C’est en fin d’après-midi, le jeudi 18 mars 2015, que les quatre amendements soutenus par une trentaine de députés, à l’initiative de Delphine Batho, et qui visent à moraliser la gouvernance de l’eau, (litote…), ont été adoptés au terme d’échanges qui illustrent parfaitement les positionnements des acteurs en présence, et augurent à ce titre du violent conflit qui a immédiatement débuté en coulisses. Arcboutés sur leurs prérogatives et leurs rentes les tenanciers du Lobby de l’eau vont bien évidemment tout faire pour liquider toute trace de cette initiative. En attendant “Merci pour ce moment”, ce n’est qu’un début, etc.
Après la reprise des débats à 16h15, la discussion s’engage sur les quatre amendements qui vont donner lieu à des échanges parfaitements éclairants…
(…)
Après l’article 17 bis
M. le président. La parole est à M. Michel Lesage, pour soutenir l’amendement no 1213.
M. Michel Lesage. Cet amendement prolonge les échanges que nous avons eus sur l’importance de la gouvernance de l’eau. Au risque de verser dans les banalités, je rappelle que l’eau est un bien commun qui est l’affaire de tous. Elle est liée à des enjeux multiples : enjeux qualitatifs et quantitatifs mais aussi conflits d’usages, enjeux financiers ou encore accès à l’eau pour tous – question sur laquelle une proposition de loi sera bientôt présentée ici même. L’évaluation de la politique de l’eau conduite en 2013, madame la ministre, a permis de révéler une donnée que l’on ignorait jusqu’alors : les flux financiers liés à l’eau représentent 23 milliards d’euros. L’enjeu est considérable. C’est dire si la question de la gouvernance de l’eau est fondamentale, tant en matière de démocratie qu’en termes de proximité. J’évoquais tout à l’heure les textes de loi qui conduisent les collectivités locales, notamment les EPCI, à s’impliquer davantage, y compris par l’intermédiaire des bassins-versants : ils montrent combien la question de la gouvernance est au cœur de la réussite de toutes les politiques publiques de l’eau et des bons résultats qu’elles doivent produire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Geneviève Gaillard, rapporteure. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. En effet, la réforme de la gouvernance des comités de bassin et, plus généralement, de la politique de l’eau est un chantier très important. Le rapport assez sévère que la Cour des comptes vient de nous transmettre comporte plusieurs recommandations qui sont actuellement à l’étude dans les structures concernées, auxquelles j’ai demandé de formuler des propositions en la matière. D’autre part, un travail interministériel est en cours, et je souhaite qu’il aboutisse au plus vite. Je suggère donc le retrait de cet amendement pour attendre le retour du texte en deuxième lecture, car le Gouvernement entend saisir la commission du développement durable des suites qu’il donnera au rapport de la Cour des comptes concernant la cohérence de la gouvernance et les problèmes de conflits d’intérêts que la Cour a relevés. Ce sont des sujets graves qu’il convient de traiter rapidement, tant en termes de représentativité et d’efficacité que de transparence des règles. C’est pourquoi je souhaite le retrait de cet amendement afin que nous puissions poursuivre notre travail commun sur ce sujet, notamment avec votre commission, mais aussi avec diverses autres structures qui ont leur mot à dire comme le comité national de l’eau. Ainsi, lorsque l’Assemblée s’en saisira de nouveau, le texte aura pu être enrichi à partir des consultations indispensables que nous devons conduire.
M. le président. La parole est à M. Jean Launay.
M. Jean Launay. Je comprends d’autant plus l’intervention de M. Lesage qu’il a rendu un rapport d’évaluation de la politique de l’eau dans lequel il a déjà soulevé ce sujet. En outre, Mme Anne-Marie Levraut a également produit un rapport d’évaluation dans le cadre des travaux du conseil général de l’environnement et du développement durable, rapport qui préconise de « conforter les comités de bassin pour accroître leur légitimité, leur représentativité et donc leur autorité, garder une composition où aucun collège n’a la majorité, la faire évoluer pour permettre une meilleure représentation de la société civile qui représente les bénéficiaires finaux de l’action publique » en dissociant les usagers économiques et non économiques. Il va de soi que le comité national de l’eau, que je préside, s’est emparé de ce sujet, d’autant plus qu’il avait été soulevé à la table ronde consacrée à l’eau lors de la conférence environnementale de 2013, à l’issue de laquelle il avait été intégré à la feuille de route gouvernementale. J’ai donc créé un groupe de travail qui s’est installé le 10 octobre 2013 et a tenu trois réunions avant la fin de cette même année sous la présidence de M. Pierre-Alain Roche, ingénieur de l’environnement et président de l’Association scientifique et technique pour l’eau et l’environnement, et de M. Christian Bernad, élu du bassin Adour-Garonne. Les préconisations qui en ont résulté sont déjà connues et ont été transmises à la direction de l’eau, madame la ministre. Le groupe de travail s’est ensuite réuni à deux reprises au cours de la première partie de l’année 2014, avant de suspendre ses travaux en raison du débat sur la réforme territoriale, sur les transferts de compétence et sur la loi NOTRe en particulier. Cela étant, nous nous sommes saisis du sujet et je partage l’avis de Mme la ministre selon lequel il est préférable de consolider les travaux en cours plutôt que d’adopter l’amendement qui nous est proposé.
NOTE Eaux glacées :
En réalité une soi-disant "réforme" de la composition du collège dit "des usagers" des Comités de bassin, dont Jean Launay ne dit mot, alors qu’il en a été l’artisan, a déjà eu lieu en 2014, à l’initiative du Comité national de l’eau. Il s’agissait d’un grossier subterfuge.
Soit la création de trois nouveaux "sous-groupes" au sein du précédent
collège usagers :
– 1. Socio-professionnels (Medef, FNSEA, EDF, Veolia, Suez...)
– 2. Pêcheurs, aquaculture, batellerie (nouveau) ...
– 3. Usagers domestiques non professionnels (consommateurs et associations de défense de l’ environnement).
En réalité les pêcheurs et assimilés sont AUSSI des socio-professionnels !
Mais en additionnant les collèges 2 et 3 le Lobby de l’eau a convaincu la ministre que les "non-professionnels" sont désormais représentés à hauteur de 10% dans les Comités de Bassin, ce qui est un mensonge caractérisé, dont on se convaincra aisément en consultant le nombre exact de membres de chacun des sous-collèges sur le site de chacune des six agences de l’eau.
A l’issue de cette escroquerie caractérisée les différents Préfets coordonnateurs de bassin ont éprouvé les pires difficultés pour "installer" les nouveaux collèges durant l’été 2014, ce qui remet par ailleurs en cause la représentativité réelle des nouveaux membres du sous collège des usagers non professionnels.
Enfin, last but not least, le Tribunal administratif de Paris, saisi d’un recours en annulation de la délibération du Comité national de l’eau en date du 18 décembre 2013 qui est à l’origine de ces dévoiements se prononcera sous peu, et pourrait mettre à bas toute la procédure administrative qui a conduit, à l’initiative du Comité national de l’eau, à "installer" de nouveaux Comités de bassin, dont la représentativité est nulle et non avenue.
Une fois réglé cet imbroglio, nos Machiavel au petit pied vont en outre devoir affronter la volonté de Mme Royal d’installer des "représentants de la biodiversité" au sein des Comités de bassin... A suivre.
– « Arrêté du 27 mars 2014 modifiant l’arrêté du 15 mai 2007 relatif à la représentation des collectivités territoriales et des usagers aux comités de bassin. NOR : DEVL1403186A. »
M. le président. La parole est à Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho. Madame la ministre, madame la rapporteure, nous maintenons cet amendement car de nombreuses consultations ont déjà été conduites en matière de politique de l’eau. À vrai dire, la Cour des comptes avait d’ores et déjà fait paraître un rapport en 2010, puis est paru celui de Mme Anne-Marie Levraut, effectué par cinq corps d’inspection dans le cadre du comité interministériel de la modernisation de l’action publique. Ensuite, M. Lesage a rédigé un rapport d’évaluation de la politique de l’eau, dont je le félicite. Puis la table ronde de la conférence environnementale a eu lieu en septembre 2013, soit il y a plus d’un an et demi. Tous ces travaux convergeaient sur un point : la nécessité de réformer la gouvernance de la politique de l’eau. Nous savons que cela suppose l’adoption de mesures législatives, car ces problèmes ne sauraient être résolus par la voie réglementaire. Chacun connaît l’encombrement du calendrier parlementaire, mais je rappelle que le présent projet de loi a été présenté en conseil des ministres en mars 2014, puis en commission aux mois de juin et juillet de la même année, et qu’il arrive en séance publique au début 2015. Autrement dit, nous n’avons aucune assurance concernant un calendrier qui permettrait de prendre les mesures législatives nécessaires pour réformer la gouvernance de la politique de l’eau. C’est pourquoi nous estimons qu’il est souhaitable d’agir dès aujourd’hui.
M. le président. La parole est à Mme Geneviève Gaillard, rapporteure.
Mme Geneviève Gaillard, rapporteure. Je demande une suspension de séance, monsieur le président.
Suspension et reprise de la séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise. Nous examinons l’amendement no 1213 présenté par Mme Batho. Madame la rapporteure, après la demande de retrait du Gouvernement, quel est l’avis de la commission ?
Mme Geneviève Gaillard, rapporteure. Je ne peux qu’exprimer la position de la commission, qui avait accepté cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre. Je vais m’en remettre à la sagesse de l’Assemblée car sur le fond, le fait que les choses changent ne me dérange pas. Cela dit, les organisations professionnelles agricoles et industrielles risquent d’être quelque peu surprises de se voir ainsi marginalisées. Dans le contexte actuel, elles vont certainement réagir. Vous ne serez pas étonnés, dans vos circonscriptions, d’avoir à leur expliquer ce vote inattendu qui a eu lieu à l’Assemblée. D’une façon générale, il faut respecter les procédures de consultation prévues. Légiférer de façon précipitée pose toujours un problème. Je vous alerte donc sur la réaction des organisations lorsqu’elles vont s’apercevoir qu’en l’absence de toute concertation, leur place a été considérablement réduite. Cela dit, le Gouvernement est déterminé à modifier la gouvernance de l’eau, comme en témoignent les nombreux rapports qui ont été demandés sur cette question. Je me suis saisie du rapport de la Cour des comptes et j’ai convoqué l’ensemble des responsables de la gouvernance de l’eau pour leur demander de faire des propositions en réponse au constat établi par la Cour des comptes. Il s’agit de sujets très sensibles, souvent conflictuels. Certes, nous ne devons pas avoir peur des conflits car ils permettent de poser des vérités sur la table, de définir les responsabilités et les attentes des uns et des autres, et d’identifier les flux financiers en distinguant ceux qui paient, ceux qui reçoivent et ceux qui subissent les pollutions : consommateurs, industriels, agriculteurs. S’agissant de l’eau, c’est la société tout entière qui doit organiser sa solidarité. Il s’agit d’une question très importante qui mérite d’être approfondie, après un processus de concertation et un travail interministériel. Je le répète, vous allez devoir expliquer dans vos circonscriptions pourquoi la phase de consultation a été « édulcorée ». Je voudrais dire à ceux qui suivent nos débats ou qui en prendrons connaissance, que le Gouvernement est soucieux de poursuivre les consultations comme elles doivent l’être, c’est-à-dire sérieusement, en toute transparence et dans le respect des divergences. Lors de l’examen du texte au Sénat, le Gouvernement présentera une réforme stabilisée, basée sur les travaux de l’Assemblée, en particulier de ses commissions que je saisirai lorsque nous aurons rédigé un texte définitif.
M. le président. La parole est à M. Jean Launay.
M. Jean Launay. Je partage l’analyse qui a été faite sur la nécessité de faire évoluer la représentation au profit des usagers, qui sont les principaux contributeurs s’agissant de l’eau qui coule du robinet puisqu’ils paient 80 % des redevances mais ne sont pas représentés comme ils le méritent. Au sein du Comité national de l’eau, que je préside, j’ai chargé un groupe de travail de réfléchir à cette question. Je précise que le groupe est indemne des critiques portant sur la composition du CNE puisqu’il s’est volontairement écarté, pour préserver l’objectivité de ses travaux, de la représentation actuelle. Je partage le souci de Mme la ministre de ne pas ajouter à l’inquiétude due aux aménagements financiers dont nous avons débattu tout à l’heure une autre inquiétude quant au fonctionnement des comités de bassin et des conseils d’administration des agences de l’eau. Il faut donner du temps au temps : la période qui nous sépare de la deuxième lecture nous permettra de terminer nos travaux.
M. le président. La parole est à Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho. Je remercie Mme la ministre d’en appeler à la sagesse de l’Assemblée sur cet amendement, et certainement sur les suivants. On ne peut pas parler d’un manque de concertation : nous avons rappelé, les uns et les autres, les nombreuses discussions qui ont eu lieu à propos de la gouvernance de la politique de l’eau. Mais il existe des résistances et des blocages, c’est pourquoi il est important qu’un vote clair précisant les intentions du Parlement vienne confirmer la volonté du Gouvernement.
(L’amendement no 1213 est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Delphine Batho, pour soutenir l’amendement no 1206.
Mme Delphine Batho. Cet amendement ne modifie pas l’équilibre général de la représentation entre les collectivités territoriales, les usagers et l’État au sein des comités de bassin, mais il propose de distinguer les usagers non économiques et les usagers économiques. Certes, les représentants des industriels et des agriculteurs ont toute leur place dans la gouvernance de la politique de l’eau, mais les usagers, les associations de protection de la nature, les associations de défense des consommateurs sont très minoritaires et doivent être mieux représentés. Tel est le sens de cet amendement qui modifie en conséquence l’article L. 213-8 du code de l’environnement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Geneviève Gaillard, rapporteure. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Sagesse.
(L’amendement no 1206 est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Michel Lesage, pour soutenir l’amendement no 1207.
M. Michel Lesage. En effet, les usagers domestiques paient 85 % des redevances mais ils sont peu représentés – moins de 15 % – dans les conseils d’administration des comités de bassin. Il était donc important que nous votions cet amendement. L’amendement no 1207 est un amendement de cohérence qui vise à ce que la représentation des usagers non économiques dans les comités de bassin soit également améliorée dans les conseils d’administration des agences de l’eau.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Geneviève Gaillard, rapporteure. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Sagesse.
(L’amendement no 1207 est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 1528 et 1212, pouvant être soumis à une discussion commune. La parole est à Mme Geneviève Gaillard, rapporteure, pour soutenir l’amendement no 1528.
Mme Geneviève Gaillard, rapporteure. La Cour des comptes souligne dans son rapport que le code de l’environnement n’encadre pas et n’oblige pas à créer une commission des aides au sein des agences de l’eau, qui en outre ne rendent pas compte de l’utilisation qu’elles font de l’argent public. Il convient donc d’inscrire ces principes élémentaires dans le code de l’environnement.
M. le président. La parole est à Mme Delphine Batho, pour soutenir l’amendement no 1212.
Mme Delphine Batho. Cet amendement supprime un alinéa concernant la présidence de la commission des aides. C’est un point qui mériterait d’être approfondi et j’avais de bonnes raisons pour présenter cet amendement, toutefois je le retire au profit de l’amendement no 1528.
M. Jean Launay. Les commissions des interventions existent déjà !
Mme Delphine Batho. Vous avez raison, monsieur Launay, mais ce n’est pas le cas dans toutes les agences de l’eau !
(L’amendement no 1212 est retiré.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement no 1528 ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Avis favorable.
(L’amendement no 1528 est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Delphine Batho, pour soutenir l’amendement no 1208 rectifié.
Mme Delphine Batho. Cet amendement a trois objectifs : mettre en place un régime d’incompatibilité entre les fonctions de membre du conseil d’administration d’une agence de l’eau et des fonctions définies par décret ; faire en sorte que les membres du conseil d’administration des agences de l’eau souscrivent une déclaration publique d’intérêts ; enfin, qu’un membre du conseil d’administration directement intéressé par une délibération en cours ne participe ni au débat ni au vote.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Geneviève Gaillard, rapporteure. La commission a adopté cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Avis favorable.
(L’amendement no 1208 rectifié est adopté.)