A l’orée des années 60, la dégradation de la qualité de l’eau est devenue une réalité observable en cotoyant les rivières francaises. A cette époque, les usines et les villes étaient rendues responsables de la pollution de l’eau. La pollution agricole commençait à se manifester. De nature diffuse, ses effets étaient difficiles à repérer. Elle était donc ignorée des décideurs, des médias, et donc du grand public. Quant aux pollutions ponctuelles, elles étaient déversées dans un océan d’eau douce, lacs, fleuves et rivières, de bonne qualité générale, et dont l’état biologique était assez peu différent de ce qu’il avait été au cours des siècles précédents.
C’est dans ce contexte, afin de réduire la pollution des eaux générée par l’activité industrielle et urbaine, que la loi-cadre sur l’eau du 16 décembre 1964 créa les agences financières de bassin. Elles furent dotées d’outils financiers, les redevances, leur permettant de mobiliser les fonds nécessaires à leur action. Ce système mit plus de 10 ans pour trouver un certain équilibre, et il faudra attendre 1997 pour qu’un début de taxation de la pollution agricole soit instauré.
Cette loi-cadre est très importante car elle a reconnu la nécessité de contrôles plus systématiques de la pollution, par le biais de mesures en rivières. Jusque là l’absence de réelle politique environnementale avait provoqué une augmentation dramatique des rejets polluants, issus à la fois de l’industrie et des villes qui accroissaient leurs réseaux d’assainissement, sans les accompagner, à proportion, de la création de stations d’épuration (STEP).
Avec les fonds désormais mobilisables via les redevances, les agences ont pu aider techniquement et financièrement les industriels et les collectivités à financer des stations d’épuration des eaux usées, et leurs réseaux de collecte. Une partie de la pollution a ainsi été éliminée, et malgré l’augmentation de la production industrielle, les pollutions ponctuelles ont globalement régressé, l’état visuel des cours d’eau s’est amélioré, sans pour autant retrouver leur état passé.
Mais, en dépit des résultats obtenus par les agences de l’eau dans leur lutte contre les pollutions ponctuelles dans les années soixante-dix, la qualité générale de l’eau a continué à se dégrader. Fleuves et rivières continuaient à perdre des poissons, et aussi des pêcheurs dont la présence est un indicateur social de la qualité du milieu aquatique.
Le caractère régulateur de la loi-cadre de 1964 sera bien complété en 1976 par la loi qui modernisa la nomenclature des substances polluantes, et les soumit à un contrôle plus strict des Préfets. Mais les fonctionnaires en charge de ces contrôles dépendaient du ministère de l’Industrie, ce qui les conduisaient à mettre en oeuvre le contrôle de la pollution sans porter atteinte au développement économique.
Pour produire de l’eau potable, les traitements devaient dès lors être de plus en plus poussés. Par ailleurs les puits trop pollués devaient être abandonnés. En fait, alors que l’effort de dépollution se déployait, l’activité industrielle connaissait parallèlement une formidable évolution liée à la révolution chimique. Des molécules de plus en plus complexes commençaient à envahir tous les secteurs d’activité, y compris notre vie courante, pour venir s’accumuler dans le milieu naturel, le contaminant et détruisant ses diverses fonctionnalités.
Les effets de ces molécules nouvelles, aussi bien sur la santé de l’homme que sur la biodiversité, étaient le plus souvent inconnus, et le demeurent encore pour l’essentiel.
Au plan institutionnel, après l’avancée majeure qu’avait représenté la loi de 1964, différentes dispositions législatives s’efforcèrent dans le courant des années 80 de viser de nouveaux objectifs par le biais d’une approche sectorielle. Après l’échec de la planification initialement tentée dans les années 70, de nombreux contrats de rivière entre l’Etat, des institutions de l’eau et des autorités locales favorisèrent ainsi le développement d’une approche intégrée en faveur d’une meilleure préservation des berges, et contribuèrent parfois à faciliter leur gestion locale. Ces contrats permirent aussi d’identifier les sources de pollution industrielles et urbaines, ce qui conduisit à multiplier le nombre de stations d’épuration par 5 en 15 ans, et à étendre considérablement l’infrastructure d’assainissement.
Mais ces avancées n’ont pas résolu d’autres problèmes, plus difficiles à régler, comme les pollutions diffuses d’origine agricole et celles liées à l’urbanisation. Ou la préservation des zones humides.
Agriculture et pollution.
Car, accomplissant à son tour sa "révolution chimique", l’agriculture a commencé à peser très fortement sur la dégradation de la qualité de l’eau. A partir des années cinquante, engrais et pesticides de synthèse ont été progressivement utilisés. Les doses ont très vite été augmentées. Puis cette utilisation massive s’est généralisée sur toute la surface agricole utile, soit environ 60% du territoire national, d’où un impact très important.
Cet excès d’engrais dont une partie s’échappe des sols, a fortement contribué à l’eutrophisation des eaux douces et des eaux du littoral, ainsi qu’à la pollution des nappes d’eau souterraines par les nitrates. Les pesticides et autres biocides, souvent diffusés sous forme d’aérosols, après avoir contaminé l’air, les sols, les fleuves, la neige des montagnes et des pôles, les produits alimentaires, ont fini par contaminer l’eau des nappes souterraines la rendant parfois, et de plus en plus souvent, impropre à la consommation humaine.
Dans les eaux superficielles, l’effet de ces produits a eu un effet dévastateur sur les écosystèmes. Les mécanismes d’action se sont révélés particulièrement complexes et des plus pernicieux. Il suffit qu’une bouffée de pesticide circule dans une rivière, pendant un temps relativement bref, une seule fois dans l’année, pour que tout l’édifice biologique soit appauvri. En fait on observe aujourd’hui que la contamination est quasiment généralisée et se manifeste en permanence.
S’ils produisirent des effets, les efforts de lutte contre les pollutions ponctuelles, se trouvèrent dès lors noyés dans la dégradation générale de la qualité de l’eau, induite par la banalisation des produits chimiques, notamment en agriculture.
La loi sur l’eau de 1992.
Cette situation conduisit à la mise en oeuvre d’une nouvelle loi-cadre sur l’eau en 1992. La période précédente, de 1987 à 1994 avait été fortement marquée par l’opposition d’associations issues de la société civile au programme d’aménagement de la Loire porté par Jean Royer, maire de Tours. Elément décisif, au-delà de la contestation de la construction de barrages sur la Loire, la lutte de "Loire Vivante" concernait tous les aspects de la politique de l’eau.
En effet le constat qui s’imposait était que l’édifice juridique existant et les politiques publiques mises en oeuvre n’étaient pas à même d’apporter des réponses à des situations qui devenaient problématiques. L’outil innovant des agences de l’eau fonctionnait pour financer des projets d’adduction ou pour la protection des inondations, mais il manquait un cadre légal et des orientations fermes, absence découlant de la faiblesse de l’outil de régulation étatique en matière de police des eaux.
Les nouveaux outils de la gestion de l’eau.
C’est dans ce contexte du combat pour la Loire, que la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau était votée à l’Assemblée nationale à l’unanimité. Elle découlait aussi du besoin d’adapter la politique environnementale à la décentralisation mise en oeuvre à partir de 1982, comme de la pression croissante exercée par les Directives européennes.
L’innovation forte de la loi résidait dans l’unification du régime de toutes les catégories d’eaux, sous l’appellation de "patrimoine commun de la nation", c’est-à-dire d’une propriété commune, sujette à des régulations de droits d’usage, quelque soit leur statut en termes de propriété. Cette avancée permit l’unification des différents régimes de police de l’eau en une seule police de l’eau et des milieux aquatiques, dont un décret unique déterminait les niveaux de prélèvement soumis à autorisation, au regard des usages, pour les eaux souterraines et de surface. La loi et ses décrets d’application accroissaient également les contraintes pesant sur les services publics de l’eau, en termes d’accessibilité et de transparence, et conférait aux collectivités locales le droit de créer un service public de gestion décentralisée de l’assainissement.
Elle introduisait enfin de nouveaux outils de planification de la gestion de l’eau, notamment les Schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et les Schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE). Une Direction de l’eau fut créée au sein du ministère de l’Environnement, la définition des normes de qualité et le contrôle de l’eau demeurant toutefois de la responsabilité du ministère de la Santé. De nouvelles Directions régionales de l’Environnement (DIREN) étaient instituées dans chacune des 22 régions, et le système d’autorisation pour les prélèvements et les rejets fut unifié par un même décret d’application. Mais l’unification de la police de l’eau et des milieux aquatiques souffrit de sa dispersion entre les services déconcentrés des ministères de l’Agriculture, de l’Industrie, de l’Equipement et de la Santé, au niveau départemental, comme auparavant.
Pour tenir compte du fait que toutes les eaux (souterraines, de surface, domaniales...) constituaient désormais le "patrimoine commun de la nation", il fut décidé que l’ensemble de ces services seraient associés au sein de Missions Inter-Services (MISE).
Mais la loi n’abordait pas la réforme des agences de l’eau. Pourtant, dès cette époque, de nombreux éléments témoignaient que l’application du principe "pollueur-payeur" n’était pas satisfaisante.
En outre le mode de calcul des redevances était remis en question. Sans compter que ces dernières étant des "impositions de toute nature", la légalité de leur recouvrement n’était pas assurée.
La lutte contre la pollution d’origine agricole n’était pas davantage abordée. Quoique Brice Lalonde ait été le premier ministre de l’Environnement à l’évoquer publiquement.
Dès septembre 1992, les comités de bassin engagèrent toutefois l’élaboration des SDAGE. Après deux années de concertation entre les acteurs de l’eau, dont les collectivités territoriales, ils furent adoptés par l’autorité publique, avant même la date limite qui avait été fixée à 1997. Mais un schéma directeur n’a jamais résolu à lui seul des problèmes concrets de dégradation de l’eau et du milieu aquatique. Il faut pouvoir agir sur les causes de la dégradation.
Tout programme d’action ayant une incidence financière, des réticences se font jour quand il s’agit de payer. Ces réticences à financer des actions futures, l’indifférence de la majorité des acteurs, l’opposition à toute politique environnementale de certains groupes sociaux syndicalement très organisés, sont autant de motifs qui freinèrent la réalisation des SAGE.
Aussi, près de 15 ans plus tard, leur nombre demeure modeste, eu égard à l’ensemble des problèmes à traiter. En outre, question majeure, la pollution occasionnée par les pesticides, les excès d’engrais ou les lisiers, est trop souvent minimisée.
Il est vrai que le défi à relever par les SAGE est considérable. Des décennies durant, la Politique agricole commune (PAC), en incitant à des pratiques productivistes, n’a laissé aucune place à une politique environnementale de protection de la qualité des eaux, et ce ne sont pas les SAGE, aussi justifiés soient-ils, qui pourraient à eux seuls y remédier.
Le projet de loi sur l’eau de 2002.
Cette situation conduira Dominique Voynet à mettre en chantier dès 1998 une nouvelle loi sur l’eau, qui abordera la réforme des agences. Après de nombreuses tergiversations du gouvernement, elle sera votée en première lecture par l’Assemblée Nationale le 10 janvier 2002. Trop tard pour être définitivement adoptée par les deux chambres avant l’élection présidentielle de mai 2002. Même si l’élaboration de ce projet aura permis quelques avancées dans l’appréhension des nouveaux enjeux de la gestion de l’eau.
A l’occasion en effet de nombreux rapports mirent en lumière les carences de notre dispositif de gestion des eaux, notamment celui du Commissariat Général du Plan. Le système particulièrement opaque des redevances acquittées par l’usager et perçues par les agences, avant d’être redistribuées, était notamment remis en cause.
Une nouvelle loi sur l’eau en 2007.
Après un intermède de quatre nouvelles années, un nouveau projet de loi sur l’eau était adopté en première lecture au Sénat au printemps 2005, et finira par être promulgué in extremis le 30 décembre 2006.
Si les redevances classiques font toujours partie de la panoplie des agences, d’autres sont créées. "Redevances pour réseaux de collecte", "redevances pour pollutions diffuses", - mais une "redevance azote" pour l’agriculture est supprimée -, "redevances pour obstacles","redevances pour la protection et la gestion du milieu aquatique"...
D’une manière générale, et pour les redevances, la loi, donc les députés, fixeront désormais des taux plafonds. Le taux d’une redevance devra être inférieur ou égal au taux plafond, et sera fixé par le comité de bassin selon ses besoins de financement. Cette règle confère de la souplesse au système. Actuellement le budget des agences est de l’ordre de deux milliards d’euros. Il pourra passer à quatre milliards, et satisfaire ainsi aux besoins induits par la Directive cadre sur l’eau si nécessaire. Les taux sont indépendants les uns des autres, et ils peuvent être ajustés à la demande sans interférer entre eux.
commentaires
Merci pour votre contribution. Elle me conforte notamment dans l’idée d’approfondir le volet "hydroélectricité" de la LEMA, et la nouvelle déclinaison des redevances, sujets qui n’ont pas fait l’objet de débats vraiment approfondis, hors les cénacles directement concernés, lors même que l’impact de l’un comme des autres sur les milieux seront fondamentaux dans les années à venir, et n’augurent pas d’un respect des objectifs de la DCE. Bien cordialement.
Très bon rappel historique des outils legislatifs et administratifs mis en oeuvre pour répondre aux problèmes croissant de la gestion de l’eau.
Votre exposé aussi complet soit-il, vise essentiellement les pollutions et fait l’impasse sur les perturbations hydromorphologiques qui les agravent en banalisant les milieux et en diminuant considérablement leur capacité à digérer ces pollutions. Dans la nouvelle optique (DCE) d’atteindre un bon état des milieux aquatiques mesuré au travers principalement d’indices biologiques, cette problématique devient LE facteur limitant à lever sur les 3/4 des cours d’eau. Dans cette optique la loi de 1984 avait apporté de réelles avancées que la loi de 2006 et la modification du décrêt nomenclature, annulent en grande partie.
Par ailleurs, je tiens à préciser que la plupart des nouvelles redevances ne sont que des leures.
En prenant l’exemple de la redevance "barrage", elle n’est dûe que pour les barrages de plus de 5 mètres. En Rhin-Meuse cela concerne 69 des quelques 3000 barrages que compte ce bassin. Pire, en Seine-Normandie il en y a 22 sur les 5370 barrages connus dans l’état des lieux !!!
Quelle redevance et quelle incitation à éffacer les barrages qui ne produisent pas d’électricité !
Je peux vous assurer que les fonctionnaires de la Direction de l’Eau en charge de rédiger cet article connaissaient parfaiement ces chiffres et voulaient donner l’impression de faire payer à l’hydro-électricité les perturbation qu’elle occasionne sans facher le puissant lobby EDF qui a lourdement pesé sur cet article tout comme il a pesé sur la définition d’une masse d’eau fortement modifiée par ces mêmes barrages !
Enfin le principe pollueur payeur mal appliqué et l’absence de mesure coercisive (en cas de volonté flagrante dexs élus de préférer payer des redevances plutôt que de construire sa station d’épuration) est la première cause d’échec de la France à appliquer la DERU malgré un des premier budget européen et un système des Agences envié et copié. Même l’Agence Européenne de l’Environnement a dénoncé cette incohérence.