Dans un entretien publié le 10 mai par le Nouvel Obs, l’ancien maire-adjoint au Grand Paris de Bertrand Delanoé évoque l’ouvrage Les naufragés du Grand Paris Express, dans lequel la géographe Anne Clerval et la journaliste Laura Wojcik déshabillent le colossal chantier dit du « siècle » du Grand Paris Express.
Soit 200 km de lignes nouvelles de métro, quatre lignes automatiques (15, 16, 17 et 18) deux extensions, celles de la 11 et de la 14, et au bout des rails 186 projets urbains qui sont engagés dans les 35 quartiers entourant les nouvelles gares à̀ livrer d’ici à 2025.
A la clé : 84 000 logements nouveaux et 2,5 millions de m2 de bureaux. Entreprise gigantesque pour réorganiser une métropole patatoïde minée par des pouvoirs éclatés et des inégalités de territoires.
Pour quels résultats espérés ?
Les deux auteurs ont des partis pris urbanistiques revendiqués mais aussi une connaissance concrète et détaillée des effets réels enregistrés. A chaque réaménagement urbain de la métropole parisienne, celle de 1860 puis celle de l’après-guerre et des villes nouvelles avec Paul Delouvrier, la dynamique réformiste provoque des effets pervers semblables. L’éloignement des populations précaires et démunies un peu plus loin des nouveaux centres d’échange, et la gentrification des nouveaux quartiers servis par les transports.
C’est surtout la méthode que dénoncent aujourd’hui avec le plus de force les auteurs : une « machinerie inhumaine qui broie les destins des individus ». «
L’expropriation pour cause d’’utilité publique’ manifeste alors sa violence et son manque de considération pour les individus concernés ». Nous avons demandé à Pierre Mansat, l’ancien adjoint chargé du Grand Paris sous la mandature Delanoë de lire le livre et de nous faire part de ses réactions.
Guillaume Malaurie : Un travail utile ? Rare en tout cas !
Pierre Mansat : Les deux ! Le livre est particulièrement bien documenté et Anne Clerval fait œuvre utile dans le sillage de son ouvrage précédent Paris sans le peuple [La découverte 2016]. Il faut le souligner avec force car cet ouvrage est quasi unique. A ma connaissance, il n’y a aucune publication académique récente sur Paris, les banlieues, le « Grand Paris » à l’exception de l’ouvrage dirigé par Patrick Le Galès Gouverner la métropole parisienne [Sciences Po éditions].
GM : La critique la plus sévère des Naufragés du Grand Paris vise les prises de décision autoritaires, unilatérales…
PM : C’est un éclairage tout à fait pertinent. Ce grand projet d’Etat se borne à une concertation a minima : [15 000 participants aux réunions de l’enquête publique sur le Grand Paris Express sur une aire métropolitaine de 17 millions d’habitants] Et les méthodes font effectivement preuve de brutalité dans les relations avec les habitants impactés par le projet.
GM : Venons-en au second chapitre du livre sur « les enjeux du Grand Paris dans la métropolisation ».
PM : Là aussi, le travail est très fouillé et constitue une base aux échanges dont je discute cependant plusieurs points. Je pense qu’il y a une sous-estimation de l’enjeu sur les transports du quotidien de millions d’usagers. Depuis la ligne 14 (parisienne) aucun projet de transport d’ampleur n’avait été réalisé alors que la métropole et ses relations domicile-travail, s’est profondément modifiée. La nécessité d’une ligne de métro en rocade qui apparaît dès le Livre blanc de l’Île-de-France (1989) est défendue par la RATP au début des années 2000 (Marsaud, Auzannet). Grâce à Christian Blanc, ce projet est mis sur les rails, et c’est l’intervention des élus locaux qui transforme le schéma initial [métro automatique, 40 km/heure, quelques gares, Roissy/Orly] en un réseau maillant finement la « première couronne ». A mes yeux, c’était une impérieuse nécessité et pas une folie des grandeurs pour une aire métropolitaine qui crache 800 milliards d’euros de PIB par an !
GM : L’autre grand sujet du livre, c’est la gouvernance métropolitaine. D’ailleurs peut-on vraiment parler de gouvernance ?
PM : Là, je rejoins sans ambages la critique des auteurs. Si les forces du marché peuvent s’imposer dans cette métropole mondiale c’est justement parce qu’il n’y a pas eu, qu’il n’y a pas de « projet ». A aucun moment, il n’a été possible d’ouvrir un vaste débat démocratique sur le futur de la société urbaine et les élections régionales et municipales ont fait l’impasse sur le sujet, toutes forces politiques confondues. Il faut tout de même se rendre compte que « les soixante-huit futurs quartiers de gare cumulent une surface totale d’environ 13 600 hectares. Cela représente plus de 16 % du territoire de la Métropole du Grand Paris et 20 % de ses habitants actuels ». Or encore une fois, leur destination finale (logements, équipements, bureaux) n’a fait l’objet d’aucun travail collectif, d’aucun débat à l’échelle métropolitaine.
GM : Vous dénoncez le fait que ce sont les communes qui, chacune dans leur coin, ont fait valoir leur intérêt local sans que ne s’impose une vision d’intérêt général sur la métropole.
PM : Oui le communalisme a le vent en poupe. Et la balkanisation des arbitrages aboutit souvent à la solution du plus petit dénominateur commun. La Métropole du Grand Paris (MGP) n’est en rien une nouvelle gouvernance métropolitaine. Elle n’a aucune compétence à l’exception de l’élaboration de deux documents d’urbanisme, compilation des demandes des communes. Elle n’a aucune ressource. Elle ne sert à rien, ni en bien, ni en mal.
Souhaitons que le livre d’Anne Clerval soit repris pour alimenter le débat essentiel sur notre futur urbain. Pour ma part je tente d’y contribuer par un texte à paraître dans l’ouvrage collectif à venir Pour en finir avec le petit Paris, Archity Éditions
* Editions La Découverte. 20.50 €. 256p