Le docteur Claude Danglot, médecin et ingénieur hydrologue, militant de la CGT, a longtemps travaillé au Crecep, le laboratoire municipal qui contrôle la qualité de l’eau dans la région parisienne, labo qu’il a quitté l’an dernier, tout en demeurant fonctionnaire à la mairie de Paris. Il milite au sein de l’association, « Eau Secours - Ile de France », qui a pour objet social la « protection de l’eau et de ses consommateurs ». Que pense-t-il de cet invraisemblable « méli-méleau » ?
« Nitrates, plomb, chlore », la publicité de Cristaline prétend « rétablir certaines vérités ». S’il est vrai que l’eau du robinet contient ces substances, elle reste rigoureusement contrôlée et conforme à la réglementation Le chlore est indispensable pour lutter contre les germes et les champignons. S’il laisse souvent un goût, celui-ci peut être réduit par une mise en carafe et une réfrigération de l’eau du robinet.
La présence de pesticides, provenant de la pollution en surface est réelle, mais les bouteilles en plastique en contiennent aussi, du fait des plastifiants. Et les deux eaux transmettent des bactéries, qui entraînent une résistance aux antibiotiques à long terme.
Dans sa campagne, Cristaline soutient que l’eau du robinet :
– a un prix élevé,
– qu’elle a "mauvais" goût,
– qu’elle contient du plomb, des nitrates et du chlore,
– qu’elle est issue d’eaux usées.
Dans la logique du monde capitaliste dans lequel nous vivons, l’attitude du groupe Castel est logique puisqu’elle consiste à dénigrer "l’eau du robinet", pour tenter d’augmenter ses parts de marché, afin d’accroître les profits qu’il doit redistribuer à ses actionnaires.
Je pense pour ma part que l’eau n’étant pas une marchandise mais un bien commun de tous les êtres vivants, il importe de nationaliser sa production, sa distribution et son épuration.
Mais reprenons :
– le prix élevé de l’eau du robinet ?
A Paris le prix de l’eau a coûté 153 millions d’Euros de trop aux Parisiens en raison de la présence de délégataires du service public (Véolia et Suez) qui n’utilisent pas ces provisions pour effectuer l’entretien contractuel prévu du réseau, et qui ont tendance à "placer" indûment ces fonds pour gagner beaucoup d’argent sur le dos des Parisiens.
– l’eau aurait mauvais goùt ?
Non. Du fait la mise en place des nombreux groupes de dégustation, grâce, en partie, à la Présidente d’Eau de Paris, le mauvais "goût" peut être définitivement écarté. Il n’est malheureusement pas "garant" de la qualité de l’eau.
– elle contient du plomb, du nitrate et du chlore ?
C’est vrai, comme partout ailleurs en France.
A Paris le taux de plomb dans l’eau est très nettement supérieur à 10 µg/L. La norme ancienne de 50 microgrammes (µg) par litre est passée à 25 µg par litre depuis le 25 décembre 2003, en application de la Directive européenne du 5 décembre 1998. Cette valeur correspond à une étape transitoire, puisque fin 2013 la norme sera de 10 µg par litre. Ces nouvelles valeurs se fondent sur la protection de la population la plus vulnérable : nourrissons, jeunes enfants, femmes enceintes.
Le taux moyen de nitrate est de 26,15 mg/L, et peut frôler les 46 mg/L.
Le taux minimum est à 12 mg/L (Unité de distribution d’Auteuil), le taux maximum se situe à 46 mg/L (Unité de distribution Ouest).
Le taux de chlore atteint régulièrement 0,1 mg/L, mais il peut monter jusqu’à 0,3 mg/l durant l’opération Vigipirate.
– elle est issue d’eaux usées ?
Oui, en moyenne, les stations d’épuration du SIAAP rejettent quotidiennement en Seine 2,47 millions de m3 d’eaux résiduaires.
Le débit de la Seine, à Paris, varie de 75 m3/sec en cas de sécheresse, à plus de 1000 m3/sec l’hiver.
L’été, 38 % du débit de la Seine est constitué de rejets de stations d’épuration.
Le poids de bactéries fécales d’origine humaine rejeté en Seine par le SIAAP est de l’ordre de 19 tonnes par jour pour un volume de 16,8 m3, ce qui représente un cube de 2,57 mètre de côté.
Heureusement, il existe sur la Seine des usines de production d’eau potable dont l’efficacité est très élevée pour traiter ces eaux avant qu’elles n’arrivent aux robinets, mais il importe de bien prendre en compte que cette efficacité n’est pas absolue.
En fait la réalité objective n’est pas "rassurante" car nous vivons dans un environnement polluant qui contamine les eaux souterraines et les eaux de surfaces. Ni les eaux des robinets (de nombreux niveaux de qualité sont possibles, et il n’existe pas "d’eau du robinet" unique), ni les eaux minérales embouteillées (de nombreux niveaux de qualité sont également observés) ne sont exemptes de polluants qui mettent en danger la santé humaine à long terme.
Il s’agit de cancérigènes, de reprotoxiques, de virus et de bactéries résistantes aux antibiotiques issus des pollutions agricoles et des élevages pour les eaux des robinets. Il s’agit également de cancérigènes et de de reprotoxiques issus des plastiques embouteillants (chlorure de vinyle, bisphénol A, phtalates etc.) ou de bactéries résistantes aux antibiotiques issus des infiltrations des pollutions des élevages dans les nappes souterraines. Ces polluants "émergents" ne sont en général PAS pris en compte par les normes réglementaires.
En fait, il faut avoir à l’esprit qu’Il existe DEUX définitions de l’eau potable, définissant deux ensembles non superposables :
– Une définition réglementaire : une eau potable est une eau conforme aux normes réglementaires. Dans cette optique, l’eau du robinet et les eaux minérales embouteillées sont généralement potables, sauf accident.
– Une définition médicale : une eau potable est une eau qui ne rend pas malade, même à long terme. Dans cette optique médicale, ni l’eau du robinet ni les eaux minérales embouteillées ne sont potables, sauf exception.
Nous vivons dans un environnement pollué. Il ne viendrait à l’idée de personne de pouvoir demeurer dans une pièce où séjournent des fumeurs sans risquer le tabagisme passif. Il ne viendrait à l’idée de personne qu’il peut manger des légumes ou des fruits qui ne seraient pas pollués par des pesticides. Il ne viendrait à l’idée d’aucun Parisien sensé de pouvoir traverser Paris à pied sans respirer l’air pollué par la circulation automobile. De la même façon il n’est plus possible de boire de l’eau non polluée.
Comme pour le dérèglement climatique, la prise de conscience individuelle de la pollution objective de toutes les eaux (robinets et bouteilles) est un pas en avant indispensable dans la direction de solutions politiques et écologiques collectives qui permettront de sauver notre environnement.
Les grands discours sur la bonne qualité des eaux n’ont aucun intérêt et reculent d’autant la prise de conscience indispensable des usagers.
Enfin ces grands discours ne sont pas mobilisateurs et ne peuvent que renforcer la passivité de ceux qui les écoutent avec complaisance. Pour être plus positif, je vous invite à adopter rapidement un comportement rationnel en adaptant votre façon de penser à la connaissance documentée de la réalité objective qui vous entoure. »