agriculteurs (JA), l’Union des syndicats de producteurs français de céréales et d’oléoprotéagineux (ORAMA), Irrigants de France et l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agricultures (APCA) se réunissent à Paris. Dans une déclaration commune ils demandent, entre autres, la suspension immédiate du processus de définition des volumes d’eau prélevables, la mise en place d’une politique de stockage d’eau forte et la baisse des redevances pour prélèvement. Cette réunion fait suite à de nombreuses manifestations, en particulier dans le Sud Ouest, d’agriculteurs irrigants qui demandent la suspension du décret mettant en place dans chaque sous-bassin des "Zones de répartition des eaux" (ZRE), bassins considérés comme déficitaires par rapport à la somme des besoins quantitatifs de tous les usages, et la création d’un Organisme unique (OU) de gestion des volumes alloués à l’usage agricole .
Le 24 septembre 2010, Ségolène Royal, présidente de la Région Poitou-Charentes, écrit à Jean Louis Borloo, ministre de l’Ecologie. Elle lui exprime son désaccord au sujet d’un projet de circulaire qui prévoit l’intervention de l’Agence de l’eau Adour-Garonne à hauteur de 70% pour la création de retenues de substitution en Poitou-Charentes. Elle remet très clairement en question le soutien au maintien de la maïsiculture par la création de réserves, et met en garde contre une condamnation par la commission européenne pour non atteinte de résultats de bon état attendus par la DCE à l’horizon 2015.
2011
Publié le 18 février 2011 au Journal officiel, le jour de l’ouverture du Salon de l’Agriculture, un peu plus d’un mois après le décret Le Fur qui autorisait une extension des élevages porcins, un second décret signe le renoncement du gouvernement à faire respecter la loi par les irrigants, qui refusaient violemment depuis deux ans de créer des « organismes uniques », instruments de gestion collectifs créés par la Loi sur l’eau du 30 décembre 2006, qui avaient pour objectif de responsabiliser les irrigants, et partant de diminuer les prélèvements excessifs, le plus souvent opérés pour la culture du maïs irrigué.
Lors d’un déplacement en Charente le 9 juin 2011, Nicolas Sarkozy y annonce un plan à 5 ans sur la gestion de l’irrigation afin d’assurer l’équilibre entre besoins en eau et ressources disponibles. Il compte deux volets complémentaires. Le volet retenues a pour objectif de mieux assurer l’équilibre entre les besoins de l’irrigation et les ressources disponibles. Il s’agit de soutenir la construction de retenues collectives supplémentaires, dès lors qu’elles ne conduisent pas à une remise en cause des objectifs de la directive cadre européenne sur l’eau.
Nathalie Koziusko-Morizet, secrétaire d’état à l’Ecologie, détaillera le dispositif le 16 novembre 2011 à l’occasion d’une réunion du Comité national du développement durable et du Grenelle de l’Environnement (CGDDE) :
– une extension, par voie législative, des compétences des chambres d’agriculture afin de leur permettre d’assurer la maîtrise d’ouvrage des retenues d’eau ;
– une suppression du délai de recours après mise en service pour les retenues d’eau ;
– la finalisation et la diffusion du guide juridique sur la construction de retenues ;
– la mobilisation des préfets pour la mise en œuvre du plan retenues ;
– la simplification des procédures liées à la construction des retenues.
Le plan devrait permettre la création dans les 5 ans d’une capacité de stockage supplémentaire de l’ordre de 40 millions de m3.
Un second volet sur la meilleure utilisation de l’eau consistera à mettre en œuvre la réduction des volumes d’eau prélevés sur 14 000 hectares, en implantant des cultures plus économes en eau (sorgho, soja pour développer la production de protéines végétales, à la place du maïs par exemple), dans les zones en déficit et de façon plus générale à promouvoir les économies d’eau et l’optimisation de l’efficience de l’utilisation de l’eau en agriculture.
En novembre 2011 un rapport conjoint du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) du ministère de l’Ecologie et du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux CGAAER), du ministère de l’Agriculture examine sous l’angle de la notion « d’environnementalement envisageable » la construction de plusieurs dizaines de barrages et retenues d’eau dans le Sud Ouest, et accorde son aval, sans restriction aucune, au projet de barrage de Sivens : « En fonction des éléments recueillis, la mission considère que le projet de Sivens, pour lequel il n’existe aucune alternative de déstockage hydroélectrique, est envisageable tant sur le plan environnemental que sur le plan économique sous réserve que les compensations adéquates soient trouvées pour la disparition des zones humides. » (page 111 du rapport).
L’un des auteurs de ce rapport, Philippe Quévremont, ingénieur du GREF, membre du CGEDD, tiendra intégralement la plume du « Rapport Martin » au printemps 2013, et aurait du être l’un des deux experts dépêchés par Ségolène Royal à Sivens le 8 septembre 2014…
2012
Le 29 mars 2012, Nicolas Sarkozy, invité à s’exprimer au congrès de la FNSEA à Montpellier, comme les autres candidats à l’élection présidentielle, annonce la publication de deux décrets pour faciliter, jusqu’à un certain seuil, la constitution de retenues d’eau par les agriculteurs.
« Je viens de décider que pour les retenues collinaires jusqu’à 350 000 m3 d’eau, il faudra juste une déclaration donc les recours seront interdits, vous pourrez le faire », affirme le président-candidat, confirmant la proposition faite en juin 2011, en pleine période de sécheresse.
France Nature Environnement (FNE) déclare que ces deux décrets sont « dangereux pour l’environnement » car ils feront passer la grande majorité des « retenues de substitution pour l’irrigation » du régime de l’autorisation à celui de la déclaration.
De plus, plus aucun recours ne sera possible. Le régime d’autorisation impose une étude d’impact, suivie d’une enquête publique, qui garantit la qualité des dossiers et la prise en compte de la contrainte environnementale. Rien de tel avec le régime de déclaration qui ne nécessite qu’une étude d’incidence sans portée réelle.
Pour les retenues de substitution, sur 500 dossiers instruits par an, une cinquantaine relevait jusqu’alors du régime de l’autorisation. Le nouveau seuil passant de 3 hectares à 350 000 m3, soit environ 7 hectares pour 5 mètres de profondeur, ou encore l’équivalent d’environ 120 piscines olympiques, le régime d’autorisation deviendra une exception.
Ainsi, la majorité des grosses retenues pourra échapper à l’enquête publique, « d’où une perte de contrôle par l’administration pour des retenues volumineuses, comme pour les petites d’ailleurs », précisait FNE dans un communiqué publié le 20 avril 2012.
Les deux décrets préparés par Bruno Le Maire et NKM, signés par François Fillon, sont publiés au JO... le dimanche du second tour de la présidentielle de mai 2012, qui voit François Hollande accéder à l’Elysée !
Delphine Batho impose un moratoire
Très vite après sa nomination au ministère de l’Ecologie, Delphine Batho impose un moratoire sur les aides au financement des retenues par les agences de l’eau.
Grâces soient rendues à la seule ministre qui aît eu le courage d’affronter frontalement le syndicat majoritaire ! Acte fort qui scellera sa perte dix-huit mois plus tard, tout autant que ses démêlés avec les lobbies de l’énergie...
La réforme des seuils est gelée, puis abandonnée.
Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault décide toutefois, dès le 18 décembre 2012, d’évaluer quarante politiques publiques prioritaires, au premier rang desquelles celle de l’eau, qui vient d’être affectée par un énorme scandale affectant l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema).
Après avoir pris connaissance du dossier, instruit au pénal et par la Cour des comptes, Delphine Batho limoge en octobre 2012 la directrice de l’eau du ministère de l’Ecologie et le directeur général de l’ONEMA.
Dès le 23 novembre 2012 Matignon rappelle que le précédent gouvernement avait engagé un plan d’adaptation de la gestion de l’eau visant à mieux assurer l’équilibre entre les besoins de l’irrigation et les ressources disponibles. Toutefois, la nécessaire concertation avec tous les acteurs "n’aurait pas été suffisante..."
C’est pourquoi il n’a pas été donné suite à deux décrets relatifs aux aménagements hydrauliques.
Afin d’engager une concertation avec l’ensemble des partenaires concernés, une mission est confiée à M. Philippe Martin, alors député et président du Conseil général du Gers. Elle a pour objectif de « proposer une nouvelle vision pour la gestion quantitative de l’eau en agriculture afin de construire un consensus sur les modalités de partage de l’eau, d’apporter des solutions concrètes permettant d’optimiser la gestion de l’eau en agriculture et de proposer une méthodologie permettant d’asseoir des dynamiques locales débouchant sur des solutions adaptées ».
2013
Le Conseil économique social et environnemental (CESE), défriche le sujet avant même la remise du Rapport Martin.
Dans un avis adopté le mardi 23 avril 2013, il plaidait pour une agriculture à bas niveau d’intrants aux alentours des captages, et prônait dès lors le développement de l’agriculture biologique, de la forêt et de l’agro foresterie sur les zones sensibles des aires d’alimentation des captages afin de relever les défis auxquels doit faire face notre agriculture : assurer une meilleure autonomie alimentaire ; concilier les différents usages, notamment sanitaires, de la ressource ; parvenir à une bonne qualité des eaux souterraines et de surface ; préserver les milieux naturels ; s’adapter au changement climatique.
L’assemblée consultative estimait en outre que les retenues d’eau doivent être utilisées par les seules activités agro-écologiques et à fort taux d’emploi.
L’avis adopté le 23 avril (103 voix pour, 24 contre, 46 abstentions), acte des divergences au sein de la section de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation du Cese. La FNSEA n’a pas soutenu le texte, dans lequel la Confédération paysanne voyait « une avancée pour la gestion des ressources ».
Important sujet de divergences : l’irrigation et la création de retenues d’eau. Si les surfaces irriguées ont triplé de 1970 à 2000 (de 0,5 à 1,5 million d’hectares), ces dernières ne représentent toutefois que 5,8 % de la surface agricole utile, concernant 74 000 exploitations – 15,3 % – qui irriguent un tiers de leur surface.
Le CESE est très prudent sur le recours à des retenues de substitution, estimant que « les milieux aquatiques ne peuvent être la variable d’ajustement des besoins en eau de la société ».
Pour le Conseil, « la multiplication des retenues sur un même bassin génère un cumul d’impacts préjudiciable aux milieux aquatiques ou intercepte des débits qui peuvent être nécessaires à d’autres usages. Ne pas lever ces risques pourrait conduire à créer des équipements dont la durabilité est incertaine. »
Si des stockages de substitution devaient néanmoins se faire, la ressource devrait être affectée en priorité « à des productions économes en eau, pour favoriser des choix de cultures diversifiées et plus adaptées aux conditions climatiques ». En outre, les financements publics seraient à réserver « à des programmes territoriaux portant sur des pratiques agro-écologiques et des productions alimentaires, sans oublier d’autres activités à fort taux d’emplois (horticulture, pépinières, semences …) ».
Dans son rapport remis à Matignon le 5 juin 2013, Philippe Martin restera très en deçà des propositions du CESE.
« A la différence de certains établissements classés où le risque de nuisances lié à une exploitation incorrecte est réel, l’exploitation d’une nouvelle retenue d’eau ne peut guère réserver de surprises si le dossier de demande d’autorisation est correctement établi », estime le député qui propose par conséquent de limiter les délais de recours à deux mois après les autorisations, « ce qui permettrait aux maîtres d’ouvrage prudents d’engager les travaux une fois que les contentieux auront été éclaircis, s’il doit y en avoir », défend-il.
Le député fait aussi état d’un « avis plus nuancé » sur la question de la remontée des seuils d’autorisation. Les décrets du gouvernement Fillon-Sarkozy (gelé par Delphine Batho), prévoyaient un seuil d’autorisation de 350 000 m3 pour les « retenues de substitution pour l’irrigation » au lieu de 200 000 m3.
Le relèvement visait à exonérer un plus grand nombre de projets d’une étude d’impact et d’une enquête publique. Or, le député constate que très peu de projets de retenues dépassent le seuil d’autorisation actuel. « Et même dans l’hypothèse d’un ample relèvement, il serait possible que les Directions régionales de l’environnement de l’aménagement et du logement (DREAL) chargées de préparer l’avis de l’autorité environnementale demandent une étude d’impact au « cas par cas » comme le prévoit la législation européenne.
Le relèvement des seuils serait alors une illusion, prévient-il. Selon lui, vu les financements nécessaires pour ce type de bassin (1,2 à 1,4 million d’euros pour un bassin de 200 000 m3), « exiger une autorisation administrative ne semble pas déraisonnable ».
Le député concède toutefois que « l’intérêt général est que les projets de substitution (au moins) ne s’enlisent pas comme c’est trop souvent le cas dans de trop longues procédures ».
Il conseille par conséquent d’adapter systématiquement les études d’impacts aux enjeux et à l’importance de l’investissement en faisant appel au cadrage préalable. Les maîtres d’ouvrage pourraient demander au préfet de rendre un avis, préalablement à l’étude d’impact, précisant sur quels sujets celle-ci doit être centrée.
Philippe Martin propose en complément de dissocier le seuil d’autorisation (à maintenir à 200 000 m3), du seuil de l’obligation de recours à une étude d’impact introduite par un décret du 29 décembre 2011 (seuil identique). Le député propose de définir un seuil en deçà duquel le préfet devra juger de la nécessité de demander une étude d’impact.
« Il faut clairement distinguer les objectifs de substitution de la ressource des objectifs de développement de l’irrigation », explique-t-il.
Autrement dit, les pouvoirs publics doivent à nouveau envisager de développer l’irrigation, voire de la subventionner en fonction des situations locales.
Plus globalement le député propose « d’inscrire les efforts collectifs dans une logique de projet territorial (…) adapté aux particularités de chaque territoire ».
Le député prône le dialogue et la concertation en amont pour accroître l’acceptabilité des compromis.
« Il ne s’agit là, ni plus ni moins, que d’un affaiblissement des règles de la gestion quantitative en agriculture, qui se situe dans le prolongement du plan Sarkozy de 2011 » réagit dès le 10 juin France Nature Environnement.
« Le rapport confirme les grandes règles de la gestion quantitative mais ne remet pas en cause la course poursuite, entre la construction de retenues financées sur fonds publics par les agences de l’eau, et les revendications sans limites des irrigants qui ne sont qu’une petite minorité d’agriculteurs.
« Il présente une multitude d’imprécisions et d’ambiguïtés. Nous déplorons l’absence de dimension économique et le manque de distinction entre irrigation de sécurité, c’est-à-dire pour assurer le bon développement de la plante, et irrigation de rendement, visant à maximiser les rendements par l’utilisation d’une grande quantité d’eau. L’analyse des alternatives agricoles est quasi inexistante. Les recommandations sont une fuite en avant de la réflexion menée par le passé, qui aurait dû aboutir à une proposition de gestion intégrée de la ressource, inscrite dans le contexte de l’évolution climatique, et non dans le prolongement des mauvaises habitudes.
« Il remet au goût du jour la réduction des délais de recours, la limitation des études d’impact, et en appelle au soutien financier public pour le développement de l’irrigation ! Les préconisations ne sont pas en cohérence avec les objectifs du Plan national d’adaptation au changement climatique qui demande la diminution de 20% des prélèvements d’eau pour tous les usages d’ici 2020, ce qui figurait expressément dans la commande du Premier Ministre !
« Il présente de graves lacunes car, à aucun moment, la liaison entre gestion quantitative et pollution de l’eau par les phytosanitaires et les nitrates n’est évoquée. Et ceci, alors que la France est sous le coup d’une condamnation sévère par la Cour de justice de l’union européenne (CJUE). Comment est-il possible d’ignorer les conséquences financières de cette condamnation ? Pourtant dans sa contribution écrite, FNE avait expressément attiré l’attention des rédacteurs du rapport sur ce problème évoquant une gestion schizophrénique, déconnectée des problèmes de qualité ! Ce rapport est partiel. Ce n’est pas un rapport sur l’eau, c’est un rapport au service d’une certaine agriculture. C’est pourquoi il est partial ! ».
Le véritable auteur du rapport « prêté » à Philippe Martin s’appelle Philippe Quévremont, ingénieur du GREF, membre du CGEDD, co-auteur du rapport précédemment publié en novembre 2011 sur les projets de retenues d’eau dans le Sud-Ouest, rapport qui avait accordé son aval, sans restriction aucune, au projet de construction du barrage du Testet, et aurait du être l’un des deux experts dépêchés par Ségolène Royal à Sivens le 8 septembre 2014…
Delphine Batho, limogée par Jean-Marc Ayrault le 4 juillet 2013 après avoir critiqué la baisse du budget du ministère de l’Ecologie, est remplacée par... Philippe Martin, dont la première décision officielle, moins de deux semaines plus tard, sera… de réouvrir en grand les vannes de l’irrigation.
Un décret du 15 juillet 2013, publié au Journal Officiel du 17 juillet, prolonge les dérogations à l’interdiction de prélever de l’eau à des fins d’irrigation agricole dans les "zones de répartition des eaux" (ZRE), c’est-à-dire les zones en déficit quantitatif.
Le texte confirme l’interdiction de recourir aux autorisations temporaires de prélèvement en eau dans les ZRE..., mais organise en même temps les dérogations qui vident cette interdiction de sa substance.
La première dérogation concerne les zones où un organisme unique de gestion collective (OUGC) a été désigné, ou une ZRE créée, avant le 1er janvier 2013. Dans ces zones, les prélèvements sont autorisés jusqu’au 31 décembre 2014.
Dans les zones où un OUGC a été désigné ou une ZRE créée après le 1er janvier 2013, les autorisations temporaires peuvent être accordées, jusqu’au 31 décembre 2016, pendant les deux années qui suivant cette désignation ou cette délimitation.
Octobre 2013
En septembre 2013, lors la 2ème conférence environnementale une table ronde sur l’eau regroupant 60 participants permet au gouvernement de jouer au caméléon en y faisant valider une levée « conditionnelle » du moratoire Batho, qui suspendait le financement jusqu’à 70% par les Agences de l’eau des retenues de substitution revendiquées par les irrigants.
Le 11 octobre 2013, Philippe Martin, nouveau ministre de l’Ecologie au travers d’un courrier qu’il adresse aux directeurs des agences de l’eau concernées lève ce moratoire pour certains projets « bien engagés et devant bénéficier d’aides FEADER. »
En Loire Bretagne trois retenues contestables autour du marais Poitevin viennent d’obtenir leur financement par l’Agence de l’eau. Cerise sur le gâteau : ce sont les représentants de l’Etat qui ont fait pencher la balance en faveur du financement public.
En Adour Garonne, même scénario qui frise l’imposture : le projet de Sivens est remis en selle. On va barrer une rivière sous couvert de substitution. Seul un représentant associatif vote contre lors de l’examen du dossier à l’Agence…
Décembre 2013
Le Comité national de l’eau, dans une séance « historique » du 18 décembre 2013, qui suscitera notamment uns saisine du Tribunal administratif de Paris par Jean-Luc Touly, examine le projet de Rapport élaboré sur « la définition d’un projet territorial », l’astuce sémantique qui trouve son fondement dans le « Rapport Martin », et vise à habiller sous un fatras de considérations oiseuses la relance pure et simple de l’irrigation…
En conformité avec le nouveau positionnement qu’a promu Xavier Beulin depuis l’arrivée aux affaires de l’hydre socialo-communiste en 2012, et nonobstant le « new-deal » que Manuel Valls vendra un peu plus tard aux JA,, l’insubmersible représentant du syndicat majoritaire auprès de toutes les instances qui comptent, ne mâche pas ses mots pour signifier au Kappelmeister Jean Launay que pour la FNSEA toute entrave à l’irrigation est inimaginable…
On assiste alors à un véritable déni de démocratie : au terme d’un "débat" qui illustre bien ce qui est en train de se passer, un "vote" forcé entérine, par les voix d’une poignée d’oligarques rémunérés pour se livrer à ce type de coup de force, une "délibération" qui n’a aucune valeur légale, mais sera le fondement de la relance à grands jets de l’irrigation par Ségolène Royal dix-huit mois plus tard...
Décembre 2014
Après Sivens, le Comité national de l’eau se saisit à nouveau du "Projet de territoire". Alors qu’une majorité semblait encline à attendre un peu, la première délibération présentée le 18 décembre à la hussarde, avait été arrachée par 34 voix (sur 170 représentants officiels au CNE...), alors que FNE notamment votait contre, son représentant soulignant à raison qu’on se retrouvait exactement dans la situation de l’avant-moratoire, et que la notion de "substitution" demeurait bien floue.
Dans sa séance du 9 décembre 2014 le CNE examine donc un nouveau texte, qu’il est intéressant après-coup de comparer à l’instruction qui sera publiée par Ségolène Royal six mois plus tard en juin 2015...
Juin 2015
En conséquence de quoi, dans une instruction du 4 juin 2015, Ségolène Royal précisera les règles accompagnant la levée du moratoire qui portait sur le financement des retenues par les agences de l’eau.
(Instruction non publiée, ni au JO, ni ailleurs, faut pas déconner non plus...)
Erratum :
La direction de l’eau nous précise par mel reçu ce jour que, bien que non publiée au JO, l’instruction du 4 juin 2015 a tout de même été publiée sur 2 sites internet :
http://www.bulletin-officiel.developpement-durable.gouv.fr/fiches/BO201511/bo201511.pdf
La levée du moratoire avait été conditionnée à l’intégration des projets de stockage de l’eau, dits projets de retenues de substitution, au sein de « projets de territoire ».
Cette instruction réalise la transition vers cette nouvelle organisation.
La ministre rappelle que la loi sur l’eau permet la construction de stockage d’eau afin de sécuriser l’agriculture et d’anticiper les conséquences du changement climatique…
Si les agences de l’eau ont vocation à aider financièrement les agriculteurs lorsque, pour protéger les milieux aquatiques, en période estivale notamment, les volumes stockés sont moins importants, il fallait préciser comment cette aide pouvait se concrétiser.
C’est tout l’objet de cette instruction. Ainsi le cofinancement par les agences de l’eau de ces projets de stockage se fera désormais à la condition qu’ils s’insèrent dans un projet de territoire « prenant en compte l’ensemble des usages de l’eau, la qualité de l’eau, et diversifiant les outils permettant de rétablir l’équilibre quantitatif ».
Par projet de territoire, la ministre de l’Ecologie entend le projet qui « vise à mettre en œuvre une gestion quantitative de la ressource en eau reposant sur une approche globale de la ressource disponible par bassin versant ».
La ministre dressait une liste de critères pour qualifier un projet de territoire.
Et insistait notamment sur le fait que ce type de projet doit résulter d’une concertation associant tous les acteurs du territoire et qu’il doit être collectif.
Régulièrement évalué en tenant compte du SDAGE ou SAGE applicable, ce projet doit avoir pour objectif une gestion équilibrée de la ressource en eau sur le territoire concerné.
En sus, l’instruction posait une définition de « la retenue de substitution » et précisait également les modalités d’intervention de l’Agence de l’Eau dont les décisions devront notamment prendre la forme d’un engagement contractuel.
Octobre 2015 : du protocole au « projet de territoire »…
On pourra dès lors prendre toute la mesure du travail accompli, et des appétissantes perspectives ouvertes, et par la levée définitive du moratoire Batho, et par l’instruction Royal, en prenant connaissance du considérable Rapport diligenté, non pas dans la foulée, mais en vérité bien en amont, par nos usuals suspects du CGEDD et du CGAAER, et titré « Evaluation de la mise en oeuvre des protocoles État - profession agricole conclus en 2011
dans le bassin Adour-Garonne pour la gestion quantitative de l’eau », qui dessine fort bien dans sa conclusion l’harmonieuse transition entre les fuligineux « Protocoles état profession agricole », signés en 2011, et nos fameux « projets de territoire ».
A se demander pourquoi, décidément, mais nous y reviendrons, pourquoi diable FNE a cru bon de déférer ces défunts protocoles AEAG au TA en 2016, dès lors qu’ils appartiennent désormais à l’histoire…
Lire aussi :
- Les stations de ski "accrocs" à la neige artificielle
La Croix, 23 février 2016
A suivre :
- Sivens, saison 2 : "projet de territoire" et nouveau barrage...