Suez-Lyonnaise des eaux, la multinationale française des services à l’environnement déploie un impressionnant arsenal pour surveiller son image, identifier ses opposants, et tenter de contrer leur action, en France comme à l’étranger. Initiée il y a une dizaine d’années cette stratégie prend de nouvelles dimensions dans un espace virtuel identifié à une véritable zone de guerre de l’opinion.
De longue date aguerrie à la surveillance et à la manipulation de l’opinion publique, par le bais de très nombreux outils d’influence, publicité, marketing, « relationnel commercial », l’expression pudique qui exprime l’influence considérable que l’entreprise exerce sur le personnel politique signataire de marchés publics, la multinationale française, à l’instar de son alter ego Veolia, est en butte depuis une dizaine d’années à des contestations multiformes, sur les cinq continents, qui sont parfois à l’origine de sévères déconvenues commerciales.
Aussi a-t-elle développé une véritable stratégie afin de livrer 24 heures sur 24 une guerre de l’opinion qui se déploie sur les 5 continents.
Contrainte d’abandonner plusieurs contrats sud-américains sur lesquels elle avait beaucoup misé dès le début des années 80, retraits qui lui ont coûté des centaines de millions d’euros, Suez a ainsi mis en ligne sur son site institutionnel depuis l’automne 2006 une version « maison » de la déroute qu’elle a subi en Argentine. Une fable bien pensante qui renvoie bien évidemmement toute la responsabilité de l’échec au gouvernement argentin accusé de tous les maux…
Plus près de nous le site des Eaux glacées du calcul égoïste, modeste observateur critique des politiques publiques de l’eau, vient de faire l’expérience des pratiques du côté obscur de la force…
D’abord c’est un lien à priori banal qui apparaît dans les statistiques de consultation du site. Intrigué, on clique.
Bingo !
Suez-Lyonnaise des eaux est l’un des (gros, très gros !) clients de la filiale « Corporate » de TBWA, qui a créé en 2004 un département spécialisé dans la surveillance de l’image des entreprises.
Et l’on atterrit donc sur la page d’accueil de :
"Le portail de veille et d’analyse de la qualité de l’actualité de l’eau
LDE/Suez
TBWA/Corporate.Watch"
Evidemment, comme nous ne payons pas de pont d’or aux tauliers dudit portail, pas de mot de passe, et l’on ne saura donc pas ce qui se dissimule derrière la porte d’or.
Mais on peut s’en faire une vague idée en prenant connaissance de l’exposé hallucinant que le chairman de l’officine a prononcé devant un auditoire universitaire, à qui il exposait « Les chemins de l’influence via le Web 2 0 »
Là on se pince, et on en veut au popa et à la moman de ce brave garçon qui l’ont sûrement abandonné à un âge trop tendre un beau soir devant la TV qui diffusait le docteur Folamour…
Dans le registre Infowar pour les Nuls, multidiffusé par la Fox avec comme consultants une brochettes de neocons du Pentagone (qui a donc résisté au missile invisible du sieur Meyssan), on a rarement vu mieux.
Enfin pire :
Web 2.0 les chemins de l’influence
Nous n’avons dès lors aucunement été étonné de repérer le lendemain un autre lien qui signait une tentative d’intrusion visant à quantifier la fréquentation du blog.
Là c’est la firme Xiti qui vient se baigner dans Eaux glacées, sans même avoir pris un ticket pour entrer à la piscine. Sauvageons !
Je ne sais pas quelle mouche les a piqués (à vue de nez le chicoun-bougnat qui leur a filé une cuite sévère), mais comme ça ne devait pas suffire, trois jours après voilà qu’atterrit dans notre messagerie un mel rigolo :
« Bonjour,
Je m’appelle (…) et je suis actuellement en 1ère année de master économétrie à l’université Lumière de Lyon, j’effectue avec trois camarades de classe une étude de marché sous la tutelle de l’Aderly concernant la visite des blogs.
L’Aderly est l’agence pour le développement économique de la région lyonnaise. Cette agence a pour but d’attirer puis d’accompagner les projets d’implantation et de développement d’entreprises à Lyon et dans sa région.
L’étude de marché que l’organisme nous a confié est exploratoire. Ils cherchent à savoir si le blog pourrait être un moyen d’attirer des entreprises et s’il peut constituer un vecteur de promotion de la ville de Lyon.
De plus, notre groupe est très intéressé par le phénomène blog qui est devenu un vivier d’informations extraordinaire.
Pour répondre à l’attente de l’ADERLY et ainsi constituer notre étude, nous devons trouvé des visiteurs de blogs pour nous entretenir avec eux.
Je voulais donc savoir s’il serait possible que vous nous accordiez un peu de votre temps pour répondre à quelques questions ; sachant que cet entretien se passera soit par téléphone soit par chat pour des raisons pratiques.
Dans l’attente d’une réponse de votre part, je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments les plus distingués.
Cordialement, (…) »
Voilà donc qu’il me faudrait « chatter » avec un parfait inconnu, mais étudiant plein d’avenir, à qui l’université Louis Lumière confie une étude de marché, commandée par l’Agence pour de développement économique de la région lyonnaise, qui s’intéresse aux blogs comme booster de la croissance à cinquante kilomètres autour de la Croix-Rousse.
Mouais, y a juste un lézard. Comment les brillants « développeurs de croissance lyonnais » en sont-ils venus à augurer qu’Eaux glacées, qui est vaguement enclin je vous l’accorde à considérer les multinationales comme des bandits de grand chemin, comment donc Eaux glacées pourrait-il avoir un quelconque intérêt pour les lointains descendants des fusilleurs des Canuts ?
Ah, ah, vous sèchez, hein. C’est vrai faut pas déconner, un p’tit blog haut comme trois pommes perdu dans une marée de dix millions de blogs, et c’est moi que l’Aderly vient interviewer.
Remarquez ils ne sont pas complètement débiles non plus. Imaginons que je possède, à l’insu de mon plein gré, quelque chose comme un « gène Tapie », non pas « tapi » dans mon ADN, non un « gène Tapie », celui de l’entrepreneur de génie qui va faire des milliards avec son blog sur le Web 2 0.
Ni une ni deux, je réponds dare-dare à mon étudiant, et en route pour la gloire, je « vais tous les niquer », comme se complait paraît-il à le dire certain candidat à la présidence, auquel, y a pas de mystère, vient de se rallier Tapie, le seul, le vrai, footballeur, ami de Borloo, vous voyez ? (Pour le candidat c’est le même qui délire sur les gènes dans une revue philosophique avec l’ex-supporteur de Bové qui a retourné sa veste pour le petit facteur. Voyez bien que tout se tient !)
(A cet instant les robots et têtes pensantes de l’officine qui me surveille pour la multinationale font un copié-collé dans le tableau Excel : occurrence théorie du complot, paranoïaque trostkyste et autres joyeusetés qui leur sont coutumières).
Revenons à nos moutons, enfin à nos héros de l’ombre.
Il appert que Suez finance une chaire de géopolitique à l’Université Louis-Lumière à Lyon. Tiens, tiens, vous avez dit bizarre ?
Il appert que La Communauté urbaine de Lyon (la Courly) a confié il y a quelques mois une mission de renseignement économique à une officine dirigée par un ancien collaborateur de Martine Aubry et de Bertrand Delanoë, officine spécialisée dans le conseil aux collectivités locales.
Il s’agissait d’interviewer un certain nombre de responsables associatifs lyonnais qui militent pour bouter Veolia et Suez hors de la Courly, à l’expiration du contrat actuel…
Du coup, même sans être fan de Le Carré, Walander et consorts, vous comprendrez pourquoi j’ai cru bon de carotter quelques minutes sur la cueillette des œufs de Pâques pour répondre à notre gentil étudiant lyonnais.
Bon, j’y ai mis un peu de malice, histoire de foutre le bordel dans la war-room, on ne se refait pas :
« Bonjour,
J’ai bien reçu votre message et vous en remercie mais je suis au regret de ne pouvoir répondre favorablement à votre requête. En effet je participe en ce moment même à une analyse des évolutions possibles de la gestion de l’eau dans le périmètre de la Courly, à Lyon, à l’horizon des prochaines années. Ces évolutions sont susceptibles d’affecter les activités des entreprises Veolia et Suez, et relèvent d’une obligation de confidentialité afférent au respect du secret industriel et commercial. Sous cet angle il semble en effet, puisque c’était votre questionnement, qu’un blog soit susceptible d’attirer de nouvelles entreprises, et peut constituer un vecteur de promotion pour la Ville de Lyon. Mais vous comprendrez que je ne puisse entrer plus avant dans ces considérations pour les motifs mentionnés plus haut.
Vous souhaitant une conclusion heureuse de vos travaux, je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de ma parfaite considération. »
Qu’est-ce qui faut pas faire pour aider le petit commerce et la promotion des élites valeureuses de notre temps, plongées dans les affres de la mondialisation galopante !
Le militantisme est un humanisme.
Bon, du coup je m’y suis mis. Juste à regarder d’un peu plus près ce que fricotent tous ces cambrioleurs numériques. C’est pas joli-joli. J’y retourne et je vous raconte la suite bientôt.
Et voilà, çà n’a pas raté, ils s’acharnent...
A nouveau un petit lien innocent, et bingo !
Protopage, un autre avatar de la face obscure de la force
Bonne lecture !
A SONG :
ouh la, les élucubrations tordues... Pauvres petits étudiants qui voulaient juste faire leur boulot !! Rappelle moi, tu n’as jamais eu 20 ans ? Tu ne crois pas que tout n’est pas complot et machination ?