Sur le plan européen, plusieurs textes font de plus en plus fréquemment écho aux attentes exprimées par la société civile quant à la participation démocratique et au droit à l’information. On considère d’ailleurs généralement que l’implication du citoyen dans les politiques publiques est une composante majeure de la doctrine et du droit communautaire.
Ainsi, dans les domaines chimiques et nucléaires, les Directives SEVESO I et II (1982 et 1996), ainsi que la Directive 89/618 Euratom, comprennent-elles plusieurs dispositions concernant l’information du public.
La mise en place des directives européennes sur l’étude d’impact environnemental (EIA) ainsi que sur l’évaluation stratégique environnementale (SEA) comporte également de nombreuses dispositions concernant l’information et la participation du public.
En droit communautaire la directive (révisée) 90/313/CEE du Conseil du 7 juin 1990 avait déjà consacré la liberté d’information dans le domaine de l’environnement en précisant que toute information relative à l’environnement disponible dans la Communauté doit être librement accessible au public.
Mais la Cour de Justice des Communautés européennes avait critiqué le 26 juin 2003 la transposition de cette directive, en droit interne, par la France, la jugeant trop restrictive.
Elle contestait notamment une clause autorisant l’administration à refuser la communication d’un document parceque celle-ci porterait atteinte "de façon générale aux secrets protégés par la loi". Depuis lors, Paris a rectifié le tir mais n’a pas prévu, dans l’hypothèse d’une décision implicite de rejet, une disposition autorisant les pouvoirs publics à fournir, dans les deux mois, les motifs de ce refus. La Commission s’appuie donc sur cette lacune pour justifier sa position critique.
Depuis lors la loi n° 2005-1319 du 26 octobre 2005 (voir infra), "portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement", a notamment transposé la directive 2003/4 CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement, et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil.
En outre une circulaire détaillant les modalités d’application de la directive européenne du 27 juin 2001, relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement, a été émise en mai 2006.
Cet exercice d’évaluation s’imposera donc désormais à un grand nombre de démarches menées par les collectivités, des plans de déplacement urbains aux SAGE, en passant par les programmes situés à l’intérieur dun site Natura 2000.
La Convention d’Aahrus : une avancée majeure.
Mais c’est surtout la convention d’Aahrus, ratifiée par l’Union Européenne le le 25 juin 1998, qui apporte les indications les plus explicites concernant la participation du public aux décisions touchant à l’environnement.
Elle a été transcrite en droit francais par le décret n° 20002-1187 du 12 septembre 2002 "portant publication de la Convention pour l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, faite à Aahrus le 25 juin 1998".
Elle consacre donc dès l’abord un droit élargi à l’information. Celle-ci peut porter sur l’état de l’environnement, sur des facteurs ayant ou risquant d’avoir des incidences sur l’environnement, sur l’analyse faite lors de la prises de décision en matière d’environnement, ou encore sur la santé et les conditions de vie de l’homme et l’état des sites naturels pouvant être altérés du fait de l’environnement.
Cette obligation s’impose non seulement aux autorités publiques mais aussi plus largement à l’ensemble des personnes physiques ou morales exerçant des responsabilités en matière d’environnement.
L’information s’adresse à tous ceux ayant un intérêt à faire valoir lors d’une prise de décision.
En France il peut donc s’agir de l’ensemble des associations agéées pour la protection de l’environnement.
La Convention a défini des procédures de délivrance de l’information de manière à assurer un accès aussi général et immédiat que possible à l’information liée à l’environnement.
Pour ce faire les autorités publiques doivent élaborer des fichiers, dossiers, registres..., permettant cette information.
Ces informations doivent en outre être communiquées dans un délai maximum d’un mois, deux mois si elles sont très volumineuses ou complexes.
Ce dispositif est toutefois assorti de quelques réserves traditionnelles, comme dans le cas de demande manifestement infondée. De question touchant à la sécurité nationale, ou de secret des délibérations des autorités publiques.
Mais c’est surtout en posant le principe de la participation à l’élaboration des normes et décisions que la Convention témoigne de son caractère novateur.
Certaines décisions sont ainsi obligatoirement soumises au processus de participation. Une liste annexée à la Convention précise ainsi que les secteurs concernés recouvrent le champ de l’énergie thermique et nucléaire, ou de la gestion des déchets ou installation de traitement des eaux usées d’une capacité supérieure à 150 000 équivalent-habitants.
La Convention précise en outre que le processus participatif s’applique dès lors qu’il est prévu "dans le cadre d’une procédure d’évaluation de l’impact sur l’environnement conformément à la législation nationale."
En outre des possibilités d’extension peuvent être librement décidées par les Etats-membres.
Pour ce qui concerne les modalités de participation du public, elles varient selon la norme en cours d’élaboration :
– en matière d’autorisation d’activités, l’information doit pouvoir être consultée dès que possible et gratuitement : activité proposée, nature des décisions envisagées, autorité publique chargée de décider, procédure d’évaluation de l’impact national ou international du projet.
– elle doit être délivrée au début du processus décisionnel, "c’est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles, et que le public peut exercer une réelle influence" (article 6-4 de la Convention).
– une fois la décision prise, le public doit être informé du texte adopté et des motifs.
Noter toutefois que le public susceptible de participer à l’élaboration devra être désigné par l’autorité publique compétente.
Si cette intervention préalable à la prise de décision du public constitue une avancée, cela suppose bien sur que les autorités publiques présentent des projets, non pas finalisés, mais susceptibles d’évolution du fait de l’intervention du public.
La Convention insiste par ailleurs sur l’importance de faciliter l’accès à la justice pour la mise en oeuvre de la Convention.
C’est ainsi que doivent être instituées des possibilités de recours administratif préalable. Plus généralement les procédures doivent être équitables, objectives et rapides. En France la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), semble répondre à ces exigences.
En outre toute personne qui s’estime mal informée doit pouvoir former un recours devant une instance judiciaire, ou tout organe indépendant et impartial établi par la loi.
A l’identique, toute personne ayant un intérêt à agir ou faisant valoir une atteinte à un droit doit pouvoir former un recours pour contester la légalité de toute décision, acte ou omission concernant la procédure de participation du public au processus décisionnel.
Enfin le public doit pouvoir en outre engager des procédures administratives ou judiciaires pour contester les actes ou omissions d’autorités publiques ou de particuliers qui vont à l’encontre du droit national de l’environnement.
Sa dimension novatrice apparaît donc clairement puisque cette convention internationale, qui a pour sujet de droit les Etats, confère aux particuliers un accès direct à la justice.
A ce titre elle figure bien comme une étape décisive dans l’affirmation du processus de démocratie participative.
La Directive-cadre européenne sur l’eau : continuité ou rupture ?
L’article 14 de la directive cadre sur l’eau, relatif à l’information et à la consultation du public, s’inscrit dans le mouvement général initié lors du Sommet de la Terre organisé en 1992 à Rio par les Nations Unies où il a été reconnu que "l’un des principaux éléments indispensables à la réalisation du développement durable est la participation du public à la prise de décision".
Dans la continuité de Rio, l’Union européenne et 39 autres pays avaient donc adopté le 25 juin 1998 la Convention dite d’Aarhus portant sur "l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement ".
Avec la directive-cadre sur l’eau, un pas supplémentaire a été franchi. Elle prévoit en effet que le public sera consulté sur les documents de planification de l’eau (les "plans de gestion") et que les Etats-membres doivent prendre les dispositions nécessaires pour une participation active des acteurs de l’eau à l’élaboration de ces documents.
L’article 14 s’articule donc autour de trois piliers : l’information, la consultation et la participation active.
L’information du public constitue la forme la plus simplifiée en termes d’association du public à la gestion de l’eau puisqu’il s’agit d’une communication à sens unique. La mise à disposition des informations auprès du public doit être assurée en continu tout au long du processus de planification.
La consultation du public constitue une forme d’association du public plus soutenue puisqu’il s’agit d’un échange d’informations cette fois dans les deux sens, l’avis du public étant recueilli et pris en compte. Cette consultation porte sur trois types de documents préparatoires : le programme de travail (avant fin 2006), la synthèse des questions importantes (avant fin 2007) et le projet de plan de gestion lui-même (avant fin 2008).
La participation active des parties concernées constitue une forme d’association beaucoup plus intensive que les deux précédentes. Elle ne concerne pas le public mais ce qu’on appelle les "parties concernées", c’est-à-dire des personnes le plus souvent organisées en regroupements divers et participant par l’intermédiaire de leurs représentants. Les parties concernées sont amenées à apporter leur contribution active à la réalisation même des documents et ce, durant tout le processus de mise en oeuvre de la directive-cadre.
Le comité de bassin, au sein duquel sont représentés les collectivités locales, les usagers, le secteur associatif et les services de l’Etat, sera le garant de leur participation. En effet, la réussite des objectifs fixés est étroitement liée à l’adhésion des acteurs de terrain, et c’est en définissant de façon concertée ces objectifs que l’appropriation sera la plus aboutie.
Par ailleurs, les acteurs locaux possèdent leur propre expertise et sont réputés avoir une "connaissance objective" des problèmes, autant d’éléments qu’il faut valoriser pour consolider la démarche.
Contrairement à l’information et la consultation du public qui doivent être assurées (obligation juridiquement contraignante), la participation active des parties concernées doit être "encouragée" (disposition moins contraignante pour les Etats-membres).
Ces nouvelles procédures étaient réputées favoriser l’atteinte de différents objectifs :
– Répondre aux attentes et sensibiliser aux problèmes et à la situation de l’environnement dans le bassin, et ainsi favoriser l’appropriation de ces enjeux ;
– Faire remonter les connaissances locales, pour mieux connaître le contexte et adapter les décisions à celui-ci ;
– Faire remonter des pistes et des propositions d’actions locales ;
– Impliquer en amont les personnes ou groupes concernés par les décisions et faciliter la mise en oeuvre ultérieure ;
– Renforcer la légitimité et l’appropriation des objectifs fixés (SDAGE) et des actions nécessaires (programmes de mesures) ;
– Renforcer la transparence concernant les décisions prises, les actions engagées et leurs résultats.
Toutefois la formulation des termes entre consultation, information, participation du public est extrêmement vague.
Au surplus elle laisse complète latitude aux Etats membres pour concevoir la forme que prendrait cette association du public au processus de décision (pas de standardisation en la matière, pas de protocole minimum commun aux Etats-membres).
Par ailleurs, la France a désigné comme autorité compétente chargée de la bonne tenue de la gestion intégrée par bassin, le comité de bassin des agences de l’eau et les CLE des SAGE, quand ils existent.
Concrètement on voit donc bien que l’on se situe davantage dans la continuité, dans la manière dont on conçoit en France l’association de la société civile au processus de décision publique, que dans le changement.
Directive responsabilité environnementale : en retard et à la baisse…
Reste que la France peine toujours à suivre le rythme européen…
Le Medd annonçait en effet à la fin du mois de janvier 2006 que le projet de loi sur la responsabilité environnementale ne serait pas adopté avant la fin de l’année 2007.
Or l’échéance communautaire de transcription de la directive correspondante (1) étant fixée au 30 avril, la France sera donc, une nouvelle fois, en retard. Et pas seulement en retard.
Il semble bien ici que quelques lobbies se soient ingéniés à corseter les innovations dont cette Directive est porteuse.
En effet, selon Jean-Louis Haussaire, responsable du bureau du droit communautaire et international au Medd, suite à la consultation publique du mois de novembre, l’avant-projet de loi présenté le 6 novembre 2006 a été modifié.
Ensuite, une consultation interministérielle a eu lieu fin décembre 2006.
Le Medd devait dès lors attend le « bleu », c’est-à-dire la version modifiée par les services du Premier ministre, qui sera alors adressée au Conseil d’Etat.
« Nous espérons déposer le projet de loi au Sénat avant les élections », précisait Jean-Louis Haussaire au JDLE le 1er février 2007, avec une adoption lors du second semestre 2007.
Le décret, dont le projet a également été soumis à consultation publique, devrait dès lors être aussitôt publié.
Mais la version du projet de loi sortant des bureaux de Dominique de Villepin devrait différer du projet corrigé par la consultation publique.
L’article L. 162-14 risque ainsi d’être supprimé.
Il concerne le rôle des associations de protection de la nature, les syndicats professionnels, les fondations, etc. qui ont la possibilité de « proposer des mesures de prévention ou de réparation ».
« Cela peut se faire sans que cela soit écrit », expliquait Jean-Louis Haussaire au JDLE.
Un aveu qui se passe de commentaires.
(1) Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.