Les contraintes financières sans précédent qui affectent les politiques publiques de l’eau doivent beaucoup à des biais idéologiques comme à des mensonges éhontés d’un certain nombre d’acteurs, qui polluent le débat, au point qu’il en devient incompréhensible. Il n’est pas inutile de le rappeler avant que nous subissions dans quelques mois, dans la perspective des « Assises de l’eau » annoncées par Nicolas Hulot une offensive en règle de prédateurs qui s’entendent comme larrons en foire pour raconter littéralement n’importe quoi.
Tout a été dit, ou presque, sur l’offensive conduite à la hussarde contre les redevances des Agences de l’eau, détournées de leur objectif par un gouvernement qui affiche son obsession de la « réduction de la dépense publique », un leitmotiv repris à l’infini par des légions d’évangélistes de marché.
De quoi parle-t-on ? La dépense publique en France comprend toutes les dépenses de solidarité, d’éducation, de santé, de retraite…, qui fondent notre modèle social et ont jusqu’à présent permis de préserver un minimum de cohésion sociale. Jusqu’ici ce sont les transferts sociaux et la solidarité intergénérationnelle qui ont prévenu une explosion sociale généralisée.
Ce fameux, et tant décrié, "modèle français", se distingue donc radicalement à cet égard de ceux d’un grand nombre de nos voisins européens, et surtout des modèles anglo-saxons, du Canada, des USA, de l’Australie, de la Grande Bretagne, toujours cités en exemple, portés aux nues, qui ont fait le choix depuis une trentaine d’années, de confier au privé la solidarité, l’éducation, la santé, la retraite…, via des fonds de pension, des assurances privées ... avec les résultats que l’on connaît : une très grande précarité des pauvres, des retraités, des malades... Voir ainsi la nouvelle bulle financière créée aux Etats Unis par les étudiants qui s’endettent à hauteur de plusieurs dizaines de milliers, voire centaines de milliers de dollars, pour financer leurs études...
Autant dire que les comparaisons ineptes brandies à longueur d’éditoriaux et d’émissions télévisées, qui clouent au pilori « l’insupportable dépense publique française » n’ont littéralement aucun sens, puisque les budgets « vertueux » des parangons anglo-saxons, qui ont si bien « maîtrisé leur dépense publique » excluent donc les charges de solidarité, d’éducation, de santé et de retraite… confiées au privé.
Si notre système est loin d’être parfait, il protège encore infiniment mieux les plus faibles que ceux des pays anglo-saxons qui nous sont toujours cités en exemple par les mercenaires stipendiés de la finance triomphante, qui trônent dans tous les medias.
Reste que depuis plusieurs décennies, la France, elle aussi, a peu à peu dénaturé le rôle redistributeur de l’impôt, se privant de ressources importantes pour, au final, creuser de plus en plus les inégalités au profit des plus riches, comme en témoigne jusqu’à la caricature le premier budget de la présidence Macron.
C’est ce même biais idéologique qui est au fondement du hold-up que vient de perpétrer l’état-Macron sur le financement des politiques publiques de l’eau.
Pas seulement un biais idéologique d’ailleurs, mais, qu’il s’agisse de Macron ou de Bercy, un aveuglement volontaire, un enfermement dans un dogme obsessionnel, celui de la pseudo “efficacité” (de la dépense publique), qui les rend sourds à tout argument.
Comme peuvent par exemple en témoigner aujourd’hui les présidents de Comités de bassin qui se sont efforcés de faire entendre raison aux apprentis sorciers qui nous gouvernent :
« Le temps de la contestation ou de l’indignation en faveur du temps long et des "choses" essentielles et réelles de la vie n’a jamais paru plus important tant le développement de la financiarisation étouffe les réalités.
Notre combat pour les Agences, comprenant une part d’autocritique de nos propres habitudes et méthodes, une adhésion franche et sincère à nos nouvelles missions, notre accord pour intégrer de nouvelles représentations dans les conseils d’administration n’ont pas pesé lourd devant les exigences idéologiques du 3% de déficit exigé par Bruxelles, même, comme nous l’avons expliqué, si les 200 millions (prélevés par l’état) étaient porteurs de 700 millions de travaux rapportant 130 millions de TVA et autant de cotisations sociales sans compter l’impôt sur les bénéfices....
Mais il n’est pire sourd, surtout quand il est jeune et plein de certitudes, que celui qui ne veut pas entendre. »
Lire aussi :
– Un projet de loi de finances qui fait fi des engagements écologiques du gouvernement :
Rémi Barroux, Le Monde, 22 décembre 2017.
– Poids de l’emploi public : éviter les parallèles approximatifs avec d’autres pays :
La Gazette des communes, 3 janvier 2018.
– La tragédie des communs était un mythe
https://lejournal.cnrs.fr/billets/la-tragedie-des-communs-etait-un-mythe
Fabien Locher, Journal du CNRS, 4 janvier 2018.