Six informations au plein cœur de l’été, en l’espace de quelques jours, permettent de dresser un état de coma dépassé d’une politique de l’eau qui agonise. La « grande consultation nationale » motivée par la révision des SDAGE, censée permettre d’atteindre un « bon état des eaux » à l’horizon 2015 est un nouveau four. L’Assemblée permanente des chambres d’agriculture vient d’annoncer au Premier ministre qu’elle s’opposera de toutes ses forces aux mesures adoptées dans le cadre du « Grenelle de l’environnement », réputées permettre « l’atteinte du bon état » en 2015. En toute logique l’Agence de l’eau Seine-Normandie vient d’annoncer qu’elle demandera le report en 2027 ( !) de la fameuse échéance de 2015... L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire confesse qu’aucune surveillance des rejets radioactifs n’est effectuée dans les nappes phréatiques... Le roi est nu.
La « grande » consultation nationale sur l’eau pilotée par les 6 agences, et qui a débuté le 15 avril 2008, va se poursuivre jusqu’au 15 octobre prochain. Elle concerne les plans de gestion de l’eau appelés Schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage), et les programmes de mesures à mettre en œuvre dans chaque bassin.
Les 6 agences qui ont initié des campagnes médiatiques d’un coût de 6 millions d’euros, assurent avoir adressé des « questionnaires » (au demeurant indigents) à l’ensemble des foyers français. Première mystification, les millions de Français qui ne « bénéficient pas » d’un contrat avec Veolia, Suez ou Saur n’en ont pas vu, et n’en verront pas la couleur.
Pour le reste, comme le relatait le Journal de l’environnement (JDLE), le 25 juillet dernier, le premier bilan de l’opération apparaît pour le moins mitigé.
Le JDLE souligne ainsi « qu’en Artois-Picardie, bassin comptant environ 4,7 millions d’habitants, plus de 57 000 questionnaires ont été retournés jusqu’à présent. Les premiers résultats, analysés par l’Ifop, montrent qu’environ un répondant sur deux est d’accord avec la description des constats sur l’eau telle qu’exposée, mais les perceptions sont plus nuancées concernant les actions proposées pour améliorer la situation. La pollution liée aux pesticides et aux engrais est la préoccupation majeure dans le domaine de l’eau pour 36% des répondants, le prix de l’eau pour 22%.
« Dans ce cadre et dans le contexte plus global de fortes tensions sur le pouvoir d’achat, une hausse de la tarification apparaîtrait inacceptable, notamment auprès des catégories populaires », conclut l’Ifop. »
En effet ! Charles Beauchamp, élu communiste et Président de la Commission Environnement du Conseil général du Nord, membre du conseil d’administration de l’Agence de l’eau Artois-Picardie, dénonçait le 31 juillet 2008 sur son blog, dans un billet intitulé « Eau de robinet : vers une hausse annuelle de 30 euros ?! » le fait que : « le questionnaire propose d’ailleurs comme seule source de financement une augmentation annuelle de la facture d’eau de trente euros pour atteindre le bon état écologique en 2027, et même une augmentation plus forte pour des actions plus rapides. » Mais « qu’une fois de plus les multinationales de l’eau : Veolia, Suez et Saur, ne seront pas mises à contribution pour atteindre « le bon état écologique ». Elles réalisent pourtant des profits exorbitants avec la marchandisation de l’eau. »
Les Chambres d’agriculture flinguent le Grenelle de l’Environnement
Mais ce ne sont là que zakouskis...
Le site d’informations Actu-environnement a annoncé le 31 juillet 2008, en des termes mesurés que « Les Chambres d’agriculture s’opposent à certaines mesures du Grenelle. »
Douce litote... Selon les termes d’un courrier adressé le 28 juillet 2008 par M. Luc Guyau, actuel président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), et ex-président le FNSEA à M. François Fillon, les Chambres d’agriculture s’opposeront à toutes les mesures susceptibles d’améliorer la reconquête de la qualité de l’eau, prévues par le fameux « Grenelle de l’environnement », dont l’examen du premier volet, la loi de programmation, est prévu au Parlement le 7 octobre 2008...
Non à l’instauration des servitudes de bandes enherbées le long des cours d’eau, non aux trames verte et bleue dont les dispositions seraient opposables aux tiers, non à l’agriculture biologique dans les aires de captage d’eau potable, non au droit d’expropriation conféré aux agences de l’eau, non au projet de permettre à ces dernières de résilier les baux ruraux dans les zones humides...
Et ce n’est pas tout. Pas question d’augmenter les redevances versées par les agriculteurs aux Agences de l’eau et prévues dans le projet de loi de Finances 2009. « La forte augmentation du coût de l’énergie conduit déjà à une hausse significative du coût des intrants, explique-t-il. »
Mais vive les biocarburants et les subventions qui permettront de les développer !
Et n’oublions pas que les agriculteurs sont les premiers acteurs du développement durable du territoire ! Et doivent donc recevoir de nouvelles subventions à ce titre...
A pleurer.
Nitrates : la France en sursis
Car il ne faudrait tout de même pas oublier, comme le rappelle fort justement un article publié le 31 juillet 2008 par le nouvel espace dédié à la reconquête de la qualité de l’eau que vient d’inaugurer le 24 juillet dernier le portail d’information Localtis de la Caisse des dépôts et consignations (s’inscrire sur le site pour le consulter), que « Faute de résultats sur la qualité de l’eau en Bretagne, la France risque toujours une forte amende européenne. Pour l’éviter, elle avait annoncé un plan drastique en 2007, obligatoire depuis le 1er janvier dernier.
(...)
« A ce jour, les mesures annoncées sont donc devenues obligatoires pour 1 800 exploitations. L’azote total ne doit pas excéder 170 kg/ha pour les légumes, 160 kg/ha pour les bovins et 140 kg/ha pour les élevages hors sol. Les données de suivi sont transmises régulièrement par l’Etat à la Commission européenne.
« Mais les services de l’Etat restent muets sur les résultats et les associations de protection de l’environnement n’ont aucune information.
« Un bilan sera dressé le 31 décembre 2009. Ce plan s’accompagne d’indemnités compensatrices de contraintes environnementales (ICCE), lesquelles s’élèveraient en moyenne sur cinq ans à 138 euros/ha pour les légumiers, 141 euros/ha pour les éleveurs hors sol et 95 euros/ha pour les éleveurs de bovins.
Le coût budgétaire de l’ensemble du plan d’action a été chiffré à 74,4 millions d’euros (contre 60 millions prévus initialement) financés par l’Etat et l’agence de l’eau Loire-Bretagne. »
On notera de surcroît que localement, comme c’était hautement prévisible, l’affaire de la fermeture des captages, imposée par l’Etat, tourne à la véritable pantalonnade, comme le souligne Gérard Borvon, de l’association S-Eau-S, dans un billet en date du 2 août 2008, titré « Guerre de l’eau en Bretagne : razzia des pollueurs sur l’eau pure (2).
Agence Seine-Normandie : report à 2027 de l’objectif de reconquête de la qualité de l’eau !
On ne s’étonnera donc pas, comme l’annonçait un article publié par Ouest-France le 31 juillet 2008, qu’en dépit des engagements et promesses renouvelées depuis des années, l’Agence de l’eau Seine-Normandie, la plus importante des six agences de l’eau françaises, annonce qu’elle va solliciter un report à 2027 de l’objectif de reconquête de la qualité des eaux, alors que depuis des années tous les « acteurs de l’eau » répètent benoîtement que ce fameux objectif doit être atteint en 2015...
Interrogé par Ouest-France, le responsable de la Direction des bocages normands de l’Agence, M. Daniel Belon, souligne que « des progrès ont déjà été constatés ». Pour expliquer le décalage dans le temps, il évoque en premier « un problème de financement. Pour atteindre 100 % des objectifs fixés en 2015, il aurait fallu investir 10 milliards d’euros, soit le double de l’engagement actuel ». Le comité de bassin a préféré limiter l’augmentation de l’enveloppe à 30 %. L’Agence et les collectivités paieront. Les consommateurs aussi. « Chaque habitant verse 75 € par an, il devra débourser 25 € de plus dans le projet Sdage », souligne M. Daniel Belon.
Nucléaire : aucune surveillance des nappes phréatiques...
« Nos experts n’assurent aujourd’hui quasiment aucune surveillance des nappes phréatiques." , confessera au quotidien Le Monde dans son édition du 12 août 2008, M. Didier Champion, directeur de l’environnement et de l’intervention à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Le quotidien titrait pudiquement, après les « incidents » à répétition du Tricastin que : « La surveillance des nappes phréatiques est à revoir autour des sites nucléaires »...
Face à pareil constat de faillite, il apparaît de moins en moins assuré que le consommateur consente infiniment à financer à fonds perdu une politique de l’eau dont la faillite est avérée, et qui fait figure d’emblème du « Village Potemkine » qu’est devenue la politique française de l’environnement...