Un coup de maître. A un mois de l’élection présidentielle, la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau publie un « Manifeste » qu’elle adresse aux candidats à l’élection suprême, et surtout aux futurs députés et sénateurs. Le syndicat patronal créé par Veolia, Suez et Saur y présente 7 « axes de progrès », censés incarner les orientations décisives pour la période 2022-2027, fruits d’un patient travail de lobbying promis à un bel avenir, car ces orientations vont inévitablement s’inscrire dans le réel, (c’est déjà fait au lendemain même de cette publication, avec le décret gouvernemental sur le « re-use »…), signant une mutation profonde de ce lobbying, non plus périphérique à l’appareil d’état et à la représentation politique, mais logé en son sein à l’état gazeux, comme un phénomène naturel, que nul ne saurait désormais contester.
C’est en se réclamant de deux des pantalonnades les plus accablantes qui ont vu le jour dans le secteur sous l’ère Macron, que la FP2E « source » son inspiration : les « Assises de l’eau » puis le « Varenne de l’eau et de l’agriculture », évènements « pionniers » qui peuvent se résumer à l’adoubement de tous les lobbies qui agissent désormais au grand jour, sous la houlette aussi duplice que complice de l’appareil d’état.
D’emblée, le « Manifeste » proclame son ambition : « (…) nous nous adressons aux candidats à l’élection présidentielle et aux futurs parlementaires pour rappeler que le modèle français, qui a toujours eu à cœur la défense de ce bien commun qu’est l’eau, a plus que jamais besoin d’une volonté politique forte. Cela passe par de véritables moyens pour les élus locaux pour déployer dans chaque territoire une politique de l’eau qui s’inscrive dans la durée.
Pour qu’en France, en métropole et en outre-mer, l’eau rime avec santé, bien-être et qualité de vie, pour que l’eau soit un atout du développement des territoires et non un obstacle aux activités et à l’installation des populations, pour que l’eau reste un bienfait pour la Nature, il nous faut collectivement nous occuper d’elle ! Loin des dogmes, mais avec détermination, en décloisonnant la réflexion comme l’action, en faisant de chaque enjeu local une ambition nationale. »
Le tout, bien sur, moyennant des subsides évalués à une dotation annuelle complémentaire de 3 milliards d’euros…
La messe est déjà dite, avec cette langue, non pas conquérante, mais évidente, celle du « bon sens », de l’assurance tranquille de qui incarne le bien, l’intérêt général, le service public et tout l’arsenal sémantique mobilisé pour la fabrique du consentement.
Il n’est pas inutile de s’arrêter un instant sur ce tour de force en plaçant sur la lamelle de notre microscope la stratigraphie de cette construction sémantique.
7 nuances de marchandisation XXL
– 1 - Mobiliser l’innovation pour préserver la ressource : donner une impulsion décisive au recours aux eaux « alternatives ».
Ici il s’agit de conférer au « re-use », porté sur les fonts baptismaux par les mêmes depuis 15 ans, le statut de solution évidente, naturelle, et de lever toutes les « barrières » réglementaires qui s’y opposent. Autrement dit la réutilisation des eaux usées « traitées » partout et en tout temps, au plus grand profit de Veolia, Suez et Saur, qui disposent évidemment des solutions clés en main qui permettent d’y pourvoir.
Les inquiétudes sanitaires et environnementales y afférent ? Fadaises, bien sur.
RIP Charles Saout…
Remettre en cause les pratiques à l’origine de l’épuisement de la ressource ?
Hors sujet. Le re-use, vous dis-je !
– 2 - Mobiliser l’innovation pour renforcer « l’économie circulaire » : déployer la production de « ressources vertes » issues du traitement des eaux usées.
Grâce à la chaleur des eaux usées, vous chaufferez votre lycée ou votre mairie pour un coût sans concurrence : quel édile résisterait ?
Sans compter la divine surprise de la méthanisation, horizon indépassable de notre temps, merci Vladimir Poutine, qui va sceller les noces adultérines de Veolia, Suez et Saur avec la FNSEA.
– 3 - Mobiliser l’innovation pour répondre aux enjeux du littoral français :
« Anticiper les effets ets du déplacement du trait de côte sur les territoires en traitement des eaux en adaptant les infrastructures de l’eau.
Améliorer la qualité des eaux de baignade pour préserver les milieux et l’attractivité de la France.
Préserver les gisements d’eau douce, en empêchant les intrusions salines. »
Cette mise en avant est assez nouvelle, mais la partie est gagnée d’avance.
L’Etat a depuis longtemps lâché l’affaire en amputant ses services centraux comme ses opérateurs. Sur le terrain les alertes se multiplient, les élus s’inquiètent, à juste titre. « Nous sommes là pour vous aider… » Comme c’est « innovant », on va pouvoir lever des financements du même tonneau…
– 4 - Donner les moyens aux élus locaux de fonder durablement leur politique tarifaire et d’investissement.
« Faire de l’Observatoire des services publics d’eau un outil de pilotage structurant de la politique de l’eau
Déployer localement la politique nationale de réinvestissements.
Rénover la comparaison du rapport coût/qualité en intégrant les nouveaux enjeux climatiques.
Décloisonner les services publics et accroître la solidarité urbain-rural. «
Un coup de force. Ledit « Observatoire » avait été conçu, orienté, instrumentalisé par nos amis, avec en point d’orgue le très fameux rapport tri-annuel de « l’Observatoire de la loi Sapin », banale escroquerie exécutée par une maigrelette équipe « d’observateurs » stipendiés par les mêmes.
Cette fois on change d’échelle, puisqu’il s’agit de rien moins que de refondre de A à Z les fameux « indicateurs de performance », incontournables mantras, qui permettront de légitimer le bon usage de la nouvelle dotation annuelle de 3 milliards d’euros, au plus grand profit des trésoreries des Trois Sœurs. C’est tellement gros qu’on se pince, reste qu’avec ces gens-là, nous savons qu’ils osent tout, et que c’est à cela qu’on les reconnaît…
– 5 - Faire à nouveau de la qualité de l’eau un enjeu sanitaire d’avenir.
"Développer des actions préventives pour la protection des captages ;
Mettre en place les traitements nécessaires pour atteindre les objectifs européens de qualité de l’eau, partout sur le territoire."
Une bonne manière aux amis de la FNSEA et de l’APCA pour le premier item, et ce faisant baffer Eau de Paris qui nous fait braire là-dessus depuis trop longtemps.
Pour le second, il faut sauver le soldat SEDIF, embourbé dans l’affaire de l’OIBP, et étendre la même arnaque partout. Là nos amis rêvent un peu, ça ne va pas le faire.
– 6 - Promouvoir une politique sociale de l’eau universelle et efficace.
« Lancer un chèque eau universel au profit des Françis les plus démunis
Donner un meilleur accès à l’eau aux personnes non raccordées.
Sécuriser le modèle en renforçant le recouvrement des factures impayées des foyers sans aucune difficulté financière.
Revenir au strict respect du principe « l’eau paie l’eau » pour garantir les investissements. »
A ce train là il vont embaucher le regretté Faber, le grand penseur des entreprises à mission, dada d’Antoine Frérot, et sans doute faire figurer l’Abbé Pierre et Coluche sur les factures d’eau…
Pour le principe « l’eau paie l’eau », y a eu un grave raté dans la loi 3DS, la preuve qu’il ne faut pas laisser les élus s’occuper de ce à quoi ils ne comprennent rien…
– 7 - Mobiliser les solutions innovantes pour rafraichir les villes ;
« Déployer un plan national « ilots de chaleur » pour adapter le cadre de vie deans Français au changement climatique. »
Au train où çà va ne reste plus qu’à créer une chaire Hidalgo à AgroParisTech, et à embaucher Missika pour piloter le bouzin, les Français le sentiront passer, le « changement de cadre de vie »…
On aura compris que la mise en œuvre de ce manifeste, échappant à toute intervention funeste de la représentation nationale, bénéficiera du soutien aussi bienveillant qu’appuyé du second quinquennat de M. Emmanuel Macron.
Lire aussi :
Un ministère de l’environnement gangrené par les lobbies
http://www.eauxglacees.com/LIVRE-un-ministere-de-l
Les eaux glacées du calcul égoïste, 11 mars 2022.