Le 22 mars 2007 le directeur de l’information d’Ouest-France, Didier Pillet, signait un éditorial en forme de pavé dans la mare, dans lequel il appelait de ses vœux « la deuxième révolution verte maintenant », stigmatisant le naufrage du modèle agricole productiviste imposé par un lobby aveugle qui plonge la Bretagne dans une catastrophe environnementale majeure. La démarche sans précédent du directeur de la rédaction d’Ouest-France a suscité un formidable afflux de messages sur le blog du journal. Pour Gérard Borvon, président de l’association S-Eau-S, menacé de mort en février dernier par des agriculteurs extrémistes, ce 22 mars 2007, journée mondiale de l’eau, restera peut-être comme le jour où « un mouvement du 22 mars pour l’eau a vu le jour en Bretagne ». Didier Pillet a publié un second éditorial sur le blog de Ouest-France le 11 avril 2007. Le dossier de l’eau en Bretagne, avec les informations accessibles sur Ouest-France, S-Eau-S, Eau et rivières de Bretagne et Eaux glacées.
L’éditorial de Didier Pillet :
"La 2e révolution verte, maintenant"
Jeudi 22 mars 2007
« La France, arrogante et donneuse de leçons, prend un magistral coup de règle sur les doigts. La Commission de Bruxelles a décidé de la poursuivre devant la Cour européenne de justice, pour n’avoir pas débarrassé les eaux bretonnes des nitrates qui les polluent. Le montant de l’amende réclamée est déjà fixé : 28 millions d’euros. Reste à décider de la date à laquelle l’affaire sera déposée sur le bureau des juges communautaires. Dans un ultime effort de compréhension, la Commission accorde un sursis, le temps pour notre gouvernement de proposer un énième plan d’actions pour la réduction des nitrates.
La Commission est bonne fille. Sans doute n’a-t-elle pas voulu interférer trop brutalement dans la campagne présidentielle, ni préjuger de la mauvaise volonté du prochain gouvernement, d’où ce délai de grâce qui peut durer plusieurs mois. Mais sa patience est à bout. Voilà vingt ans qu’elle rabâche les mêmes demandes de respect de la directive de 1975 qui limite les nitrates dans les eaux de surface à 50 mg/l, vingt ans que la France agit mollement en bougonnant et en traînant les pieds. Des actions ont bien été engagées. Certaines se sont avérées aussi coûteuses qu’inefficaces ; les autres sont venues trop tard.
Mauvaise volonté ? Non, choix de société. Pour se hisser sur le podium mondial des productions animales et végétales, la Bretagne s’est transformée en usine à bestiaux. Sur 7 % du territoire national, elle produit la moitié des cochons et des volailles du pays et un tiers des bovins. Les champs alentours sont gavés d’engrais azotés pour engraisser ce cheptel.
Cette agriculture, dite productiviste, a engrangé des résultats économiques et fait de la Bretagne un dragon vert redouté sur les marchés. Mais, d’une part, elle a fini par se spécialiser dans des productions de médiocre qualité à faibles marges, d’autre part elle a pourri les sols, les rivières et la bande côtière désormais ornée d’un peu ragoûtant collier d’algues vertes.
Il faudra développer des efforts considérables pour remettre la maison bretonne en ordre et en état. C’est possible. Ici et là, des paysans, des communautés locales, des élus territoriaux, des associations s’y emploient. Ils font la preuve, en différents endroits, de la viabilité d’une agriculture compétitive, qualitative et saine. Peu ou pas de produits chimiques, d’autres méthodes de travail, un plus grand respect des hommes et de la terre nourricière, les recettes sont connues. Seulement, les tenants de l’industrie verte se bouchent les yeux et les oreilles, jouent la montre et, surtout, se gardent la grosse part du gâteau des subventions européennes qui arrosent mal les agriculteurs les plus méritants.
Bruxelles vient de siffler la fin de la partie. Le message sera-t-il entendu ? Il faut y croire, mais les démonstrations publiques, au Salon de l’agriculture, et contre les bureaux des écologistes pourtant bien conciliants d’Eau et Rivières ne laissent que peu d’espoir. Car, en fait, la Commission européenne attend de la Bretagne une révolution verte. Ses eaux ne redeviendront pas claires et potables sans une remise en cause profonde du productivisme. L’État a démontré sa faiblesse face à ce système et a interdit à la Région, qui se proposait de prendre les commandes de la restauration de la qualité de l’eau, avec tout ce que cela implique, de pallier ses carences.
Reste le citoyen consommateur. Il sera peut-être l’acteur du dénouement de ce drame arthurien. Acceptera-t-il encore longtemps, à l’heure du consensus autour du pacte écologique, de subventionner l’agriculture industrielle une fois, de payer une seconde fois pour éliminer les pollutions qu’elle laisse dans ses sillons, et de passer une troisième fois à la caisse pour acheter plus cher des produits aussi vitaux que l’eau du robinet parce qu’elle n’est pas buvable sans traitements massifs ? Qu’il mêle sa voix à l’affaire et celle-ci pourrait prendre, enfin, le chemin de la réforme. Mais, s’il s’en désintéresse, il faut redouter le pire. »
Ouest-France prenait clairement position dans son édition du jeudi 22 mars 2007 en publiant un florilège d’articles (accessibles moyennant paiement sur le site ouest-france.fr) à l’appui de l’éditorial de Didier Pillet.
– Nitrates, la France en sursis jusqu’aux élections, par Nicolas Gros-Verheyde (correspondant à Bruxelles).
– Une pollution qui touche toute l’Europe, par Nicolas Gros-Verheyde.
– Nitrates, l’Europe accorde un ultime délai, par Jean-Paul Louedoc, Jean Le Douar, Patrick Croguennec et Jean-Jacques Rebours, page 7 des éditions bretonnes (consultable sur ouest-france.fr)
– Terre !, un supplément de 8 pages réalisé par Chrisitian Gouérou, Alix Le Bourdon, Françoise Rossi, Virginie Mayet, de la rédaction Ouest-France de Lorient, distribué gratuitement avec les éditions morbihannaises du journal.
Un débat enflammé sur le blog de Ouest-France
La prise de position de Ouest-France a immédiatement déclenché un débat sans précédent sur le blog du premier quotidien français.
La lecture des messages affluant, non seulement de la Bretagne, mais aussi de la France et de l’étranger, témoigne, et de l’ampleur du problème, et des difficultés à y apporter remède tant les arguments des défenseurs de l’environnement et des agriculteurs apparaissent inconciliables.
Didier Pillet lui-même témoignera par le bais d’un message posté le 27 mars sur le blog des pressions dont il a fait l’objet depuis la parution de son éditorial :
"Lundi 26 mars 2007 à 10:41, par Didier Pillet (Ouest-France)
"Merci Jean-Michel
« Je vois avec plaisir que des années dans la banque ne t’ont pas fait perdre la science du localier. Merci de tes encouragements, merci de ton soutien. Il seront utiles car les grandes manœuvres sont commencées. Déjà, le nouveau président de la chambre régionale d’agriculture de Bretagne se fait insultant et menaçant au téléphone, comme plusieurs de ses affidés. Et un ancien ministre joue le petit télégraphiste auprès d’un écologiste breton en vue pour savoir qui a bien pu inspirer la plume du journaliste d’Ouest-France, car cette plume est forcément tenue selon lui... Belles conceptions de la liberté de la presse dont on peut rappeler qu’elle est principalement ce qui différencie une démocratie d’un régime autoritaire. Cela dit, Cher Jean-Michel, je sais trop les efforts qui ont été faits dans ce journal pour demeurer indépendant, par ses dirigeants comme par ses salariés, et je ne nourris aucune inquiétude quant à notre capacité à faire face. On ne nous réduira pas au silence comme ce confrère que quelques manifestations à ses grilles ont apparemment dissuadé de considérer les faits dans leur complète réalité. Bien à toi, DP. »
Didier Pillet a publié un nouvel éditorialsur le blog de Ouest-France, le mercredi 11 avril 2007 :
"Les paysans peuvent être les pionniers du monde nouveau"
« Nos commentaires à l’annonce de la décision de Bruxelles de condamner la France à une forte amende, avec astreinte journalière, pour non-respect dans plusieurs rivières bretonnes de la directive nitrates, ont suscité de très nombreuses réactions et contributions.
Merci à tous.
Nous avons, encore une fois, sur un sujet essentiel car l’agriculture est au cœur des enjeux de société, beaucoup appris à travers ces échanges particulièrement nourris, si j’ose dire.
Pour conclure, parce qu’il faut bien conclure au moins provisoirement, je voudrais faire quelques remarques sur la production de ce débat qui n’augure pas toujours d’un dialogue aisé avec les tenants d’un système aujourd’hui remis en cause et dont les opinions apparaissent bien cadenassées.
Je passe sur les insultes, les injures.
Tout le monde a droit à son quart d’heure de colère, je n’en veux à personne. Je sais toutefois depuis plus de trente ans que je roule ma bosse en Bretagne, les excès dont certains paysans sont capables. Je souhaite que la lucidité et le dialogue l’emportent sur l’intimidation, les menaces, la violence tout simplement, qui m’apparaissent être les compagnons de route d’un désarroi plus que d’une réflexion ouverte sur l’avenir. Ces comportements n’en sont pas moins inacceptables.
Je ne porterai pas de jugement sur le passé proche ou plus lointain de l’agriculture bretonne. A-t-on bien fait ? Pouvait-on s’y prendre autrement ? Y a-t-il eu un « miracle breton » ? Et si oui, le prix à payer en est-il raisonnable ? Ces questions appartiennent désormais à l’histoire. Elle reste à écrire.
Le fait est que depuis les années Cinquante la verte Bretagne a beaucoup changé, que les pratiques agricoles ont considérablement évolué, que les quantités produites n’ont cessé de battre des records.
Ce mode de développement, qui a été fortement soutenu et encouragé par l’argent public, est aujourd’hui appelé à de nouvelles évolutions. Comme la plupart des autres secteurs de l’économie.
Les ouvriers de l’électronique, les ingénieurs de la téléphonie, les salariés de l’automobile, sans parler du personnel du commerce, de l’artisanat… de la presse : tous les métiers, toutes les activités ou presque sont confrontés à cette nécessité d’une adaptation aux exigences du monde moderne.
Les paysans ne font pas exception.
On attend, en effet, de l’agriculture qu’elle fournisse des produits bon marché, sains, de bonne qualité, faciles à préparer, agréables à consommer, qu’elle respecte ceux qui la servent comme son environnement naturel et social.
Pourquoi pouvons nous écrire que le système productiviste est à bout de souffle ? La réponse est dans les commentaires postés ici même par ceux qui s’en présentent comme les ardents défenseurs : parce qu’on en vit mal.
« On travaille 18 heures par jour avec mon mari, nous gagnons moins que le SMIC, nous n’allons pas en vacances », nous explique Valérie, du Finistère.
Tout est dit.
Peut-on encore parler de « développement » dans le secteur agricole quand le nombre des exploitations et des paysans ne cesse de régresser ?
Les trois régions de Basse-Normandie, de Bretagne et des Pays de la Loire viennent de publier une étude qui recense, dans l’ouest, 42 000 exploitations fournissant 10 milliards de litres de lait par an, soit 47 % de la collecte nationale. Le nombre des producteurs a été divisé par quatre au cours des vingt-cinq dernières années. Perspectives à 5 ans : les effectifs devraient encore chuter de 25 à 40 % !
N’en déplaise à René Abgrall, le productivisme agricole est mortel : il mange ses enfants.
Et il n’est toujours pas rentable puisqu’il ne survit qu’à coup de massives subventions publiques : en moyenne 40 % du revenu nous disent les experts.
Une nouvelle révolution est bien à faire, ce n’est pas le journaliste qui le dit, mais un éminent professionnel, M. Daniel Epron, qui fut jusqu’à il y a quelques semaines, le dynamique et créatif président de la Chambre régionale d’agriculture de Normandie.
« La révolution à faire, a-t-il confié à Philippe Boissonnat d’Ouest-France en faisant le bilan de sa présidence, c’est de repositionner l’agriculture comme un secteur rentable. »
Certains en ont pris le chemin.
Activités de niches, répondent sèchement les tenants du modèle dominant. Sans doute, mais pourquoi tient-on si peu compte de ces autres façons de produire, peu ou pas gourmandes en « intrants », plus respectueuses de la nature, qui font leurs preuves dans de nombreux villages de Bretagne, dont un certain compte aujourd’hui plus d’agriculteurs qu’il y a trente ans ?
La dignité des agriculteurs exige de remettre le métier dans le sens de la marche, c’est-à-dire du revenu gagné par le travail de produits dont la valeur est reconnue par le marché et qui répondent aux normes, sur une terre dont la fertilité est gérée avec soin, dans le respect de ceux qui la travaillent comme du voisinage.
Les paysans gardiens du paysage, c’est une baliverne pour le café du commerce.
Nous avons choqué certains en écrivant que les sols bretons sont pourris. Là encore, le journaliste n’a rien inventé. Il suffit de lire les rapports produits à ce sujet, en particulier par le conseil économique et social régional de Bretagne. Les sols bretons sont en certains secteurs épuisés, chargés de substances qui mettent en danger l’avenir de « notre mince pellicule de vie ».
Alors, résumons-nous : les hommes doivent quitter la terre, dégradée, ceux qui y restent en vivent mal malgré les tombereaux de subventions déversés sur le secteur, sans revenir sur les conséquences sur l’eau, ressource vitale qui n’est potable que grâce, là encore, à des traitements massifs et coûteux, ni sur la pollution du littoral, qui ne va pas décroissant comme certains le prétendent, et il faudrait se satisfaire de cette situation !
Que des efforts aient été faits, que des résultats aient été obtenus, pour corriger le tir, personne ne le nie. Mais il reste tant à faire sur tous les plans, social, économique, sociétal, environnemental, qu’on ne fera pas l’économie d’une nouvelle mutation. C’est mentir ou refuser la réalité que de prétendre que "la révolution verte est derrière nous".
N’est-ce pas déjà le message adressé par ces paysans bretons qui jeûnent chaque fin de semaine à Saint-Brieuc ? Ils ne réclament qu’une juste répartition des subventions qui récompenserait les producteurs vertueux, ce qu’avait souhaité la Chambre régionale d’agriculture bretonne.
Pourquoi aujourd’hui sont-ils si seuls ? Où est passée la belle solidarité, la capacité de mobilisisation du milieu pour les grandes causes dont quelques uns nous chantent ici les louanges ?
Un dernier mot : les méthodes agriculturales développées dans cette région sont responsables d’un certain nombre d’atteintes graves à l’environnement, mais les paysans ne sont pas les seuls pollueurs.
Toute la société est aujourd’hui confrontée à l’exigence d’un changement de modèle de développement, on ne cesse de l’écrire depuis des années. Il ne tient qu’aux professionnels du secteur d’être les pionniers du monde nouveau. Ils ont démontré, ici et là, qu’ils en ont les capacités.
Au fond, le problème, le grave problème auquel l’agriculture bretonne est aujourd’hui confrontée, ne pourrait-il pas être saisi comme une opportunité, l’occasion de reprendre la main, de mettre à profit un savoir faire, d’éclairer le chemin ? »
Le dossier de l’eau en Bretagne
Le site de l’association S-Eau-S
Alerte rouge sur le porc en Bretagne
Le principe « pollué-payeur » : une caricature en Loire-Bretagne
La gestion de l’eau à la française ? Un modèle déséquilibré et non durable !
Captages d’eau non-conformes : les mesures décidées par la France
22 mars : Une journée mondiale de l’eau agitée en Bretagne
Le site d’Eau et rivières de Bretagne
Sur le conflit en cours,les communiqués de presse de 2007
Les eaux glacées du calcul égoïste
Nouvelle guerre de l’eau en Bretagne
Guerre de l’eau en Bretagne (3) : les écologistes manifestent le 22 mars, journée mondiale de l’eau
Guerre de l’eau en Bretagne (4) : l’heure de vérité approche
Guerre de l’eau en Bretagne (5) : le lobby agricole déraille
Guerre de l’eau en Bretagne (6) : l’insurrection des consciences
commentaires
Bien-sûr.
Pourquoi l’Europe, qui dispense les subventions agricoles aux États, n’exige-t-elle pas que celles-ci soient accordées à l’agriculture bio ou en tout cas respectueuse de l’environnement ?
Pourquoi, si la France doit payer cette amende, la commission européenne n’exige-t-elle pas que cette somme, plutôt que d’aller dans des caisses européennes qui subventionneront des agricultures OGM, par exemple, soit investies dans la reconstruction de l’environnement et de l’agriculture verte en Bretagne ?
Vous dites : " Pour se hisser sur le podium mondial des productions animales et végétales, la Bretagne s’est transformée en usine à bestiaux "
Si effectivement la Bretagne est "tres bien placée" sur les productions animales, cela se fait au detriment des productions vegetales qui pourraient etre produites localement .
Il existe une barriere culturelle en bretagne sur l’elevage . Alors que depuis plus de 30 an, on attend que l’agriculteur diversifie ses productions, rien ne se passe . De temps en temps la chambre d’agriculture essaie d’avancer . Recemment 5 filières agricoles etaient proposée aux agriculteurs : 4 sur des niches d’élevage et 1 sur le lin ( but marketing : des animaux nourris aux omega 3, c’est tres vendeurs en ce moment )
Alors que les filieres vegetales ne sont tres peu abordées en Bretagne