Le signe ne trompe pas. Quand un « grand quotidien régional », comme la Voix du Nord à Lille, en situation de monopole, commence à tâcler Veolia ou Suez, ça sent le roussi pour nos hérauts de la performance et de la transparence, ici embringués dans un épouvantable pataquès dont ils vont avoir du mal à sortir sans trop de casse… Bon, nous leur faisons toute confiance pour « optimiser » une solution délicate.
La communauté urbaine, désormais présidée par Mme Martine Aubry, après l’interminable règne de M. Mauroy, vient donc d’annoncer la mise en place d’une commission arbitrale, signe que les discussions bilatérales patinent.
Pas forcément une bonne nouvelle au demeurant, puisque l’un des « arbitres », M. Jean-Raphaël Bert, a déjà participé à ce type de marathon, à Bordeaux, ou l’affaire à coûté 233 millions d’euros à la Lyonnaise, mais M. Bert n’y était pas pour grand chose, et au Grand Lyon, ou la récente « révision quinquennale » du contrat léonin détenu par Veolia et la SDEI depuis 1995, se sera soldée, après d’intenses « arbitrages », par une baisse toute apparente et momentanée des tarifs, au grand soulagement de M. Collomb, comme de Veolia et de Suez, mais au grand dam d’usagers qui avaient pourtant établi que la rente de situation de Veolia lui assurait depuis des lustres des avantages parfaitement indus…
Mais on imagine bien que l’ensemble des acteurs lillois pourraient trouver avantage à un arbitrage courtois, tant la situation qui y prévaut depuis le milieu des années 80 serait pourtant de nature à conduire la collectivité à bouter dehors des opérateurs qui auront admirablement « fait suer » un contrat calamiteux (pour l’usager).
Déjà côté concurrence bernique, puisque la Société des eaux du Nord (SEN), comptait au rang de la douzaine de « filiales communes » que la Générale et la Lyonnaise avaient constitué en France et dans les DOM-TOM, histoire peut-être de faire oublier au fil du temps que l’on puisse même se poser la question de la concurrence ? Les connaissant comme on les connaît, il n’y aurait rien eu là d’étonnant…
Bref, aujourd’hui cette filiale commune empoisonne tout le monde. Et d’abord Veolia et Suez. Le Conseil de la concurrence les a enjoints de « décroiser » ces participations, et les deux groupes y travaillent dans la douleur depuis plus d’un an : je prends les Hauts-de-Seine et tu me laisses Saint-Etienne ? On imagine le tableau.
Bref, ici c’est Suez qui doit emporter le morceau. Mais ce n’est pas un cadeau.
Dans le genre embrouille, on a la totale.
Le contrat signé en 1986 entre la filiale commune (la SEN), et la Communauté urbaine, qui compte 60 communes, arrive à échéance en 2015.
La SEN assure donc depuis 1986 la surveillance, l’entretien et le renouvellement de plus de 4 000 kilomètres de réseau.
Enfin çà c’est ce que prévoit le contrat.
Le hic c’est que, dès 1996, un rapport de la Chambre régionale des comptes a dénoncé des provisions indues conservées par la SEN : 164 millions d’euros que la société devait utiliser pour des travaux de renouvellement du réseau, qui n’ont malheureusement (pour les usagers et la collectivité), pas été totalement réalisés. D’ou bénéfices considérables pour nos amis qui placent le jackpot et encaissent les confortables revenus qu’il génère.
M. Frérot nous jurait la main sur le cœur il y a quelques mois que tout cela n’avait jamais existé. Bon, c’était à la Fête de l’Huma, mais les faits sont têtus…
L’association lilloise Eau Secours a de plus attaqué la Communauté urbaine il y a deux ans pour abus de biens sociaux, la sommant de réclamer cet argent.
Pas moins de seize avenants ayant été apportés au contrat, les choses auraient peut-être fini par sembler s’arranger... En fait ça ne s’arrange jamais, mais tout le monde aurait fait semblant.
Et patatras, le Conseil de la concurrence, en 2002, puis Mme Lagarde, il est vrai harcelée par Que-Choisir, finissent par signer la fin de la partie : Veolia et Suez doivent divorcer.
Ces choses là, comme chacun sait, ne se passent jamais sans larmes et bris de vaisselle.
Et de fait c’est le souk.
"C’est une situation anormale", commente dans la Voix du Nord M. Alain Cacheux, vice-président de la Communauté Urbaine à la politique de l’eau. En 2015, si la communauté veut mettre le marché de l’eau en concurrence, elle aurait le choix entre la SEN... et la SEN. »
Sans compter qu’un audit réalisé en 2007 a pointé des "lacunes".
La Communauté, dont il apparaît donc qu’elle a signé en 1986 un contrat calamiteux, n’aurait aucun moyen d’obliger la SEN à respecter ses obligations, or il faudra bien « juger son travail » en 2015.
L’audit évoque aussi des marges importantes réalisées par la SEN lors de travaux, et estime qu’elle devrait réinjecter 53 millions d’euros dans son programme, puisque les excédents de provisions de 1995 ont depuis lors généré des intérêts (colossaux).
"Le décalage entre le programme de travaux et les réalisations effectives pose problème", poursuit M. Alain Cacheux. On se fait un peu balader depuis 1995."
Un peu ?
A se demander pourquoi ils se réveillent aujourd’hui ?
Et ce n’est pas fini !
D’abord on imagine bien que nos deux larrons (Veolia et Suez) se disputent comme des chiffonniers, chacun espérant que c’est l’autre qui va devoir cracher au bassinet. Et comme c’est Suez qui récupère la SEN, bonjour les arbitrages : tu gardes le contrat, donc c’est toi qui raques. Non mossieur, on me la fait pas, sinon ça va barder à Marseille, etc, etc.
Ensuite, autre micmac sur la production de l’eau.
Jusqu’à présent, ce qui lui aurait permis de faire l’économie d’introduire les loups dans la bergerie, c’est la Communauté urbaine qui assure en régie une partie de la production d’eau potable, à partir de ses propres usines de production. Elle possède en effet des stations à Tourcoing, Roubaix, Wattrelos, Emmerin (usine des Arbrisseau), Pecquencourt et Sainghin-en-Weppes. Ce qui représente un tiers de la production d’eau dans la métropole.
Pour le reste la Communauté pourvoit à 45% de ses besoins en achetant l’eau à… la SEN, à qui la lie un autre contrat de vente d’eau en gros ! Et une fois acheté le précieux liquide à la SEN, la Communauté… la revend à la même SEN (Veolia et Suez), cette fois en qualité de distributeurs !
Pourquoi faire simple… On ne sait pas qui sont les gros malins qui ont monté l’embrouille, m’enfin chapeau l’artiste, fallait oser. L’ennui c’est qu’ils osent toujours.
Bref, affichant sa volonté de « rétablir une libre concurrence à l’échéance du contrat actuel » (2015), la Communauté (Mâme Aubry) veut le décroisement du capital de la SEN, mais aussi lui reprendre ses outils de production et de distribution.
Soit les stations de Roncq, Hem, Flers-en-Escrebieux (vanne de Seclin), Pérenchies, Seclin, Hempempont (Villeneuve-d’Ascq) et les Ansereuilles (Wavrin), propriété de la SEN.
La Communauté veut récupérer ces usines dans son patrimoine.
Actuellement, cela lui coûte 200 000 euros par an.
Devenir propriétaire à titre gratuit ?
La SEN, que la proposition n’enchantait guère, n’y est plus opposée, même si son P-DG, M. Philippe Dupraz, souligne dans la Voix du Nord : « C’est un virage stratégique, nous ne serions plus que des opérateurs de la Communauté... On n’a pas dit qu’on était contre, mais ce sera une cession à terme, il faut un accord global qui remplisse les conditions d’équilibre de notre société. »
Bref, si M. Alain Cacheux voit cela pour la fin 2009, la SEN est donc moins pressée...
A ce stade, on perçoit mieux les enjeux et chausse-trappes.
La Communauté urbaine de Lille va devoir décider avant 2015 si elle continue avec Suez, ou si elle crée une régie publique.
Reste à régler la question des provisions envolées, l’éventuel rachat des usines de Veolia et Suez, des compteurs…
Sans compter l’habituelle danse du scalp de nos amis, les personnels qui manifestent, les amicales observations sur les autres contrats que gèrent nos amis pour la même communauté urbaine, etc., etc.
Comme les missi dominici de Suez ne cessent de se précipiter à Lille, c’est pas gagné.
Encore un effort, Mâme Aubry ! Et un signe fort pour la refondation !