En réponse à une question écrite d’un parlementaire, M. Jean-Claude Flory, député (UMP) de l’Ardèche et auteur d’un rapport publié en 2003 consacré aux redevances des Agences de l’eau, Mme Nathalie Kosciuzko-Morizet, secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie vient d’apporter un certain nombre d’informations relatives à l’état des ressources en eau en France, dans une réponse publiée au Journal officiel du 18 décembre 2007. Tant sous l’angle qualitatif que quantitatif, cette synthèse souligne les tensions persistantes qui peuvent localement peser sur la gestion de la ressource, comme en atteste le dernier Bulletin de situation hydrologique mensuelle, publié le 14 janvier 2008 par le MEDAD. Car en dépit des déclarations officielles la gestion des ressources en eau françaises continue à relever d’une fuite en avant catastrophique, comme le soulignait France nature environnement en décembre 2007, dénonçant la création d’innombrables "réserves de substitution", destinées à pérenniser un modèle agricole productiviste et des pratiques d’irrigation mortifères.
Dans son Bulletin de situation hydrologique mensuelle édité le 14 janvier, le ministère de l’Écologie du Développement et de l’Aménagement durables indiquait que la pluviométrie du mois de décembre a été inférieure à la normale sur la majeure partie de la France.
Quatre mois après le début de l’année hydrologique, le déficit des précipitations est supérieur à 25% de la normale sur une grande partie du territoire (notamment sur la côte atlantique et la rive gauche de la Loire), à l’exception de la Normandie, de la Franche-Comté et de l’est de la Corse.
Ce déficit est supérieur à 50% sur la façade atlantique et le pourtour méditerranéen, précise le ministère. L’est de la Corse seule a une pluviométrie très supérieure à la normale, indique-t-il.
Depuis le mois de septembre, le cumul de pluviométrie efficace qui sert notamment à recharger les nappes aquifères, est déficitaire sur la quasi-totalité du territoire métropolitain avec des déficits particulièrement marqués sur la Provence, les Alpes du sud et les côtes languedociennes et atlantiques.
Les sols sont moins humides qu’en année moyenne presque partout et plutôt secs de la côte atlantique au Roussillon et sur la Provence, observe le Bulletin.
Les débits des rivières sont faibles au sud de la Loire, à l’exception des rivières d’Auvergne. Le remplissage des barrages et réservoirs demeure très disparate.
Concernant les nappes, les régions Nord et Est du territoire (Haute-Normandie, Nord-Pas-deCalais, Champagne-Ardenne, Lorraine, Alsace), ont bénéficié de conditions estivales ’’exceptionnellement’’ humides (avec génération de pluies efficaces) et affichent un état de remplissage satisfaisant voire, encore, nettement supérieures à la normale.
En revanche, partout ailleurs, les niveaux des nappes sont inférieurs à la moyenne pour cette période de l’année voire très inférieurs comme dans la basse vallée du Rhône et le pourtour méditerranéen.
Le ministère souligne également que certaines nappes, fortement capacitives, poursuivent une baisse amorcée il y a plusieurs années et cite la nappe de Beauce, la nappe de Champigny, la nappe de la plaine de Valence, les nappes de l’Est Lyonnais.
La synthèse de NKM
Répondant à un parlementaire, NKM nous offre donc une vue d’ensemble dont la principale qualité réside dans le souci pédagogique qui la sous tend.
Le cri d’alarme de France Nature Environnement
Mais à l’heure d’un "Grenelle" qui semble bien fondre comme banquise, ces bilans gagnent à être confrontés au véritable cri d’alarme que poussait France Nature Environnement en décembre 2007, s’élevant contre la multiplication actuelle des « réserves de substitution ».
Un palliatif légitimé, d’une part par le plan « rareté-sécheresse » décidé dès 2004, puis par la LEMA du 30 décembre 2006, dont l’examen parlementaire a permis à nombre de groupes de pression d’obtenir gain de cause et faire avaliser la nécessité de créer de nouvelles réserves artificielles, essentiellement vouées à autoriser la pérennisation d’une irrigation dévastatrice…
Or, pour FNE, trop de réserves de substitution tuent les réserves en eau ! Ce sont ainsi plus de 100 projets de retenue pour maintenir la culture intensive du maïs en région Poitou-Charentes, dont 71 pour la seule Charente-Maritime, entre 50 et 100 qui seraient à prévoir selon le rapport dit « Roussel » sur les Bassins versants de la Sèvre niortaise et du Marais poitevin, à cheval sur Poitou-Charentes et Vendée : « un sens du partage de l’eau particulier ! Alors que les ressources en eau se font de plus en plus rares et dégradées, les agriculteurs « déplacent le problème » en s’appropriant la ressource, et en mettant les milieux aquatiques à leur merci. »
La Fédération s’insurgeait donc contre la multiplication anarchique de ces retenues qui ne servent qu’à conforter des pratiques nocives pour les milieux naturels.
Pour M. Bernard Rousseau, responsable des politiques de l’eau eau de la fédération, « il est nécessaire de définir des dispositions réglementaires strictes de prélèvements en hiver et d’étudier l’impact des projets cumulés à l’échelle des bassins versants ».
Car le manque d’eau est un problème récurrent, surtout dans les régions fortement marquées par l’agriculture intensive nécessitant une importante irrigation. Les cours d’eau souffrent en été, et malgré cela ils doivent subvenir à des besoins toujours plus importants : alimentation en eau potable, irrigation… ce qui remet en cause le maintien de leur bon fonctionnement biologique.
Les irrigants demandent à la société de régulariser une situation qui s’est mise en place dans les années 70 et 80 en dehors de toute concertation et sans que l’administration ait eu la possibilité de vérifier l’adéquation des volumes prélevés par rapport aux possibilités des milieux naturels.
L’irrigation s’est développée sans évaluation des impacts cumulés et sans contrôle efficace de l’administration, comme le soulignait un rapport de l’Inspection générale de l’environnement publié en juin 2007.
Les réserves de substitution, réclamées avec véhémence par les agriculteurs, ont été imaginées « soi disant » pour améliorer la gestion de l’eau, notamment pour répondre aux problèmes estivaux d’assecs ; elles ne règlent en fait que la sécurisation de l’approvisionnement en eau pour l’irrigation !
Le déficit en eau est seulement déplacé dans la saison, précise FNE, avec un pompage dans les cours d’eau et dans les nappes aquifères hors périodes de basses eaux, en substitution des prélèvements estivaux, sans réelles précautions pour respecter les crues utiles de l’hiver, et sans évaluation de l’effet cumulé des projets dans chaque bassin versant.
Par ailleurs, nous constatons tous les jours que la qualité des milieux et de l’eau, y compris celle servant à l’AEP, ne s’améliore pas : les retenues ne permettent que de maintenir une agriculture intensive gourmande en eau et en polluants (nitrates, pesticides…). Leur intérêt économique n’est avéré que du point de vue des agriculteurs, qui trouvent là la solution parfaite pour pérenniser leur activité.
D’autre part, le financement de ces réserves d’intérêt privé est réalisé à 70%, parfois plus, par des fonds… publics !
Mais tout le monde n’en profite pas : les céréaliers, seront une nouvelle fois les mieux servis. Dans chaque cas, le projet ne profite qu’à une minorité des agriculteurs du bassin. Cette minorité a néanmoins le soutien total et inconditionnel des élus locaux !
Toujours selon FNE, il est impensable que les réserves de substitution soient présentées comme étant la solution exclusive aux problèmes de quantité d’eau, alors que la modification des assolements et la désirrigation sont au moins aussi efficaces, et ont l’avantage de préserver l’environnement !
Fuite en avant et marchandisation
Dans ce contexte un autre péril se fait de plus en plus clairement jour. De renoncements en renoncements, l’Etat, après avoir laissé l’agriculture productiviste endommager très gravement les ressources en eau, pourtant « patrimoine commun de la nation », va en confier la gestion, dans des configurations et des proportions hier encore inimaginables, aux grandes entreprises françaises de l’eau…
En atteste cette annonce de l’intervention que doit prononcer le 30 janvier prochain, à l’occasion du 9ème Carrefour des gestions locales de l’eau, à Rennes,
M. Antoine Grand D’Esnon, directeur général de Service public 2000, le bureau de conseil créé conjointement par l’Association des maires de France et la FNCCR, à la fin des années 90.
Intervenant dans le cadre du « Forum C innovation », cette intervention est titrée : « Le développement durable et l’évolution des contrats de délégation. »
M. Grand d’Esnon doit évoquer les « Certificats d’économie d’eau, l’application des leviers financiers, et la gestion amont et aval des milieux aquatiques. »
Veolia, Suez et Saur sont donc désormais légitimes en matière de « gestion amont et aval des milieux aquatiques » …
On augure donc sans peine que la situation des ressources d’eau françaises va considérablement s’améliorer à brève échéance.
(Voir aussi :
La grande crise de 2010 (1) : une fiction réaliste, 17 mars 2007
La grande crise de 2010 (2) : comment en est-on arrivé là ? 23 mars 2007
La grande crise de 2010 (3) : catastrophe ou sursaut ? 29 mars 2007
La grande crise de 2010 (4) : agriculture, environnement et territoires, 6 avril 2007
Qualité de l’eau : alertes dans toute la France
Les eaux glacées du calcul égoïste, 10 mai 2007
La gestion active de l’eau, rêve fou du nouveau bio-capital
Les eaux glacées du calcul égoïste, 12 juin 2007.
Pollution de l’eau : cote d’alerte exceptionnelle
Les eaux glacées du calcul égoïste, 12 janvier 2008
Guerre de l’eau en Bretagne : razzia des pollueurs sur l’eau pure
Gérard Borvon, association S-Eau-S, 13 janvier 2008.
Lire :
L’Etat de l’eau en France, une pénurie annoncée, Caroline Idoux, Delachaux et Nestlé, 2007.