L’avenir des services publics locaux paraît de plus en plus menacé par la dérive libérale impulsée par la Commission européenne, qui remet systématiquement en cause l’exercice de compétences d’intérêt général et entend qu’elles soient désormais livrées au « libre jeu » de la concurrence. En réaction 166 parlementaires de toutes tendances politiques viennent de déposer en décembre dernier une proposition de loi qui vise à permettre aux services publics locaux d’exercer leurs compétences dans un nouveau cadre juridique. Des compétences plus que jamais primordiales, à l’heure de l’effondrement catastrophique d’un modèle néo-libéral en pleine déliquescence.
L’initiative fera date, puisqu’après avoir été déposée au Sénat le 18 novembre 2008 (sénateurs Union centriste et UMP), cette proposition de loi a ensuite fait l’objet de trois propositions identiques, respectivement déposées à l’Assemblée nationale le 12 novembre 2008 (députés PC), le 26 novembre 2008 (députés UMP) et le 9 décembre 2008 (députés PS).
L’exposé des motifs de la Proposition de loi relative aux sociétés publiques locales
« Le droit communautaire issu de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes a été amené depuis les dix dernières années à préciser les conditions dans lesquelles une collectivité peut être dispensée d’appliquer les règles communautaires en matière de marchés publics. Cette jurisprudence élaborée par la Cour est connue sous le nom de « in house » ou de « prestations intégrées ».
L’arrêt Teckal du 18 novembre 1999 a posé deux conditions pour qu’un contrat puisse être qualifié de « in house » : il convient que la collectivité « exerce sur son cocontractant un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services » et que ce cocontractant « réalise l’essentiel de son activité » avec la ou les collectivités qui le détiennent. »
Dans son arrêt Stadt Halle du 11 janvier 2005, la Cour a précisé que la participation, fût elle minoritaire, d’une entreprise privée dans le capital d’une société à laquelle participe également le pouvoir adjudicateur en cause exclut en tout état de cause que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services.
Depuis l’arrêt Asemfo du 19 avril 2007, le contexte du « in house » est aujourd’hui clairement défini. Sous réserve du respect des deux conditions fixées par l’arrêt Teckal, les sociétés dont le capital est entièrement détenu par des collectivités sont vis-à-vis de ces dernières, dans une situation de « in house ».
Les sociétés d’économie mixte françaises, compte tenu de la présence obligatoire d’au moins un actionnaire privé à leur capital, ne peuvent être dans une relation « in house » avec leurs collectivités. Il en va autrement dans tous les autres pays de l’Union européenne qui disposent dans leur dispositif juridique, d’outils leur permettant d’appliquer pleinement le droit communautaire.
Seules les sociétés publiques locales d’aménagement, se trouvent, en droit français, dans cette situation.
En effet, l’article 20 de la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, codifié à l’article L.327-1 du code de l’urbanisme, prévoit la création de sociétés publiques locales d’aménagement (SPLA), nouvel outil à disposition des collectivités territoriales qui permet de résoudre les difficultés liées à la jurisprudence communautaire quant aux limites du « in house ». Une SPLA peut être constituée par les collectivités territoriales et leurs groupements, à titre expérimental, pour une durée de 5 ans, lesdites collectivités détenant la totalité du capital.
Ces sociétés ne sont compétentes que pour réaliser des opérations d’aménagement.
Il est évident que la gestion d’un service public sous la forme d’une société anonyme détenue par les collectivités territoriales, offriraient à celles-ci des avantages indéniables en termes d’efficacité, de réactivité et de sécurité, avantages dont les solutions juridiques disponibles, établissement public ou association loi 1901, sont dépourvues.
Or, il est des domaines d’activités autres que l’aménagement où l’existence de sociétés 100% publiques présenterait le même intérêt que les SPLA.
En effet, nombre de sociétés d’économie mixte ne travaillent que pour leurs collectivités actionnaires, pour le compte desquelles elles exploitent un service ou un équipement public. Il en va ainsi dans les domaines de la construction, et de la gestion de logements, de l’eau et de l’assainissement, du stationnement, des transports. Il convient de noter que le règlement européen relatif aux transports publics de voyageurs du 23 octobre 2007, définit la notion d’opérateur interne comme suit : « une entité juridiquement distincte sur laquelle l’autorité locale compétente ou, dans le cas d’un groupement d’autorités, au moins une autorité locale compétente, exerce un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services ».
De nombreuses Sem agissant dans ces secteurs correspondent bien à cette définition.
Il convient donc d’étendre ce dispositif à d’autres domaines d’activités que l’aménagement afin que les élus locaux puissent avoir à leur disposition, dans tous les domaines de compétence visés par la loi, l’outil leur permettant d’appliquer pleinement le droit communautaire ainsi que le principe de libre administration des collectivités territoriales.
Dotées de compétences élargies et renforcées, les sociétés publiques locales ne viendront pas se substituer, cependant, aux sociétés d’économie mixte dont le statut conservera toute son attractivité dès lors que des collectivités territoriales veulent s’associer à des partenaires privés pour entreprendre en commun des projets d’intérêt général.
Il convient de souligner que les sociétés publiques locales seront assujetties aux règles du code général des collectivités territoriales propres aux Sem, qu’il s’agisse des contrôles auxquelles celles-ci sont soumises (chambre régionale des comptes, commissaire aux comptes...) ou des dispositions visant à assurer la sécurité juridique des élus administrateurs de Sem, notamment au regard de leur responsabilité civile.
Par ailleurs, le texte proposé tire les enseignements pratiques de l’expérimentation des sociétés publiques locales dans le domaine de l’aménagement, en permettant aux collectivités territoriales de déroger au code de commerce qui impose, s’agissant des sociétés anonymes, un minimum de sept actionnaires. Cette obligation peut se heurter, en effet, à des difficultés réelles lorsque la société a pour objet la réalisation d’un projet ou la gestion d’un équipement intéressant un nombre inférieur de partenaires publics.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L’article 1522-1 du code général des collectivités territoriales est complété par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent créer, éventuellement associés à des établissements publics, et dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi, des sociétés publiques locales dont elles détiennent majoritairement le capital.
« Ces sociétés sont compétentes pour réaliser des opérations d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, des opérations de construction ou pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial ou toutes autres activités d’intérêt général.
« Ces sociétés exercent leurs activités pour le compte de leurs actionnaires.
« Ces sociétés revêtent la forme de société anonyme régie par le livre II du code de commerce et sont composées, par dérogation à l’article 225-1 dudit code, d’un ou plusieurs actionnaires.
« Elles sont soumises aux dispositions du présent titre II. »
Article 2
« Les charges qui pourraient résulter de l’application de la présente loi pour les collectivités territoriales sont compensées, à due concurrence, par le relèvement de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement, pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs prévus par les articles 575 et 575 A du code général des impôts. »