Clé de voûte du " modèle français " de la gestion de l’eau, les agences de l’eau font officiellement notre fierté, en particulier dans la posture à l’international sur la géopolitique de l’eau. Pourtant, jamais le mépris envers celles et ceux qui incarnent ce modèle n’a été aussi grand.
Le mépris vis-à-vis des agents publics n’est pas une prérogative jupitérienne, loin s’en faut. Le traitement réservé aux personnels des agences de l’eau est non seulement ridicule et absurde, il est fondamentalement destructeur pour ces personnes qui sont exposées depuis des années aux erreurs stratégiques commises dans le domaine de la gestion de l’eau, à l’application imparfaite du principe "l’eau paie l’eau" (fixation technocratique des objectifs DCE, ponctions des budgets pour alimenter le déficit de l’Etat, hold-up de la biodiversité sur les ressources destinées à l’eau…).
Maintenant, ce n’est plus seulement la perte de sens du travail, c’est une remise en cause personnelle qui est à l’œuvre.
La LEMA de 2006 avait créé un statut spécifique pour les personnels des agences, plutôt favorable, qui avait toujours déplu à Bercy.
Agents contractuels de droit public, les personnels ont assez peu de perspectives d’évolution de carrière hors de leur agence.
La fin de ce statut dérogatoire a été actée, les recrutements ne se font plus sur ce statut (dans les faits, ils ne se font plus d’ailleurs, ou presque, puisque la tendance n’est pas vraiment à l’augmentation des effectifs…), reste à pousser les troupes vers le Graal : le Statut en devenant des fonctionnaires, non des contractuels. Et là ça part en vrille.
Comme souvent, les discours associés à ce changement ont des allures d’antiphrases. Le passage au statut, c’est de la "déprécarisation", sauf que ça s’adresse en fait à des personnels en CDI…
Les modalités, elles, montrent bien dans quelle relation de confiance directions et tutelle se placent.
Pour devenir fonctionnaire, il faut passer un concours. Si le concours est réussi, la personne… reste sur le poste qu’elle occupe…
Si elle le rate ? Elle reste sur son poste, mais elle aura encore plus de difficultés qu’avant pour évoluer, même en interne.
Le concours, c’est un vrai concours, avec un écrit (note de synthèse pour tester la culture générale administrative de gens hyper spécialisés), puis pour ceux qui ont réussi, un oral après avoir préparé un RAEP (reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle).
Oui, des personnes qui sont là depuis des années, qui sont évaluées chaque année, doivent produire un RAEP pour rester sur leur poste !
Comme si leurs "acquis" n’étaient justement pas "reconnus" !
Le jury pose bien sûr des questions sur toute la culture dont doit faire preuve un agent, et lui demander ses motivations.
Bien évidemment dire "je veux pouvoir continuer à faire mon boulot dans les meilleurs conditions" n’est pas une vraie motivation, il faut jouer le jeu avec couplet sur la volonté de manager, de progresser…
On remet en cause les personnes et leurs compétences alors que s’il s’agissait d’une simple mesure technique de changement de statut, des procédures adaptées tenant compte de la spécificité du travail existent.
Encore aurait-il fallu vouloir les mettre en œuvre.
Pour ceux qui vont réussir, la potion risque d’être amère au moins quelques années en plus.
Après avoir réussi le concours, tout le monde sera… stagiaire.
Malgré l’"expérience" qui sera "reconnue", il faudra faire ses preuves un an. Sans prime.
Quant à la visibilité sur la rémunération à venir, pour le moment, il faut faire avec des simulations. On fait passer un concours sans visibilité. Pour les plus jeunes, c’est intéressant à terme, pour ceux qui ont de l’ancienneté, pas forcément, voire pas du tout…
Pour rajouter dans l’absurdité, il faut souligner que toute cette procédure infantilisante coûte très cher : des heures de formation pour être prêts à répondre ce que le jury attend, du stress qui provoque une baisse de productivité, des rémunérations pour les membres du jury, des défraiements pour aller passer le concours à Paris… A l’heure où l’on doit traquer les dépenses inutiles, c’est plutôt bien trouvé.
Au final, c’est tout ce qui faisait que le système des agences tenait encore à peu près qui est déstabilisé : la compétence et la motivation des personnels.
Comment avoir encore envie de travailler dans un tel contexte ? Comment ne pas se sentir humiliés ?
Travailler plus pour gagner moins…
D’autant, qu’avec la réduction des effectifs qui risque d’être poussé dehors en premier ? Les fonctionnaires puisqu’il suffit de les remettre ailleurs.
Les contractuels sont attachés à leur établissement, ils sont moins mobiles. La mobilité mise en avant apparaît ainsi au moins autant favorable au système qu’aux personnes. Et en plus, on leur fait payer.
Mais bon, pour ceux qui auront raté, on pourra toujours prévoir des formations aux RPS (*), c’est très tendance…
(*) RPS : risques psycho-sociaux.