L’explosion de l’usine AZF à Toulouse le 21 septembre 2001 suscita l’adoption de la loi « Bachelot » sur les risques industriels du 30 juillet 2003. 423 plans de prévention des risques industriels et technologiques (PPRT) sur les sites à risques majeurs devaient être adoptés avant le mois de juillet 2008, pour un coût estimé à 3 milliards d’euros. Mais en mai 2009, seuls 5 PPRT étaient en passe d’être publiés…
Conçus pour permettre la maîtrise à la source des risques des sites classés « Seveso seuil haut », les PPRT engagent la redéfinition des plans d’urbanisme et de construction, et à prendre des mesures foncières, du renforcement du bâti à l’expropriation, pour les riverains les plus exposés.
La loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, dite « Loi Bachelot » fixait au 31 juillet 2008 la date-butoir de réalisation de 423 PPRT, concernant 623 établissements et environ 900 communes.
Or pour le moment « seulement 5 ont été validés », reconnaissait le 14 mai 2009 lors d’une conférence sur les risques industriels M. Jérôme Goellner, chef du service Risques technologiques à la direction générale de la prévention des risques (DGPR- Meeddat). 160 autres sont « prescrits », c’est-à-dire que la première étape, celle du dialogue technique entre Drire et exploitants, est terminée et que le périmètre du plan est arrêté. C’est par exemple le cas à Amiens (Somme), où le PPRT a été prescrit en septembre 2008, après environ deux années consacrées à la réalisation des études de danger.
« Suite au décret n° 2005-1130 du 7 septembre 2005 relatif aux PPRT, la méthodologie pour les études de danger a changé. Il a fallu en prendre connaissance, et il s’en est suivi une période d’apprentissage. Cela explique le retard pris par les PPRT », souligne M. Pascal Deparis, chargé de mission Gestion des risques pour la collectivité d’Amiens.
Une analyse confirmée par M. Jérôme Goellner : « 3000 études ont été élaborées avec la nouvelle démarche pour réaliser une analyse fine des risques ». S’en est suivi la nécessaire réduction des risques à la source avant la prescription des PPRT. « C’est toute cette démarche préalable qui a pris du temps », explique-t-il.
La nouvelle méthodologie, « probabiliste », est donc plus longue à réaliser, mais aussi plus complète. A Amiens, où le PPRT sollicite 3 entreprises, le périmètre d’étude de l’une d’elles est passé de 730 à 2070 mètres. Le périmètre de la zone soumise à prescription atteint même les 1600 mètres. Aujourd’hui, la phase de concertation sur les aléas et les enjeux est en cours, et la phase de restitution est attendue pour le mois de juin. Une fois le PPRT prescrit, le préfet a 18 mois pour élaborer le règlement. Selon Pascal Deparis, « les délais seront tenus ».
Maigre bilan
Reste que la grande majorité en est donc encore à la première étape, celle du « dialogue technique » entre Drire et exploitants…
« Le bilan est maigre, reconnaissait M. Cédric Bourillet, chef du Bureau des risques technologiques et des industries chimiques et pétrolières au Meeddat, dans un entretien publié par Actu-environnement le 24 février 2009.
Et d’expliquer qu’il a d’abord fallu « revoir la méthodologie, former tous les agents de l’Etat, les bureaux d’études et experts, et les 623 exploitants, ce qui a pris deux ans ».
De plus, les élections municipales de 2008 auraient retardé l’avancement des plans, « les maires n’ayant pas voulu faire de choix urbanistiques de nature à handicaper leur réélection ». Ensuite, ce sont les nouvelles équipes qui ont du être initiées elles aussi aux PPRT, en même temps qu’elles découvraient les autres dossiers dont elles assumeraient désormais la responsabilité.
Qui va payer ?
Les obstacles seraient également financiers. Le coût de mise en œuvre des mesures d’urbanisme d’un PPRT, réputé être partagé entre l’Etat, les collectivités et les exploitants, a été estimé à un total de 3 milliards d’euros.
Huit de ces plans devraient représenter à eux seuls 100 M€ chacun. Sur les 421 PPRT prévus, 230 devraient entraîner des mesures foncières (expropriations, déménagements…). Les concertations pourraient également mener à des déplacements d’activités les plus dangereuses au sein de groupes industriels, vers des sites exposant moins les populations et l’environnement.
Et localement, la facture peut être très importante quand les établissements « Seveso » sont situés au cœur des villes, ou qu’ils ont été rattrapés par l’urbanisation galopante. Les mesures d’expropriation, de délaissement et de renforcement du bâti concernent plusieurs dizaines de milliers de foyers, dont la valeur moyenne – très variable selon les régions – est estimée à 150.000 €.
On voit donc ici clairement le lien avec l’urbanisation galopante, l’explosion du « péri-urbain », qui constituent le trait majeur de l’aménagement du territoire en France ces dix dernières années. Un phénomène dont les impacts multiformes sont encore très largement sous-estimés.
Pour M. Yves Blein, maire de Feyzin (Rhône) et président de l’Association nationale des communes pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (Amaris) : « nous n’avons pas l’expérience de PPRT compliqués. Le premier signé, celui de Mazingarbe (Nord), est loin d’être aussi complexe que ceux des industries chimiques à proximité de Lyon, où les bassins industriels sont imbriqués dans le tissu urbain ». M. Blein regrette en outre que les coûts de renforcement du bâti (double voire triple vitrage, renforcement des fondations), à la charge du propriétaire, ne soient compensés que par un crédit d’impôt de 15%.
M. Marc Sénant, Chargé de mission Risque industriel au pôle Industrie, produits et services de France nature environnement (FNE), estime lui que le blocage s’explique aussi pour des raisons politiques : « Le principal effet des PPRT est de geler les territoires communaux, en attendant qu’un nouveau plan d’occupation des sols soit approuvé. C’est un cap difficile pour les élus, qui se demandent où placer le curseur entre protection des administrés et maintien de la compétitivité de leur commune. »
Un manque criant d’inspecteurs
Au-delà, une meilleure prévention des risques nécessiterait une augmentation des effectifs de l’Inspection des installations classées, estiment de concert FNE et le Syndicat national des ingénieurs de l’industrie et des mines (Sniim).
Son secrétaire général, M. Nicolas Incarnato, rappelle que le rapport de février 2002 de la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté des installations industrielles et des centres de recherche et sur la protection des personnes et de l’environnement en cas d’accident industriel majeur, dit « rapport Loos-Le Déaut » indiquait qu’il faudrait 1000 inspecteurs de plus à mission constante : « 350 postes ont été créés, et 100 autres dans le cadre du Grenelle de l’environnement. ».
Sur ce point, tant la refonte à marches forcées du MEEDDAT, que la confirmation du projet du gouvernement de M. François Fillon de continuer à supprimer des dizaines de milliers de postes de fonctionnaires, RGPP oblige, n’inclinent guère à l’optimisme…
Nous avons vu par ailleurs que la création d’un régime d’autorisation simplifiée des ICPE était présentée comme un moyen de dégager du temps pour l’inspection des sites les plus dangereux.
Pour M. Marc Sénant de FNE : « l’incidence négative d’AZF, son impact sanitaire, son retentissement médiatique, ont fait que la gestion des plus gros risques industriels s’effectue désormais au détriment des risques chroniques et diffus. »
« Fin 2009, 80% des PPRT devraient être prescrits », n’en affirme pas moins M. Jérôme Goellner.
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’Etat à l’écologie, annonçait quant à elle le 8 avril 2009 que 80% seraient approuvés fin 2010.
Un chiffre très optimiste d’après France nature environnement (FNE), qui mise plutôt sur 80% de PPRT approuvés d’ici 2012.
Pour la FNE, le retard sur les PPRT est dû à un manque d’effectifs : « Il faut plus de gendarmes dans les Drire », résume M. Marc Sénant.
Avec 1200 inspecteurs (équivalents temps plein) pour 500 000 sites générateurs de risques et de pollution, les sites « Seveso seuil haut » ne sont, par exemple, contrôlé qu’une seule fois par an. « Il faudrait presque doubler les effectifs », conseille FNE, dont la demande rejoint celle des Drire elles-mêmes. « Le renforcement des moyens humains sera le premier de nos messages lors de la table ronde organisée par le Meeddat sur les risques industriels », concluait M. Marc Sénant.
Il est vrai que si des pénalités étaient réellement infligées aux contrevenants, elles devraient largement payer le salaire des inspecteurs, sans même compter les économies de long terme réalisées sur l’amélioration de la santé des travailleurs. Si la réglementation était réellement appliquée, la « croissance verte » chère à M. Jean-Louis Borloo serait donc au rendez-vous : emploi, baisse du déficit de la sécurité sociale, du chômage, amélioration des conditions de vie… La recette semble pourtant à portée de mains. A moins que quelque chose nous ait échappé ?
Kârcherisation du droit de l’environnement :
Les eaux glacées du calcul égoïste, 22 mai 2009
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– Kärcherisation du droit de l’environnement (3) : la loi sur les risques industriels en carafe
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Kärcherisation du droit de l’environnement (8) : l’Europe en rajoute !
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