Plusieurs associations d’élus, dont l’ADCF, ont engagé un bras de fer avec le gouvernement qui s’apprête à tenter un coup de force pour intégrer subrepticement la gestion des eaux pluviales à la compétence assainissement, au détour d’un amendement au projet de loi Ferrand-Fesneau adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 30 décembre dernier. Ce nouveau rebondissement fait suite aux manoeuvres initiées par la DGCL du ministère de l’Intérieur et le ministère de l’Ecologie (ce qu’il en reste), qui instrumentalisent un arrêt du Conseil d’état de décembre 2013, lui faisant dire ce qu’il ne dit pas, pour refermer le couvercle sur la bombe du financement de la gestion des eaux pluviales, qui s’effectue depuis plusieurs décennies dans l’illégalité.
L’affaire est d’importance puisque le financement des EP mobilise aujourd’hui plus de deux milliards d’euros par an !
La gestion des EP est un service public administratif (SPA), qui devrait être financé par la fiscalité locale et des taxes d’aménagement prélevées sur les aménageurs, publics comme privés (M14).
Et non par la facture des usagers du service public de l’assainissement (M49).
Depuis des décennies, sur la base d’une Instruction interministérielle de 1978 qui n’a jamais reçu la moindre habilitation législative, les collectivités locales font peser une partie du financement des EP, voire la totalité (!), sur la facture qu’acquittent les usagers du service public de l’assainissement, ce qui en droit est parfaitement illégal !
(Une taxe ou une redevance ne peut être légalement perçue que si une loi l’a institué, et une "Instruction interministérielle" ne peut se substituer à la loi...)
Pour revenir à la légalité, et comme le préconise le rapport établi par Pierre-Alain Roche pour le CGEDD, que le ministère de l’Ecologie (ce qu’il en reste) a enfermé dans un placard depuis décembre 2016, il faut refonder de a à z le financement de la gestion des eaux pluviales, ce que tous les acteurs concernés refusent catégoriquement puisqu’il faudrait taxer :
– le contribuable local, es qualité, en sus de sa facture d’assainissement ;
– les collectivités locales elles-mêmes, pour tous les aménagements publics ;
– et surtout les aménageurs privés de tout poil, qui ne veulent évidemment pas en entendre parler.
Et c’est donc de cette véritable bombe à retardement dont a hérité l’actuelle majorité avec les godillots REMouleurs, qui, n’y connaissant rien, se font enfumer par la DGCL et la DEB qui font des pieds et des mains pour les convaincre de voter un amendement inepte, qui prétend faire dire au fameux arrêt du Conseil d’état de décembre 2013 ce qu’il ne dit pas…
Autre exemple de coup de force. Le gouvernement devait présenter au Parlement, deux mois après l’adoption en première lecture de la PPL sur la Gemapi, qui a été adoptée juste avant la PPL Ferran-Fesneau un Rapport sur les eaux pluviales et de ruissellement... De rapport il n’y en a point, donc le gouvernement, là encore, se moque du parlement...
L’ADCF enfonce le clou
L’Assemblée des communautés de France (ADCF) vient donc d’alerter, à l’approche de l’examen le 17 avril par le Sénat de la PPL Ferrand-Fesneau sur le transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes, sur l’importance de ne pas unifier les compétences assainissement et eaux pluviales.
Acté par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Notre, articles 64 et 66), de 2015, le transfert obligatoire à l’horizon 2020 des compétences "eau" et "assainissement" aux communautés de communes et communautés d’agglomération, n’en finit pas de susciter des remous dans les rangs des élus locaux.
Ce transfert de compétences implique en effet d’importantes réorganisations dans "des territoires soumis à des contraintes particulières", comme le souligne dans l’exposé de ses motifs la proposition de loi discutée le 17 avril prochain au Sénat, qui vise à "apporter des réponses pragmatiques à ces préoccupations légitimes".
L’ADCF souligne dans ses dernières propositions la nécessité de ne pas forcer le rapprochement des compétences eaux pluviales et assainissement.
Et donc de laisser aux territoires le soin de gérer la première comme ils l’entendent "au vu des réalités locales", et en lien étroit avec d’autres responsabilités comme la gestion des voiries et la nouvelle compétence Gemapi (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations).
Pour l’association d’élus, ces deux compétences eaux pluviales et assainissement "n’obéissent ni au même mode de gestion ni au même mode de financement mais leur rapprochement dans une compétence unifiée ne s’avérera pas toujours la solution la plus pertinente".
Une cohérence existe parfois sur le terrain entre les réseaux d’assainissement et les eaux pluviales - ce que l’ADCF ne conteste pas.
Mais les "imbrications" diffèrent selon les collectivités, et nombreuses sont aussi celles qui exercent la compétence eaux pluviales en lien avec leurs compétences en matière de voirie.
D’autres champs d’actions comme le ruissellement ou des missions relatives aux cycles de l’eau peuvent aussi entrer en jeu dans leur gestion.
En d’autres termes, la gestion des eaux pluviales affiche un "caractère par essence partagé".
Dès lors, obliger les communautés, amenées à devenir d’ici 2020 des autorités gestionnaires des ces services publics, à intégrer ipso facto la compétence eaux pluviales aurait un "caractère limitatif", "contre-productif" et serait loin de garantir, poursuit l’association dans une note diffusée début mars, "une gestion la plus optimale possible".
L’ADCF milite donc pour que les élus puissent "disposer d’une latitude" afin d’adosser cette compétence eaux pluviales "aux compétences connexes de leur choix".
Et donc qu’elle reste autonome.
Elle suggère par ailleurs que cette compétence puisse faire l’objet d’une définition d’un intérêt communautaire (ligne de partage d’une compétence entre communes et communauté), "notamment lorsqu’elle est exercée en lien étroit avec la question des voiries".
Le débat a déjà tiraillé les députés jusqu’au sein de la commission des lois (voir son rapport ci-après), certains de ses membres comme la députée REM de Moselle, Hélène Zannier, estimant que "l’eau pluviale dépend de l"assainissement, c’est un fait et (qu’) il n’est pas nécessaire de relancer le débat".
Et de renvoyer à notre désormais fameux arrêt du Conseil d’État de décembre 2013.
Celui-ci portait sur le transfert de la compétence assainissement et eau d’une communauté urbaine, devenue entre temps une métropole (Aix-Marseille-Provence).
"Un cas très particulier donc, celui d’institutions exerçant déjà de plein droit l’intégralité des compétences eau et assainissement, voirie et Gemapi", estime-t-on à l’ADCF.
Tant que cela restait circonscrit aux seules communautés urbaines, pas de problème, mais des circulaires de la DGCL et de la DEB sont ensuite venues étendre cette jurisprudence à l’ensemble des intercos.
Des préfectures ont ainsi déjà imposé, via leur contrôle de légalité, l"extension aux eaux pluviales de la compétence assainissement des communautés.
Une exigence que l’association estime "dénuée de fondement législatif".
Et sans intérêt "dans les secteurs de faible densité et les espaces ruraux ou de montagne", aux "réalités souvent très différentes" et où marier ces deux compétences a même de fortes incidences.
L’ADCF a ainsi sondé des "communautés très exposées" et lésées par un tel transfert intégral de la compétence eaux pluviales, "sans financement dédié".
Prochain round au Sénat le 17 avril où la même comédie va se rejouer.
A suivre…
– L’arrêt CE 2013 :
– Le dossier législatif :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl17-260.html