C’était un ami, un combattant, un amoureux fou de la nature, de l’environnement, de la vie. Il en avait fait sa vie. Il est mort hier soir, chez lui, à Abondant, en Eure-et-Loir, à quarante huit ans, d’une crise cardiaque, dans la grande maison qu’il retapait depuis des années, avec Corinne, sa femme, et Cassandre, sa fille. Vous ne le connaissiez pas. Il nous manque déjà. Fuck la mort. So long Cyrille.
Je l’avais invité en 2007 à participer à un débat à la Fête de l’Huma, pour le festival de l’Oh !, qui a disparu lui aussi.
C’était l’été, en plein Grenelle de l’Environnement. Le WWF-France, dont il animait le pôle Eau, aujourd’hui disparu, cherchait un sujet de plaidoyer. Un mois que je traquais le scandale des PCB dans le Rhône, près de Lyon.
Opération commando, on monte un dossier accablant. Guillaume Llorca et Cyrille filment une scène sidérante dans le bras du canal de Jonage, en aval de la prise d’eau de Veolia, qui alimente les Lyonnais en eau potable : une péniche chargée de déchets balance tout dans le fleuve !
Retour à Paris, montage, mise en ligne. La video atterrit en Une du Monde, 25 000 vues en vingt-quatre heures. Une semaine plus tard je reçois un beau matin un mel de la police lyonnaise qui nous convoque illico.
Le cabinet de François Fillon (déjà !), Premier ministre, soupçonnait un “montage”, inopportun juste avant que NKM n’enterre les PCBs en trois phrases lors d’une conférence de presse. Le dossier n’est jamais ressorti depuis.
A Lyon les policiers qui nous interrogent, fort civilement, saisissent le master de la video, et se rendront à l’évidence : pas de montage.
Ensuite on s’attelle à la rédaction d’une Guide des bonnes pratiques dans le domaine de l’eau pour les collectivités locales.
Les textes d’application de la LEMA viennent de sortir. Nous convainquons Serge Orru, qui dirige alors le WWF-France, de conduire une enquête de terrain sur la pollution de l’eau : dossiers, films, plaidoyers… Les marées vertes en Bretagne, la pollution de l’eau potable à Chalon-sur-Saône, l’irrigation dans le Sud-Ouest, une STEP qui rejette ses eaux usées dans la Méditerrannée… A chaque fois enquête, voyages, débats publics, à l’arrache, à la rage.
Cyrille siège aussi pour le WWF-France au Comité national de l’eau, y découvre les arrières-cuisines de “l’Ecole française de l’eau”.
Depuis un an j’ai été contacté par Anne Spiteri, notre Erin Brockovitch française. Polytechnicienne, elle a accompli une partie de sa carrière dans la police de l’eau.
En 2007 elle travaille depuis plusieurs années à l’Institut français de l’environnement (IFEN), à Orléans, y supervise la publication du chapitre sur l’eau du rapport 2006 "l’Environnement en France", un énorme bilan publié tous les quatre ans par le ministère de l’Environnement.
Mais elle refuse l’ordre de sa hiérarchie qui lui enjoint de truquer le bilan des pesticides dans l’eau. Licenciement pour faute en un week-end. Blacklist.
Plus de deux ans durant Cyrille se bat en interne, au WWF, afin, qu’avec l’aide d’Anne, nous rendions public le scandale du truquage des données publiques sur la qualité de l’eau. Après maintes péripéties le dossier sort “à minima”, les medias ne relaient pas, trop compliqué. Mais un dossier, aujourd’hui disparu, a longtemps expliqué l’affaire sur le site du WWF-France.
Voir le site Eau évolution, réalisé par Anne Spiteri :
En Eure-et-Loir, un père de famille contacte Cyrille. Il se bat depuis un an après que l’un de ses voisins agriculteurs ait arrosé de pesticides le jardin clos de haies où ses gosses en bas âge fêtaient leur anniversaire. L’un d’entre eux est affecté de troubles thyroïdiens. La soeur de Cyrille est médecin, le gosse se rétablira après le départ de la famille dans les Landes.
La Beauce, les céréaliers, les pesticides. Durant près de 18 mois, avec Gérard Leray puis d’autres militants qu’il fédère, nous montons une opération d’agit-prop, enquêtons, filmons, tenons cinq réunions publiques aux quatre coins du département.
Nous faisons la connaissance de Jean-Jacques Brot, le préfet, gaulliste. Admirable. A notre première rencontre il nous ouvre le bureau de Jean Moulin qu’il vient juste de faire classer par les Monuments historiques. A ses côtés, la représentante de l’ARS et celui de la DDTM. “Nous sommes trois, aidez-nous”.
Là, il va lancer des états-généraux de l’eau dans le département le plus sinistré de France pour les pesticides.
Avant, notre préfet avait été en poste en Bretagne, les nitrates. Viré. Dans les Deux Sèvres, les irrigants, viré. Après Chartres, où nous le rencontrons, c’est lui qui est préfet de Vendée quand Xynthia tue cinquante personnes. Après il y aura la Nouvelle Calédonie. Viré. Depuis deux ans il s’occupe de l’accueil des réfugiés en France. On le voyait la semaine dernière dans Libé aux côtés de plusieurs familles syriennes accueillies dans les Deux Sèvres. Un juste.
Dans la Beauce, les RG nous préviennent que les gros bras de la Coordination vont nous mener la vie dure.
Nous montons cinq débats publics, la campagne doit s’achever par une grande soirée à la Chambre d’Agriculture à Chartres.
Lors de l’avant dernier débat dans un petit village, la Coordination et la FNSEA ont fait venir Thirouin, deux représentants du Conseil général, le député Philippe Vigier, devenu depuis le leader du groupe UDI à l’Assemblée, et une palanquée de maires.
Le dirigeant de la Coordination m’interrompt en plein laïus et se pointe à la tribune avec une cagette en plastique remplie de légumes, une bouteille d’eau et une grande feuiile millimétrée.
“Laimé raconte n’importe quoi, il y a davantage de nitrates dans ces carottes et ces salades que dans une bouteille d’eau…”. Le député Vigier, médecin de formation, approuve et en rajoute.
Nous n’obtiendrons jamais la salle de la Chambre d’Agriculture pour le dernier débat public…
Je rentre à Paris par le dernier train... avec le cageot de légumes. Même pas empoisonnés...
Ces souvenirs là, et il en est des centaines d’autres.
Et toujours Cyrille, curieux, feu follet, impavide, impatient, obstiné : “Et si on essayait de…”
(Genre on part à l’assaut de la Guyane, parcequ’il y avait séjourné. C’est ça et on détourne une Ariane à Kourou, pour "sauver la planète"...)
Une étude géniale sur le maïs qu’il avait portée à bout de bras, jamais utilisée...
Nos interminables échanges à Rennes avec Jean-Claude Lefeuvre.
Quatre jours de crapahut sur les sites historiques de la bataille de la Loire.
Les Héros de l’eau à l’Unesco.
Pau, le Sud-ouest, l’irrigation, une salle surchauffée, je dégaine Bernanos et Pisani. Miracle, pas encore ce soir là qu’on se fera rosser.
La plate-forme de soutien juridique aux victimes de délits environnementaux à laquelle nous avons travaillé comme des chiens, sans parvenir à lui donner vie.
Je revois les vallées de la Nièvre et les rives de la Dordogne, que tu aimais tant.
En 2012 le WWF-France est repris en main, brutalement, par une droite écolo-affairiste.
Le pôle eau du WWF-France est liquidé, Cyrille poussé vers la porte.
Ni oubli, ni pardon. On n’oublie pas. On ne pardonne pas.
(A peine trois ans plus tard, FNE emprunte-t-elle le même chemin ? Plus de Lettre Eau depuis au moins six mois... Que devient le général Rousseau ?).
Depuis, le nouveau boss, Pascal Canfin, y porte la finance verte sur les fonts baptismaux.
Cyrille rejoint durant un an l’ASP, l’agence qui distribue toutes les aides européennes en France.
Depuis quelques mois il revivait, après avoir retrouvé un poste de chargé de mission auprès de l’ARA France, où il défendait avec le même enthousiame l’anguille, les civelles et les saumons.
Nous préparions une intervention de sa présidente lors du Festival du journalisme libre que le groupe Le Monde organise cet été à Couthures dans le Lot-et-Garonne, du 27 au 31 juillet prochain.
Ce matin, au téléphone Mme Rabic, la présidente de l’ARA France, me disait combien Cyrille allait lui manquer.
J’écris ici avec une peine immense.
Pour sa famille, ses amis.
Pour Corinne, sa femme.
Pour Cassandre sa fille.
Qu’elle sache un jour que son père comptait au rang de celles et ceux qui nous donnent la force de continuer.
So long Cyrille.
commentaires
A mon pote.
"Quelle injustice".
Il y a des instants ou la douleur de perdre un poto vous donne la force de se rappeler les bons moments.
A l’heure ou j’écris ces quelques mots, j’ai une pensée pour Coco et Cassandre. Elles étaient sa plus grande fierté.
Toi , mon Cyrille, toi qui la semaine dernière devait m’envoyer les informations concernant une nouvelle pollution du Rhône par un industriel bien connu des français. Toi, avec qui j’ai mené maintes investigations. Toi qui a partagé nos illusions et désillusions.Toi, qui avec ton âme d’enfant, ne supportait pas la connerie humaine.
Tu vas me manquer vieille branche.
J’aurai tellement voulu que nous montrions les péripéties de Marc entrain de tenter de passer au dessus de fils barbelés du côté de Villefranche. Ou encore de publier son grand discours sur Depardon et son exploitation maraichère.Tu devais venir me rendre visite et déguster quelques bouteilles de mon Cahors natal que tu appréciais tant. Je te promets de lever mon verre en ton honneur. Tu vas me manquer. Ton ami Guillaume LLORCA
J’apprends avec une terrible peine la disparition de cyrille que je connaissais par wwf interposé avec qui j’échangeais parfois sur la vie, les choix, nos engagements respectifs. Il était bonhomme, sympa, souriant même drôle au delà des apparences "bon élève".
Je pense à sa famille, à qui je transmets mes plus sincères condoléances. J’ai ce soir le coeur en peine que cette mortelle soudaineté l’ai emporté, c’est si violent !! Adesias cyrille, baroukh dayan ha émet comme on dit chez nous !! Eleonore
Navré Marc ,
Je me souviens l’avoir rencontré une fois sur un salon, il y a quelques années ..
Un Ami pour toi, un battant pour ses proches, un coriace pour bien d’autres .. , mais au final, un homme, un citoyen engagé, un élément costaud qui s’envole ..
Ainsi va la Vie, navrant, mais il nous faut l’accepter
Il aura fait sa part, sûr .. !
Amitié et soutien à sa famille, à toi, à tous les autres
Amicalement