Après 10 ans de débat sur sa définition, le droit à l’eau a été reconnu par l’Assemblée générale de l’ONU comme un droit humain le 28 juillet 2010. La résolution, présentée à l’initiative de la Bolivie par un groupe de 35 pays du Sud, avait été adoptée par consensus - mais avec 41 abstentions, surtout de pays industrialisés, dont les Etats-Unis, la Grande Bretagne et le Canada. Onze pays de l’UE seulement ont voté oui, dont la France.
La résolution est non contraignante : "le droit à une eau potable salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme". Elle appelle les États et les organisations internationales à « fournir des ressources financières, à renforcer les capacités et à procéder à des transferts de technologies, grâce à l’aide et à la coopération internationales, en particulier en faveur des pays en développement ». L’objectif est d’accroître les efforts pour fournir « de l’eau potable, salubre, propre, accessible et abordable et l’assainissement pour tous ».
Une deuxième résolution, adoptée en septembre 2010 par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, est venue renforcer cette première avancée.
La reconnaissance de l’eau comme droit humain est fondamentale :
Plus d’un milliard de personnes sans accès à l’eau potable, 2,6 milliards sans accès à la moindre latrine, publique ou privée, 3,5 millions de personnes qui meurent chaque année de maladie d’origine hydrique : beaucoup de chemin reste à parcourir pour que chacun accède à la vie digne due à tout être humain.
Le problème du manque d’accès à l’eau n’est pas lié nécessairement à la rareté, mais plus souvent à la pauvreté, à l’inégalité et à une gouvernance défaillante. Un des principaux problèmes est le manque de volonté et de direction politiques.
L’approche fondée sur les droits de la personne permet de renforcer l’autonomie des plus démunis en les habilitant à élargir leurs droits par les voies juridiques et politiques.
Si le principe en a été posé, la résolution adoptée n’a aucune valeur juridique, les États et les organisations internationales n’en tirent aucune obligation.
La mise en œuvre effective du droit à l’eau demande ainsi une deuxième étape : une convention juridiquement contraignante, qui reconnaisse l’eau comme bien commun de l’humanité, protège la base vitale des générations futures et fixe une justice distributive. Ce qui implique que chaque pays doive ensuite inscrire, dans une stratégie nationale de l’eau, la façon dont il entend mettre en œuvre et protéger le droit à l’eau.
Rio +20 est ainsi l’occasion de traduire juridiquement la résolution de 2010.
Une lettre ouverte récemment adressée aux parlementaires européens argumente très justement :
« Le rejet de la référence au droit humain à l’eau fait partie, dans le chef de nombreux pays « occidentaux » de la tendance à réduire toute forme de vie – et l’eau est centrale pour la vie – à une marchandise, à une ressource économique que l’on peut vendre et acheter pour donner naissance à une nouvelle « croissance mondiale ». D’où la pression de ces pays en faveur de la monétisation de la nature, y compris l’eau, et la financiarisation des services dits environnementaux à l’échelle mondiale. »
Les débats : Eau, un droit ou un besoin ?
Pour les tenants du droit à l’eau, l’eau est un droit humain universel, un droit fondamental puisqu’un être humain ne peut pas vivre sans eau potable. De surcroît, le manque d’accès à l’assainissement et à l’eau potable entrave la pleine réalisation d’un certain nombre d’autres obligations clés relatives aux droits de l’homme et déjà adoptées par l’ONU.
La marchandisation croissante de l’eau rend son accès de plus en plus difficile aux moins nantis. Ainsi le démontrent les acquisitions par des fonds d’investissements d’énormes surfaces de terres en prévision de l’exploitation future de leur sous-sol et de l’eau qui dépossèdent le monde rural de leurs réserves d’eau ; les sociétés privées d’embouteillage qui drainent les réserves locales ; la mise en place par certains pays de marché de l’eau… L’eau devient la propriété privée de ceux qui peuvent l’acheter et est progressivement refusée à ceux qui n’en ont pas les moyens. Le droit à l’eau s’oppose à sa privatisation.
Cette tendance générale à la privatisation qui tend à faire de l’eau un bien économique, source de profits pour les multinationales, a été encouragée par les institutions internationales. Une des conditions mise par la Banque mondiale à l’allègement de la dette de « pays pauvres fortement endettés » est la privatisation de la distribution de l’eau dans les villes. FMI et Banque mondiale encouragent vivement à sous-traiter les services d’eau à des services privés lucratifs. La Banque mondiale comme le Conseil mondial de l’eau et les multinationales, ou encore certains gouvernements, préféraient parler en terme de « besoin ». Mais ont su se mettre dans l’air du temps et détournent le sens même de la notion de « droit » en se l’appropriant dans leur nouvelle communication.
Les blocages politiques
– Blocage des États qui ne veulent pas d’une reconnaissance formelle du « droit à l’eau » qui permettrait à leurs ressortissants d’aller en justice. L’extension de ce nouveau droit entraîne des coûts et des responsabilités qu’ils ne veulent pas assumer. Exemple du Canada où une partie des réserves indiennes seraient directement impactées.
– Les pays les plus opposés, Canada, Etats-Unis, Australie, Nouvelle Zélande, Royaume-Uni ont tous une politique libérale revendiquée, une économie fondée sur le mercantilisme et ont adopté différentes formes de privatisation et de commercialisation de leur approvisionnement en eau. L’eau est considérée comme un bien, un investissement et un service.
– Au niveau de l’UE, alors que le Parlement européen a adopté, depuis 2003, plusieurs résolutions en faveur du droit à l’eau, la Commission européenne a ouvertement pris position ces dernières années en faveur de la marchandisation de l’eau et a exprimé sa préférence pour l’inclusion des services hydriques parmi les services d’intérêt économique et, donc, disponibles au marché. La résolution de l’ONU a été une claque pour elle.
L’étape Marseille 2012
La déclaration ministérielle du Forum mondial de l’Eau à Marseille qui se déroulait tout récemment (12 au 17 mars) a marqué des prises de position nettes sur la stratégie globale. Si l’urgence à agir s’est trouvée confortée, aucune solution concrète n’a traduit les engagements pris par le passé. La déclaration ministérielle rassemblant les 130 pays présents a été entachée par le refus d’entendre la revendication de reconnaître l’eau comme bien commun « non privatisable », ce qui a conduit certains pays à s’en retirer. La Bolivie en premier . Comme cela c’était déjà passé à Istanbul en 2009.
Le conflit repose sur l’affirmation que sera mise en œuvre (pour garantir le « droit à l’eau »), une « planification financière stratégique et soutenable, reposant sur la combinaison adéquate de contributions des usagers, de subvention publiques et de financements privés mobilisés par des canaux bilatéraux et multilatéraux ».
Caterina de Albuquerque, rapporteur spécial pour l’eau et l’assainissement auprès du Conseil des droits humains de l’ONU, dans une intervention préalable à l’adoption de la déclaration ministérielle, dénonçait cette dernière, considérant qu’elle constituait un grave recul vis-à-vis du vote de l’Assemblée générale du 28 juillet 2010, demandant dès lors que la Déclaration de Marseille reprenne ses fondements. Sans résultat.
Permettre de faire disparaître la référence au droit humain à l’eau et à l’assainissement dans le texte présenté par l’ONU à « RIO+20 » serait la porte ouverte non seulement à sa marchandisation mais aussi à la monétisation de la nature et à la financiarisation des services dits environnementaux à l’échelle mondiale.
(*) Anne de Hauteclocque, chargée d’études, a coordonné le rapport « Eau : bien public, bien commun », publié en juin 2011 par le Laboratoire des idées du Parti Socialiste.
Lire aussi :
Négociations à l’ONU pour la Conférence Rio + 20 : le droit à l’eau en danger !
André Abreu et Emmanuel Poilane, Huffington Post.fr, 28 mars 2012