Du jamais vu depuis des décennies. Dans un rapport de 40 pages publié en annexe des conclusions de l’un des six groupes de travail du Grenelle de l’environnement, le Medad et les Agences de l’eau dressent en creux un constat impitoyable des insuffisances, errements et renoncements de la politique française de l’eau qu’ils conduisent depuis des lustres. Pire, en dressant la liste exhaustive de la vingtaine de mesures qui devraient impérativement être adoptées pour répondre aux objectifs de reconquête de la qualité des eaux à l’horizon 2015 qu’impose la Directive européenne sur l’eau d’octobre 2000, les auteurs du rapport font clairement apparaître, et qu’elles ne seront pas mises en œuvre, et que leur financement est hors d’atteinte. Conséquence imprévue du Grenelle, les responsables de la politique française de l’eau parlent vrai. Le verdict est sans appel. La politique française de l’eau va dans le mur.
Les enjeux de l’eau n’avaient pas semblé devoir justifier qu’un groupe de travail spécifique du Grenelle leur soit consacré. Cette « anomalie » a suscité des réactions en cascade jusqu’à la publication d’un « vrai-faux » rapport du Medad et des Agences de l’eau, édité en annexe du rapport des travaux du groupe 2, dédié à labiodiversité et aux ressources naturelles, rapport rendu public, à l’instar de ceux des 5 autres groupes de travail et des groupes transversaux, OGM et déchets, le 26 septembre 2007.
Dès l’abord l’eau a donc été « noyée » au sein du groupe 2, Biodiversité et ressources naturelles, le seul à être présidé par deux élus, M. Jean-François Legrand, sénateur UMP de la Manche, et Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice verte du Nord.
Très vite, et les deux ou trois réunions plénières qui aborderont, trop rapidement, le thème de l’eau dans le courant de l’été le confirmeront, ça coince.
Côté ONG d’abord. Les poids lourds de l’Alliance privilégient « naturellement » une approche « naturaliste » des problématiques de l’eau : la préservation du milieu naturel, des zones humides, l’adoption de pratiques vertueuses, les passes à poisson, l’Outre-mer, etc. Je caricature à dessein, mais à peine.
L’Alliance n’a pas lu la loi sur l’eau du 30 décembre 2006, exercice qui lui aurait permis de très vite comprendre que la moitié des propositions qu’elle va élaborer sont déjà formellement contredites et impossibles à mettre en œuvre, à raison du dispositif opérationnel découlant de ladite LEMA…
En face France Nature Environnement et Bernard Rousseau, dont les relations tendues avec l’Alliance ont notoirement empoisonné le Grenelle depuis le début, et ce n’est pas fini, va jouer solo.
On peut tout reprocher au FNE, sauf d’ignorer ou de sous-estimer les mille et une subtilités de la gestion de l’eau à la française. FNE comprend vite que l’Alliance se fourvoie et tente donc de peser en faveur d’une meilleure adéquation entre l’approche »naturaliste » de l’Alliance et les réalités (amères) de la gestion de l’eau à la française. Ca ne passe pas.
Du coup un troisième larron, comme nous l’avions narré le 6 septembre dernier tente une OPA.
Bernard Guirkinger, P-DG de la Lyonnaise des eaux et représentant du MEDEF au sein du groupe 2, propose dans le courant de l’été à Bernard Rousseau et au FNE de constituer un « groupe de contact spontané » de quatre membres : la Lyonnaise, l’Agence de l’eau Seine Normandie, la FNSEA et FNE…
L’affaire fera long feu.
Suite à cette annonce qui ne passe pas absolument inaperçue l’Alliance poursuit sa dérive « naturaliste » et élabore dans son coin le socle des propositions ONG concernant l’eau.
Bernard Rousseau finit le 14 septembre par claquer la porte au nez de notre ami Guirkinger, dont les services, enfin le MEDEF, vont élaborer une plate-forme de revendications d’une indigence rare. Pas un hasard, les 500 experts du « groupe miroir » qu’a constitué le MEDEF attendent la fin de la récréation (la remise des travaux des groupes de travail fin septembre) pour partir à l’assaut du gouvernement. A ce stade moins on dit, mieux çà vaut.
In fine, après avoir claqué la porte du « groupe de contact spontané », Bernard Rousseau et le FNE élaborent pour leur part dans leur coin leurs propres propositions, frappées d’un réalisme dont l’Alliance nous l’avons vu est un peu dépourvue.
Le résultat du boxon va être grandiose.
La valse des propositions
L’Alliance ouvre le feu en rendant publiques à la mi-septembre ses propositions « Eau », tout-à-fait respectables au demeurant, mais pour partie inopérantes, ce qu’éclairera sans équivoque le rapport-choc du Medad et des Agences.
Lire les propositions « Eau » de l’Alliance du 11 septembre 2007, pages 29 à 33 :
FNE riposte avec des propositions qui attestent si besoin était qu’ils n’utilisent pas le même logiciel.
Lire les propositions « Eau » du FNE du 21 septembre 2007 :
La synthèse ? Quelle synthèse ?
Comme on pouvait aisément le prévoir le rapport officiel du groupe 2, rendu public le 26 septembre 2007, aboutit à une synthèse indigente des propositions « Eau » du groupe biodiversité, évacuées en deux pages d’un rapport qui en compte 143 !
Lire la synthèse des propositions « Eau » en page 11 du rapport du Groupe 2 du 26 septembre 2007
Et nous ne sommes pas les seuls à pointer d’étonnantes « dérives »…
Yannick Jadot, directeur des campagnes de Greenpeace France et porte-parole de l’Alliance, nous semble ainsi fondé à s’inquiéter de la perspective d’une « Grenelle tiède et sans saveur », sentiment formulé à l’issue de la première réunion « inter-collèges » qui s’est tenue le mardi 2 octobre 2007 au Medad, pour évoquer les modalités d’organisation des prochaines étapes, avant la grand messe prévue fin octobre.
Comme de pointer d’étonnantes « réécritures » express :
« Premier problème : les synthèses des groupes de travail. Depuis la publication de ces documents par le Medad jeudi dernier, l’Alliance a effectué un travail de relecture minutieux, comparant les versions publiées et celles qui étaient censées avoir été validées par les groupes de travail, et a relevé quelques pratiques ne pouvant relever d’erreurs commises dans la précipitation.
Ainsi, comment, contrairement aux engagements répétés du ministre Borloo, certaines synthèses ont-elles pu être modifiées après avoir été validées par les participants ? Comment d’autres ont-elles pu être publiées jeudi dernier sans être validées ? Malgré nos demandes d’explication et de rectification adressées au Medad, aucune mesure de correction n’a été engagée. Renvoyant la responsabilité aux présidents des groupes de travail aujourd’hui dissous, le ministère ne nous a fourni aucune réponse satisfaisante. »
Le « rapport » au vitriol du Medad et des Agences
C’est dans ce contexte... délicat que surgit la surprise que l’on n’attendait pas.
L’eau a donc en apparence été évacuée en deux pages du rapport du Groupe 2.
Mais ce rapport comporte 14 annexes, et surtout une : la bombe.
Cette annexe 2 est intitulée « Vers un bon état des eaux en quantité et en qualité ».
Quand on en commence la lecture, en page 42 du rapport, il est précisé que : « Cette fiche détaillée a été transmise par le MEDAD et les Agences de l’eau à partir des travaux des groupes 2 et 4 ».
Ici s’exprime la quintessence de l’exercice carnassier du pouvoir dont la haute administration française a une riche expérience.
Cet intitulé tend à nous faire accroire que le Medad et les Agences ont joué tout l’été les gentils secrétaires des « parties prenantes » et se seraient contentés de mettre en forme les débats…
Monumentale menterie.
On le comprend après lecture des 40 pages au vitriol rédigées par le Medad et les Agences.
Ces 40 pages sèches feront date.
Elles prétendent décrire ce qui doit être mis en œuvre pour répondre aux objectifs assignés par la DCE, et chiffrent à ce titre une vingtaine de propositions, histoire d’enfoncer le clou.
Un festival.
Il faut lire, relire, laisser reposer, y revenir, additionner le montant des mesures préconisées.
Un, la France n’atteindra pas le bon état en 2015. On le savait, mais dit par le MEDAD et les Agences ça prend un tout autre sens.
Deux, les mesures, drastiques, indispensables pour atteindre ce bon état ne seront à l’évidence pas mises en oeuvre par le gouvernement.
Trois, la loi sur l’eau du 30 décembre 2006, notre fameuse LEMA, supposée nous doter du cadre réglementaire qui permettra d’ atteindre le bon état est un désastre. Il faudra la refaire.
Etc, etc.
La suite ?
Un observateur attentif du bastringue (ayant requis l’anonymat of course) nous la décrit sans mâcher ses mots : « On va dans le mur, la pantalonnade du Grenelle ne débouchera sur rien. La récréation est déjà finie. Les parlementaires sont furieux d’avoir été écartés des sunlights et vont déjà tout passer au kärcher. Le MEDEF et la FNSEA itou. Berteaud (Le directeur de l’eau, note Eaux glacées) ne veut pas porter le chapeau et a rédigé son testament en profitant du Grenelle. Les Agences sont vent debout contre l’Onema et savent qu’elles vont être les dindons de la farce. On leur colle tout sur le dos et elles ne pourront pas faire. Les collectivités qui se voient refiler le bébé, vont se faire matraquer par les Préfets et devoir augmenter le prix de l’eau : elles vont grimper aux rideaux et ça va être un souk d’enfer dans les Comités de basin... Donc on ouvre les parapluies tous azimuts : « On vous l’avait bien dit, vous n’avez pas voulu faire, nous n’y sommes pour rien… »
L’avantage inouï de l’affaire c’est qu’avec l’annexe de 40 pages du Medad et des Agences, plus question de se raconter des histoires.
Ici, enfin, on parle vrai.
Le roi est nu et on va dans le mur.
En chantant ?
A SONG :
Lire aussi :
Le succès du Grenelle de Veolia Environnement
Gérard Borvon, S-Eau-S, dimanche 28 octobre 2007.