La proposition de loi Fesneau qui aménage les conditions de mise en oeuvre et d’exercice de la compétence Gemapi a été adoptée en procédure accélérée au Sénat le 18 décembre dernier, sous la forme d’une modification du texte de la commission des lois, qui a donné lieu à de très nombreux et intéressants échanges. Ils éclairent les limites, insuffisances voire impasses d’un texte qui devra donc à nouveau être complété dans un proche avenir, sauf à échouer à atteindre ses objectifs. Florilège.
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– M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
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"La commission a également maintenu la faculté dont disposent actuellement les EPCI à fiscalité propre de transférer leurs compétences à un syndicat sur une partie seulement de leur territoire, ou à plusieurs syndicats sur des parties distinctes de leur territoire, dans l’ensemble du champ de la politique de l’eau, et pas seulement en matière de GEMAPI.
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La commission des lois s’est également penchée sur la prévention des inondations et la maîtrise des eaux de ruissellement. Observant que de nombreuses et graves inondations étaient dues au ruissellement des eaux plutôt qu’à la crue d’un cours d’eau ou à une submersion, elle s’est interrogée sur l’opportunité d’élargir le périmètre de la compétence GEMAPI à la maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement, ainsi qu’à la lutte contre l’érosion des sols. Pour l’heure, elle a souhaité autoriser l’affectation à de tels projets de tout ou partie du produit de la taxe GEMAPI. Nous vous ferons des propositions par voie d’amendement en vue d’intégrer cette compétence à moyen terme.
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– Mme Françoise Gatel.
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Aujourd’hui, force est de constater que, à quelques jours de son transfert programmé au bloc local, la compétence a bien du mal à se déployer sur le terrain : à ce jour, seulement 15 % environ des EPCI, en tout cas moins de 20 %, ont pris cette compétence. Comment pourrait-il en être autrement au regard des bouleversements techniques et administratifs que ce transfert entraîne, mais aussi des responsabilités afférentes, très importantes, et de son coût financier ?
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Toutefois, il nous semble que, comme trop souvent, ce texte relatif à des transferts aux collectivités territoriales souffre de l’absence de traitement des moyens financiers nécessaires. En effet, cette réforme, louable, comporte un manque : son financement. (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.) Concrètement, elle plonge les élus locaux dans un dilemme : créer un nouvel impôt local en imposant à leurs administrés une taxe GEMAPI ou prélever une partie de leur budget déjà fort contraint. Rappelons, qui plus est, que cette taxe est assise en partie sur la taxe d’habitation, qui a vocation à disparaître…
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– M. Éric Kerrouche.
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Enfin, d’autres mesures, comme la possibilité pour un syndicat mixte ouvert d’adhérer à un autre syndicat mixte ouvert, représentent, selon nous, des avancées. C’est le cas aussi de la clarification du régime des responsabilités, qui demeure néanmoins imparfaite. L’extension, dans le texte de la commission, de l’affectation de la taxe GEMAPI aux actions de ruissellement est une autre avancée, qui nous paraît également nécessaire.
Sur ce dernier point, l’introduction de cette nouvelle disposition met en exergue l’incomplétude de la loi, notamment sur le financement de la compétence et l’articulation de celle-ci avec l’ensemble des compétences relevant du cycle de l’eau.
Restent des insuffisances auxquelles il faudra répondre ultérieurement. En effet, au-delà de l’intérêt de cette proposition de loi, et quand bien même elle s’attelle au plus urgent, plusieurs problèmes demeurent, dont certains sont assez fondamentaux.
Je pense au traitement des grands corridors fluviaux et des problématiques spécifiques des territoires littoraux, qui ne relèvent pas d’une logique de bassin versant, comme le risque de submersion marine et la lutte contre l’érosion du trait de côte.
Je pense aussi à l’articulation avec les compétences « eau et assainissement ». Nous savons en effet que les eaux de ruissellement et l’érosion des sols ont un impact sur les risques d’inondation.
De même, la responsabilité des gestionnaires d’ouvrages est encore traitée de manière imparfaite, qui plus est dans un contexte où les missions d’appui technique n’ont manifestement pas mené à terme tous leurs travaux.
Quant au financement de la GEMAPI, il ne fait l’objet que d’un rapport du Gouvernement au Parlement, ce qui n’engage pas à grand-chose… Par ailleurs, le financement en investissement peut parfois être entravé par la limitation des dépenses de fonctionnement des membres des syndicats mixtes, alors qu’il y va de la sécurité des territoires.
À ce sujet, nous restons convaincus que le financement proposé n’est pas à la hauteur des enjeux de vulnérabilité des populations évoqués dans mon propos introductif, quand bien même les dispositifs de financement tels que le fonds Barnier perdurent. Une remise à plat du financement du cycle de l’eau s’avère nécessaire pour évoluer vers des logiques de bassin et des solidarités territoriales amont-aval, d’autant plus compte tenu des fortes contraintes financières qui pèsent sur les collectivités territoriales et leurs partenaires, comme les agences de l’eau.
À titre indicatif, le Centre européen de prévention du risque d’inondation observe que les travaux réalisés aujourd’hui par les collectivités engagées dans des programmes de travaux, comme les programmes d’action pour la prévention des inondations ou ceux réalisés dans le cadre du plan Submersions rapides, coûtent un peu plus de 1 million d’euros par kilomètre pour ce qui concerne le confortement d’ouvrage, voire 1,7 million d’euros par kilomètre pour l’augmentation du niveau de protection des digues.
On recense aujourd’hui 9 000 kilomètres de digues en France métropolitaine.
Pour ce qui concerne l’EPCI que je présidais encore il y a quelques semaines – une intercommunalité qui comprend quarante kilomètres de littoral et trois bassins versants –, le montant approximatif des investissements dédiés à la compétence GEMAPI oscillerait entre 45 millions et 70 millions d’euros, en sachant que la capacité totale d’investissement de cet EPCI s’élève à 25 millions d’euros en moyenne par an. C’est dire l’importance de la compétence GEMAPI.
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– Mme Maryse Carrère.
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Aussi, le transfert de la compétence de la GEMAPI vient s’ajouter à une mise en œuvre particulièrement « savoureuse », au sens de la déclaration de l’auteur que je viens d’évoquer – je veux parler de Nicolas Hulot –, des lois MAPTAM et NOTRe.
Les collectivités territoriales ont déjà été lourdement impactées par ces réformes complexes, dont la compréhension et la concrétisation sur le terrain n’ont pas été chose aisée. Soumises à un rythme effréné de réaménagement de leur fonctionnement et d’absorption des nouvelles compétences, très peu d’intercommunalités ont pu correctement anticiper la prise en charge de la compétence GEMAPI sur le plan opérationnel.
Cette proposition de loi apporte bien des avancées sur lesquelles je reviendrai. Mais était-il raisonnable de se hâter à quelques jours de la date butoir ? Au pire, cela donne une mauvaise loi, au mieux, une loi a minima. C’était d’ailleurs peut-être l’objectif !
Avant d’évoquer le contenu du texte, je pourrais parler des domaines qu’il escamote. Les questions du trait de côte et de l’érosion marine en sont absentes, ou présentes très marginalement dans une demande de rapport à l’article 2. Il n’est pas non plus question du financement de la compétence GEMAPI. Quid de la taxe quand la taxe d’habitation disparaîtra ? Pas un mot n’est dit des problématiques liées à l’application du texte dans les territoires ultramarins. Quant au risque d’inondation fluviale, il n’est pas non plus abordé dans cette proposition de loi. Les crues de la Seine et de ses affluents en juin 2016 doivent cependant nous interpeller, car nous savons que ces épisodes ont vocation à se reproduire.
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Permettez-moi de vous faire part de mon expérience d’élue locale dont la collectivité a anticipé le transfert de la compétence GEMAPI au 1er janvier 2017. C’est après deux épisodes violents de crues torrentielles en octobre 2012 et juin 2013 que les élus de mon territoire se sont retroussé les manches pour prendre en charge la reconstruction avec des moyens totalement inadaptés, et ce malgré les accompagnements financiers importants de l’État. Aujourd’hui, demeure un reste à charge important, qui ne peut être absorbé à l’échelle de nos communes et syndicats.
La violence de ces événements tragiques nous a tout d’abord poussés à gérer la crise, puis l’immédiate après-crise avec l’urgence de la reconstruction. Nous avons ensuite entamé collectivement une réflexion d’ampleur sur la gestion de notre environnement et les moyens de mieux prévenir ces crues, ainsi que sur la nécessaire mutualisation des moyens et la meilleure façon d’introduire davantage de solidarité entre l’amont et l’aval.
Cette réflexion a abouti à la transformation de notre PETR en un syndicat de bassin. Ce dernier dispose désormais de capacités d’action nettement renforcées, tant sur le plan financier qu’en termes d’ingénierie. Il fonctionne sur les bases d’une gouvernance partagée. Cette organisation a permis de mener à bien un nouveau contrat de rivière et un programme d’actions de prévention contre les inondations, un PAPI. Elle a également contribué à assurer une solidarité financière équitable entre amont et aval. Financièrement, c’est près de 1,2 million d’euros financés en partie par la taxe GEMAPI, d’ores et déjà instaurée, que nous avons prévu de consacrer à cent kilomètres de cours d’eau sur un territoire couvrant quatre-vingt-sept communes représentant 35 000 habitants.
Je mesure cependant l’inquiétude des élus, qui peuvent avoir le vertige : plus de 9 000 kilomètres linéaires de digues parsèment nos territoires, et ce même si nous savons que la responsabilité de la collectivité gestionnaire est limitée et encadrée. Ils sont également inquiets, parce qu’ils sont occupés à digérer la réforme de l’intercommunalité, qu’ils doivent composer avec des finances contraintes et qu’ils savent le coût des ouvrages concourant à la GEMAPI.
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– M. Arnaud de Belenet.
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Troisième et dernier point, ce texte traite de la question de l’élargissement du périmètre de la compétence GEMAPI à la maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement, ainsi qu’à la lutte contre l’érosion des sols. Je rejoins sur le fond le rapporteur : de nombreuses inondations sont dues au ruissellement plutôt qu’à la crue d’un cours d’eau. Une commune française sur trois est inondable, en partie ou en totalité. En Seine-et-Marne, mon département, ce ne sont pas moins de 4 400 kilomètres de rivières susceptibles de se transformer en rampes de lancement pour d’éventuelles submersions.
Devant ce constat et l’ampleur des risques, notre groupe a déposé un amendement d’appel : dans l’attente de la proposition de loi qui articulera le dispositif actuel avec la nouvelle organisation des compétences en matière d’eau et d’assainissement, nous devons pouvoir débattre de l’opportunité d’effectuer une répartition des compétences qui serait de nature à indexer nos dispositifs artificiels sur les étapes, cette fois-ci naturelles, du grand cycle de l’eau.
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– M. Pierre-Yves Collombat.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce que l’on a pris l’habitude d’appeler improprement la loi GEMAPI pour « gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations » s’est voulu la réponse à un constat : celui de la nécessité pour notre pays, qui manque d’une politique globale de prévention de l’inondation sur l’ensemble du territoire, à l’exception des plans Grands Fleuves, de se contenter d’un assemblage mal coordonné de dispositifs sectoriels, financés trop souvent de manière aléatoire et parfois en concurrence.
Relativement développé au-dessus de la Loire, le dispositif se limitait au sud, pourtant exposé aux redoutables aléas climatiques « cévenols », à quelques initiatives locales. Le législateur a bien sûr intégré cet aspect des choses dans sa loi MAPTAM, contrairement à ce que j’ai pu entendre.
Deux raisons essentielles expliquaient la situation : l’absence d’une gouvernance clairement identifiée de la compétence « prévention de l’inondation » et l’absence de financement pérenne d’une politique de prévention. C’est à ces deux lacunes que la loi a voulu répondre.
Pour ce faire, elle a tout d’abord prévu un financement pérenne de la politique de prévention par une taxe affectée, même si tout le monde n’est visiblement pas encore au courant, de même que certains ne semblent pas au courant que l’assiette de cette taxe est beaucoup plus large que celle de la taxe d’habitation. Ma foi...
La loi a ensuite attribué la compétence GEMAPI aux EPCI à fiscalité propre, premier échelon territorial de proximité de taille suffisante pour agir et désormais présents sur l’ensemble du territoire national.
Mais tenant compte du fait que l’échelon pertinent de l’action était le bassin versant, qui incluait souvent plusieurs EPCI – la loi n’a donc pas non plus oublié cette réalité –, la loi a prévu la possibilité de déléguer à un établissement public d’aménagement et de gestion de l’eau, un EPAGE, la mise en œuvre de la compétence. Dans les grands bassins hydrographiques, il a été décidé que des EPTB assureraient la coordination entre les EPAGE. En outre, en tant que syndicats mixtes, départements et régions pouvaient en être membres.
Il est donc faux de prétendre, comme le fait l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, que la loi a « confié à titre exclusif » aux EPCI à fiscalité propre la prévention de l’inondation, laissant entendre par là que tous les anciens acteurs en étaient exclus.
Les articles prévoyant que départements et régions et, d’une façon générale, tous les acteurs actuels de la prévention des inondations peuvent « continuer » à exercer cette mission me semblent donc sans objet. Sauf si on entend par là que ces collectivités continueront à agir seules dans leur coin et non dans le nouveau cadre des EPAGE !
Vu la complexité du problème, vu la diversité des domaines et des paramètres à prendre en compte, une gouvernance unique et clairement définie est pourtant la première condition de l’efficacité. Remettre cela en cause, comme le fait la proposition de loi sous prétexte qu’existent déjà des syndicats, des EPTB, des départements ou des régions en charge d’une partie seulement de la compétence, constituerait une évidente régression. Cela n’a rien à voir avec le respect des libertés locales ou la confiance faite aux collectivités de s’organiser.
Voilà l’origine du lobbying mené pour que rien ne change dès la discussion de la loi. Si vous voulez des détails, mes chers collègues, je vous en donnerai ! La présente proposition de loi est le dernier épisode de cette offensive. Rien d’étonnant que ce soit « une demande forte exprimée par plusieurs collectivités territoriales », pour reprendre l’exposé des motifs et comme cela a été amplement rappelé ici même. Jusqu’ici, le résultat s’est limité à un report de la mise en œuvre de la loi de 2016 à 2018. L’échéance échue, sous prétexte d’une insuffisante préparation, on nous propose rien moins que de supprimer l’un de ses apports essentiels : une gouvernance clairement identifiée en charge de la prévention et de protection contre les inondations, dans sa globalité.
Est-ce à dire, pour autant, que le texte issu de la loi MAPTAM serait intouchable ? Certainement pas ! C’est ce que montre l’article 9, introduit par notre commission, qui vise à inclure le ruissellement dans le champ de la GEMAPI. Il s’agit d’une question essentielle pour les zones urbaines – ne dit-on pas que « la ville inonde la ville » ? – et pour le sud du pays. S’y opposer pour d’obscures raisons politico-juridiques, c’est clairement condamner à l’échec toute politique de prévention des inondations dans de nombreuses villes et la moitié du pays.
Si j’ai déposé un amendement au texte de la commission, c’est seulement parce que, dans sa rédaction actuelle, il me paraît rompre l’unité de la gouvernance en matière de prévention de l’inondation. Je l’ai déjà amplement indiqué.
Pour conclure, je me contenterai de rappeler que, contrairement à ce que pourraient laisser supposer le jour et l’heure d’examen d’un texte aussi lourd de conséquences, la procédure expéditive utilisée, les effectifs clairsemés que je vois dans l’hémicycle, la présentation qu’a faite Mme la ministre de cette proposition de loi devenue un simple texte de répartition des compétences, nous ne traitons pas d’une question anodine, mais de vies humaines et de dégâts considérables. En 2010, nous avons comptabilisé soixante-dix-huit morts et deux disparus entre les victimes de la tempête Xynthia et des inondations varoises ; en 2011, six morts ; en 2012, deux morts ; en 2014, dix morts ; en 2015, vingt morts en région parisienne ; en 2016, cinq morts !
Outre le coût humain, la facture est énorme. En moyenne, ces dernières années, elle s’élève à près de 1 milliard d’euros par an, la moitié seulement étant indemnisée au titre des catastrophes naturelles. En attendant mieux, un rapport de l’OCDE estime que la prochaine grande inondation de l’Île-de-France coûtera 40 milliards d’euros. Ces dix dernières années, 50 % des communes françaises ont été affectées par les inondations : il s’agit bien d’un problème général !
À part ça, l’urgent est de neutraliser les quelques outils innovants fournis par la loi GEMAPI. La République est peut-être en marche, mais, en l’espèce, c’est à reculons ! Et puisque j’aperçois notre collègue Didier Guillaume sur ces travées, je vous rappellerai ce qu’il nous a dit lors de l’examen de la loi : « Chacun prendra ses responsabilités » !