L’affaire restera comme l’un des plus tortueux épisodes du détricotage permanent du droit de l’environnement auquel se livrent tous les lobbies attachés à sa perte, de plus en plus ouvertement soutenus par un gouvernement et une majorité acquis à leur cause. Cette fois c’est sous couvert de résolution de la « guerre de l’ortie » que l’un des engagements-phare du « Grenelle », celui de réduire de moitié l’usage des pesticides en dix ans, déjà considérablement restreint par la formulation ubuesque arrachée in extremis par la FNSEA (« si c’est possible »), se retrouve encore un peu plus mis à mal par le biais d’un amendement pernicieux déposé au Sénat lors de l’examen en janvier 2009 du projet de loi « Grenelle 1 ».
En janvier 2006 un amendement déposé à la loi d’orientation agricole (LOA), exige une autorisation de mise sur le marché pour commercialiser et faire la publicité des préparations naturelles phytopharmaceutiques peu préoccupantes (PNPP), dont l’une des plus emblématiques est le purin d’ortie. Tollé des ONG qui exigent la reconnaissance de l’intérêt de ces procédés comme engrais naturel ou antiparasites dans les jardins, et charivari médiatique de force 5…
Du coup, par le biais d’un amendement voté en décembre 2006 dans le cadre de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (Lema), le législateur adopte le principe de la création d’une procédure simplifiée, renvoyant à un décret la déclinaison pratique de l’affaire.
Fin septembre 2007, déjà près de deux ans plus tard, le ministre de l’Agriculture répond à une question écrite du sénateur socialiste M. Claude Domeizel que le décret est bien en cours de préparation.
Il ne sera finalement examiné par le Conseil d’Etat qu’en janvier 2009, au moment où le Sénat, examinant en première lecture le projet de loi « Grenelle 1 », adopte pour sa part
un amendement qui vise également à une simplification des procédures d’autorisation des PNPP.
Le décret d’application de la loi sur l’eau examiné par le Conseil d’Etat en janvier 2009, deux ans après le vote de la LEMA, crée un système dérogatoire de mise sur le marché pour les PNPP.
« La procédure sera moins longue et moins coûteuse », soutenait dans un entretien publié par le Journal de l’environnement le 12 février 2009, M. Vincent Gitz, conseiller technique au ministère de l’agriculture.
Le projet de décret fixe « un délai maximum de 6 mois après le dépôt du dossier pour que la Direction générale de l’alimentation (DGAL) donne son autorisation ». Le délai pour un produit phytosanitaire « classique » est d’un an et plus. Le coût de traitement administratif sera aussi moins cher. Il ne devrait pas dépasser 2000 euros, contre 40 000 pour un produit « classique ».
Mais M. Jean-François Lyphout des Amis de la Terre estimait que « le décret est contraire à l’amendement que le Sénat vient de voter car il ne facilite en rien la mise sur le marché des PNPP ».
Les associations redoutent en effet qu’une PNPP doive être inscrite à l’annexe I de la
Directive 91/414 du Conseil du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, qui liste les substances dont l’incorporation dans les produits phytopharmaceutiques est autorisée. Ce qui suppose une autorisation de la Commission européenne, pouvant prendre jusqu’à trois ans…
Crainte réfutée par M. Vincent Gitz, qui indiquait au JDLE qu’une PNPP pourra être commercialisée pour ses vertus phytosanitaires « après publication au Bulletin officiel du ministère de l’Agriculture, tant que la plante dont est issue la substance est inscrite dans le projet d’arrêté d’application ». Dans sa forme actuelle, il regroupe la plupart des plantes à l’origine de ces préparations, assure le ministère.
« Nous sommes d’accord pour un travail de recherche et d’évaluation des risques de ces produits, indiquait M. Vincent Mazière, de l’Association pour la promotion des PNPP (Aspro-PNPP). Mais les petits producteurs utilisant ces substances auront-ils les moyens financiers et techniques de monter les dossiers ? C’est un travail que faisait l’Institut national de la recherche agronomique (Inra),, et qu’elle ne fait plus. »
Les coûts administratifs, en effet, ne prennent pas en compte le coût du travail à la charge des opérateurs présentant les dossiers.
Remise en cause de la réduction de l’usage des pesticides ?
C’est en fait immédiatement après l’adoption par le Sénat, qui examinait en janvier 2009 le projet de loi « Grenelle 1 », d’un amendement facilitant les procédures d’autorisation de mise sur le marché des PNPP, qu’un second amendement sera lui aussi adopté, stipulant que
l’objectif de réduction d’usage des pesticides de 50% en 10 ans ne devra « pas mettre en danger des productions, notamment les cultures dites mineures ».
Disposition qui faisait immédiatement réagir les associations de défense de l’environnement, dénonçant une remise en cause globale de l’objectif. Pour FNE, « il est inadmissible que certaines productions puissent déroger à la règle ».
Pour M. Vincent Gitz, conseiller technique au ministère de l’Agriculture, l’amendement ne dénature pas l’objectif, puisque la mesure était déjà sous-entendue.
(Où le ministère de l’Agriculture invente le concept de « projet de loi à sous-entendu », là, il fallait le faire…)
« L’objectif de réduction vaut sur toute la France : nous n’allons pas progresser pareil sur toutes les cultures. Nous n’allons pas le forcer pour des cultures sur lesquelles on a un problème « d’usage mineur », comme la pomme de terre, la carotte, les choux-fleurs… ».
Une « commission des usages orphelins » avait été mise en place dès la fin du mois de décembre 2008 pour faire le bilan exact des cultures sur lesquelles existent des difficultés techniques. Elle vise à étudier le moyen de les contourner et de lancer des recherches sur des méthodes alternatives.
« Il faut trouver des solutions pour mobiliser les firmes phytopharmaceutiques pour lesquelles ces marchés ne sont pas forcément attractifs. »
« Réaliser un objectif inférieur à une baisse de -50% de l’usage des pesticides sur les cultures mineures, cela suppose de faire plus sur les grandes cultures », soulignait le ministère, se voulant rassurant.
Tout cela ne nous rassure guère…
Kârcherisation du droit de l’environnement :
Les eaux glacées du calcul égoïste, 22 mai 2009
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– Kärcherisation du droit de l’environnement (3) : la loi sur les risques industriels en carafe
Les eaux glacées du calcul égoïste, 25 mai 2009
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Kärcherisation du droit de l’environnement (5) : chassez le naturel, il revient en pesticides…
Les eaux glacées du calcul égoïste, 26 mai 2009
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Kärcherisation du droit de l’environnement (7) : la « conscience verte » du MEEDDAT
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Kärcherisation du droit de l’environnement (8) : l’Europe en rajoute !
Les eaux glacées du calcul égoïste, 29 mai 2009