M. Marc Reneaume est un homme précieux. Il est numéro deux ou trois, on ne sait plus de Veolia en France, préside le syndicat patronal des marchands d’eau, la FP2E, et présente la singularité de témoigner par tous temps d’une rage non dissimulée dès qu’on révoque en doute les contes de fée qu’il sème à tout vent. En témoigne l’échange virtuel ci-après entre le ci-devant Reneaume, sous forme d’une Tribune qu’il publia dans la Gazette des communes le 4 octobre 2010, et la riposte acerbe de l’une des figures de la Coordination des associations de consommateurs d’eau (CACE), qui ne se prive pas de tancer le sieur Reneaume. Réellement précieux vraiment, y en a pas tant que çà qui sont cap de transformer la Canebière en place Tahrir l’année prochaine…
– La tribune de M. Marc Reneaume, président de la Fédération Professionnelle des Entreprises de l’Eau (FP2E), publiée dans la Gazette des Communes le 4 octobre 2010 :
« L’eau a soif de toutes les compétences »
« C’est paradoxalement en France, pays disposant d’un service public de l’eau des plus performants au monde, que le nombre de « faux amis » de l’eau semble le plus élevé. Il n’y a qu’à constater les charges médiatiques récurrentes autour de l’eau du robinet et de sa gestion pour s’en convaincre.
Certes le sujet est essentiel, et passionnant. Mais l’eau est aussi au centre de polémiques aussi stériles qu’incompréhensibles, qui nuisent au service public et, in fine, à la population.
Ainsi, les entreprises privées ne pourraient pas apporter leur contribution à la performance des services publics de l’eau, sous prétexte qu’elles ne pourraient faire de bénéfice sur un service essentiel comme l’eau. Il faudrait alors « remunicipaliser », par opposition à la soi-disant « privatisation » de l’eau en France, alors que tous les services d’eau sont publics, la ressource et les infrastructures appartenant à la collectivité ! Oui, les entreprises de l’eau gagnent de l’argent pour les savoir-faire qu’elles délivrent. Mais les entreprises publiques en gagnent aussi dans d’autres services essentiels, et c’est bien normal. Le bénéfice est garant du développement de l’entreprise et de la pérennité des emplois. C’est aussi avec cet argent que l’on finance les activités de recherche et d’innovation : l’essentiel de l’effort de recherche appliquée dans le domaine de l’exploitation des services d’eau français est porté par les entreprises de l’eau.
Avec quelques pirouettes sémantiques, la complexité du métier se transforme en « opacité » ; le développement international, pourtant si rare en période de crise et générateur d’emplois, y compris en France, devient une « emprise multinationale sur la ressource » ; les actionnaires (parmi lesquels l’Etat, les salariés et le grand public) sont honteusement pointés du doigt. Ces fameux bénéfices seraient « faramineux », alors que les marges des entreprises de l’eau, aisément vérifiables, sont parfaitement raisonnables et bien en deçà de celles d’autres grands secteurs essentiels (comme l’énergie ou les télécoms).
Le modèle gagnant, celui qui fait de la France un exemple en termes de gestion de l’eau pour de nombreux pays dans le monde, est justement celui de la collaboration (de plus d’un siècle) entre la puissance publique et les entreprises privées : des collectivités maîtres d’ouvrage au cœur de la décision, qui choisissent la stratégie et contrôlent son déploiement ; des entreprises spécialisées au cœur de l’action, qui gèrent l’exploitation des services en assumant une partie des risques. N’en déplaise à certains, ce type d’organisation séduit non seulement les pays en développement (plusieurs rapports de la Banque mondiale soulignent l’apport de la collaboration public-privé dans l’accès à l’eau et à l’assainissement, deux vecteurs essentiels de santé publique) mais aussi les pays industrialisés, comme les Etats-Unis.
Nous pouvons sans doute améliorer les modes de collaboration, mais il serait contre-productif d’opposer les compétences privées et publiques ou de faire l’impasse sur l’une d’entre-elles, en cédant ainsi à l’idéologie du « tout public » ou du « tout privé ». Voyons plutôt ce que nous pouvons obtenir de mieux pour chacun, en comparant en toute transparence les atouts des uns et des autres. Réfléchissons ensemble à l’évolution nécessaire du modèle économique et de la gouvernance des services d’eau afin de faire face, sur le long terme, aux enjeux d’environnement et de santé publique, tout en garantissant une facture d’eau abordable pour tous, notamment pour les plus démunis.
Certains voudraient pourtant voir nos entreprises de l’eau, leader mondiales dans leur domaine et souvent citées en exemple, péricliter au nom d’une idéologie dépassée : cela serait destructeur d’emploi, dangereux pour la performance des services publics en France et, plus globalement, irresponsable pour l’accès à l’eau et à l’assainissement dans le monde.
Alors, au-delà des faux débats et des manipulations d’opinion, nous devons impérativement prendre conscience que toutes les compétences, publiques et privées, doivent se rassembler autour des vrais enjeux de l’eau. La récente labellisation des pôles de compétitivité « eau » va dans ce sens : unir les entreprises, la recherche publique et les collectivités pour trouver des solutions innovantes et créatrices d’emploi, afin de répondre aux grandes problématiques liées à l’eau, en France et dans le Monde.
Une autre formidable opportunité est le forum mondial de l’eau, en mars 2012 à Marseille, qui réunira plus de 20 000 participants. Il sera l’occasion de réunir tous les acteurs – publics et privés – et plus largement toutes les parties prenantes, afin de trouver des solutions concrètes répondant aux grandes problématiques liées à l’eau. »
– La réponse de Paul Linossier, membre de la CACE :
« Marc Reneaume est bien dans son rôle de président de la FP2E quand il développe un discours en tout point doctrinaire et dogmatique, caractérisé par des affirmations péremptoires. Mais après tout, il prêche pour sa paroisse, Veolia. C’est bien naturel puisqu’il est rémunéré aussi pour cette fonction.
Il reste dans un propos de pure et banale propagande, sans rien ajouter à ce qu’on entend ou lit depuis une quinzaine d’années.
Au titre des affirmations péremptoires et cocardières, il prétend que la France est le "pays disposant d’un service public de l’eau des plus performants au monde". Les lecteurs du discours doivent comprendre que ce sont les entreprises privées qui sont performantes alors qu’elles n’interviennent qu’en matière d’exploitation. La conception et le financement sont pris en charge par les collectivités. Il s’agit tout simplement d’une adresse aux élus locaux pour les aider à justifier le choix de la délégation de leurs services aux entreprises privées.
Il serait par contre bien avisé de consulter les rapports annuels établis par ses unités d’exploitation. Il serait peut être surpris de découvrir des performances plus proches de la déchéance que de l’excellence : par exemple des pertes d’eau invraisemblables dues aux fuites non réparées. N’est-ce pas la conséquence inévitable de la recherche effrénée du profit au détriment de la qualité du service ?
Marc Reneaume n’est pas fondé à écrire que l’eau serait au "centre de polémiques aussi stériles qu’incompréhensibles, qui nuisent au service public et, in fine, à la population". Cette façon de présenter l’action de nombreuses associations de défense des services publics de l’eau est outrageusement erronée.
Est-ce polémiquer que de demander des comptes en coûts réels en lieu et place de comptes majoritairement théoriques ? Le syndicat professionnel des distributeurs d’eau à l’origine du modèle en vigueur de présentation de ces comptes par répartition, scandaleusement éloignés de la réalité, répondait à l’époque à la nécessité de justifier les tarifs, face à une contestation des usagers, naissante mais vigoureuse.
Comment faire respecter la règle fondamentale applicable aux services des eaux : ne faire payer aux abonnés que le service rendu alors que le coût réel du service est dissimulé ?
Il faut une évidente dose de culot pour renvoyer aux comptes des entreprises privées délégataires les usagers qui veulent connaître le bénéfice réalisé sur un service déterminé, ce bénéfice que les comptes remis aux collectivités effectivement dissimulent.
A ce propos, on renverra Marc Reneaume à un passé pas très lointain : la création du groupe VIVENDI, ainsi qu’à l’argent du renouvellement payé par les usagers et déposé dans des banques offshore en Irlande.
Peut-être Marc Reneaume ignore-t-il les méthodes de sa profession ? On serait tenté de le croire quand il s’étonne des reproches d’opacité totale qui lui sont adressés.
Ce qui est honteux, c’est de laisser entendre que les entreprises de l’eau seraient seules créatrices d’emplois.
Marc Reneaume devrait savoir que c’est l’activité qui crée l’emploi et que les actionnaires des entreprises de l’eau réclament en permanence des gains de productivité aux dirigeants, ce qui n’a pas pour effet de créer des emplois, mais d’en supprimer, sans pour autant que le service public y trouve avantage.
Alors qu’il ne vienne pas nous parler de défense de l’emploi par les distributeurs d’eau privés !
Il est faux de prétendre que la France est un "exemple en termes de gestion de l’eau pour de nombreux pays". On peut lui rappeler les exemples d’implantation de multinationales qui ont échoué en Amérique du Sud par exemple.
Peut être a-t-il oublié que le FMI est un facteur important de développement à l’international pour elles quand il subordonne des aides à la privatisation des services publics ? »