Le directeur général de Veolia Water, M. Antoine Frérot, tête pensante du numéro 1 mondial de l’eau, participera le 6 juin 2008 au Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, sis dans le pays de Coutances, dans le département de la Manche en Basse-Normandie à un colloque prestigieux
qui se tiendra une semaine durant dans ce haut-lieu cher à l’intelligentsia française. Il y animera une table-ronde intitulée « L’activité marchande sans le marché ? » M. Frérot y exposera sa vision du nouveau modèle économique pour le service de l’eau du 21ème siècle. En quelques phrases M. Frérot affirme que le modèle économique de gestion du service d’eau né au 19ème siècle a vécu. A l’orée du 21ème siècle les services d’eau vont connaître des évolutions considérables. Tous nos modèles de pensée seraient à revoir de fond en comble. L’avertissement émanant de Veolia mieux vaut le prendre au sérieux. D’autant plus que cette "nouvelle vision" est parallèlement promue à l’échelle internationale, au niveau onusien, par le "Partenariat français pour l’eau", groupe de pression constitué lors du dernier Forum mondial de Mexico.
« Quel modèle économique pour le service d’eau du XXIème siècle ? »
Ce texte est un résumé de l’intervention que doit effectuer M. Antoine Frérot *, le 6 juin 2008 à Cerisy-la-Salle lors de la table ronde du colloque « L’activité marchande sans le marché ».
« (...) Notre « business model » est lui aussi questionné, et nous cherchons à le modifier. Plusieurs raisons militant pour un nouveau positionnement économique :
– la rareté croissante des ressources en eau douce heurte de plein fouet la logique économique des services d’eau qui incite l’opérateur à augmenter les volumes consommés, car sa rémunération dépend directement de ceux-ci ;
– l’effet de ciseau entre l’augmentation des coûts due aux normes et le déclin régulier des volumes facturés sape la pérennité financière es services, sauf à relever le prix de l’eau, ce à quoi de nombreux élus se refusent. En France, les consommations ont baissé de 4% en 2007 ;
– on attend aujourd’hui du service d’eau bien plus que ce qu’on attendait de lui hier. On l’a chargé de missions supplémentaires telles que le traitement des eaux pluviales, la coopération décentralisée, l’amélioration des voiries, l’entretien des rivières, etc. Ces requêtes additionnelles alourdissent les dépenses du service d’eau sans qu ‘ait été ajustée son équation économique ;
– le financement du service d’eau possède une « tare originelle » : c’est une industrie de coûts fixes, dont le produit, le mètre cube, se facture aux volumes. Ce mode de rémunération fragilise l’équilibre financier du service lorsque les consommations d’eau se tassent.
Concevoir de nouveaux modèles n’est pas un enjeu mineur : il nous faut bâtir une architecture économique, et partant, un système de rémunération qui ne soit pas en porte-à-faux avec l’intérêt général de la collectivité ni avec la structure des coûts du service d’eau.
Le choix d’un mode de rémunération encourageant les consommations avait ses raisons : en les favorisant, on favorisait l’hygiène et la santé, tout en dotant le service de moyens pour financer les extensions de réseau. La santé publique est un des enjeux historiques de développement de nos métiers et de leur ancien modèle économique. Il l’est resté dans les pays émergents. L’accès à une eau pure et l’assainissement sont deux armes extrêmement efficaces contre les maladies diarrhéiques ; La révolution sanitaire que les grandes villes d’Europe ont connu au XIXème siècle, et qui a conduit en 50 ans à allonger l’espérance de vie de plus de 10 années, a été étroitement liée à la collecte des eaux usées par les égouts et à la distribution d’eau potable.
Plusieurs pistes se dessinent pour refonder le modèle économique de l’eau :
– Rémunérer ce qui relève du service de base par l’abonné et le reste par le contribuable
De plus en plus de missions s’écartent de l’alimentation en eau potable et de l’assainissement stricto sensu. Elles profitent à l’ensemble des habitants d’un territoire et doivent être financées par ceux-ci, et non par les seuls abonnés du service d’eau . On évoluerait alors d’un financement reposant à 100% sur l’usager à un financement reposant à 70% sur l’usager et à 30% sur le contribuable. Il convient d’identifier les prestations externes imputées au service de l’eau , d’en chiffrer le coût et de les faire payer par leurs justes bénéficiaires.
– Instaurer une rémunération basée sur les performances atteintes, donc partiellement déconnectée des volumes vendus
Dans ce 2ème modèle, la collectivité rétribue directement l’opérateur en fonction des performances obtenues. Sa rémunération résulte d’un mix entre le respect des objectifs prévus et les volumes facturés. Ce modèle s’affranchit du principe « l’eau paie l’eau » puisqu’il institue un financement du service d’eau par le contribuable et l’abonné, et non plus exclusivement par ce dernier.
Ce schéma économique, plus qualitatif et assorti d’un financement mixte, existe déjà à Indianapolis où Veolia eau gère le service d’eau et d’assainissement. Notre rémunération comprend une partie fixe et une partie variable. Le montant de cette dernière peut monter jusqu’à 25% du forfait et dépend du respect des performances exigées.
– garder une rémunération liée aux volumes vendus, mais dissocier ceux-ci des volumes prélevés au milieu naturel
A nouvelle mission, nouveau modèle économique. A nouvelles raretés, nouvelles ressources en eau. Les eaux usées sont l’une d’entre elles. Retraitées, elles fournissent de l’eau à des fins industrielles, agricoles ou domestiques ; Dans le recyclage des eaux usées , la rémunération de l’opérateur est proportionnelle aux volumes facturés mais, et c’est là l’important, ceux-ci sont déconnectés des volumes pris dans la nature. Dès lors, l’incitation à « vendre plus » résultant de recettes assises sur les m3 consommés n’entre plus en contradiction avec l’objectif de réduire les prélèvements d’eau douce.
Ces modèles nouveaux ou inusités, nous souhaitons les généraliser. Mais nos partenaires le veulent-ils ? certains le désirent, d’autres non.
De nouvelles rémunérations pour financer de nouvelles prestations, une nouvelle structure des recettes pour réduire la discordance avec la structure des coûts, de nouvelles ressources en eau pour faire face aux nouvelles raretés : ces mutations sont en cours. Elles n’ont pas encore percolé dans l’ensemble de nos 5000 partenariats publics privés, même si le recyclage des eaux usées se diffuse à grande vitesse dans des pays comme l’Australie qui affronte sa 7ème année de sécheresse consécutive.
Les autres modèles économiques ébauchés, ceux qui combinent rémunération par la facture d’eau et par l’impôt, dépendent de l’accord des collectivités, voire d’une évolution législative. Pour qu’ils prennent chair, il ne suffit pas de les imaginer : encore faut-il que le législateur et les clients les acceptent. »
Un enjeu mondial
Loin de se limiter à la France, cette "nouvelle vision" du financement des services de l’eau est d’ores et déjà promue à l’échelle internationale, comme l’atteste le débat qu’organise le 12 mai 2008 à New-York le "Partenariat français pour l’eau", groupe de pression à dimension internationale regroupant tous les intérêts français dans le secteur de l’eau.
Titré "Investir dans la GIRE, ça rapporte", saisissant raccourci qui se passe de commentaires, le "side event" se tiendra parallèlement à la CDD 16 et a pour objectif "de montrer que la question du financement de la GIRE est primordiale pour sa mise en œuvre effective et dans la durée. Les financements publics classiques ont atteint leurs limites et il faut aujourd’hui trouver des modalités de financement innovantes et diversifiées : taxes administratives, redevances et taxes affectées, tarification industrielle et commerciale des services collectifs liés aux usages de l’eau, subventions, investissements privés,… Il s’agira de débattre des meilleures solutions de financement pour assurer un effet levier, une incitation à la limitation des gaspillages et des pollutions, une rémunération des services environnementaux, une solidarité amont/aval."
NOTE :
Témoignage, s’il en était besoin, que Veolia est plus décidé que jamais à promouvoir « sa » vision, l’impressionnant « Cahier spécial » de 100 pages, titré « Objectif Terre 2050 », co-produit en janvier 2008 par La Recherche, prestigieuse revue scientifique française et Veolia Environnement...
Citation et glossaire :
"L’art de l’investigation scientifique est la pierre angulaire de toutes les sciences expérimentales. Si les faits qui servent de base au raisonnement sont mal établis ou erronés, tout s’écroulera ou tout deviendra faux ; et c’est ainsi que, le plus souvent, les erreurs dans les théories scientifiques ont pour origine des erreurs de faits."
Claude Bernard, Introduction a l’étude de la médecine expérimentale, 1927.
Contenu,ue
n.m. (XVIème ; de contenir). 1. Ce qui est dans un contenant. Le contenu d’un récipient. V. Contenance. L’étiquette indique la nature du contenu. Contenu d’un camion, d’un bateau (chargement).Boire le contenu d’un verre (boire un verre) ; manger le contenu d’une assiette (une assiettée ; suff. -ée). 2. Fig. Substance, teneur. Le contenu d’une lettre, d’un livre, d’une loi. ANT.Contenant.
Editorial, iale, iaux
n.m. (1852 ; mot anglo-amér., de editor "éditeur"). Article qui émane de la direction d’un journal, d’une revue, et qui définit ou reflète une orientation générale (politique, littéraire, etc.). Poe "devrait se charger... de la rédaction de la partie dite éditorial, c’est-à-dire... de l’appréciation de tous les faits littéraires" (BAUDEL.).
Déontologie
n.f. (1839 ; grec.deon,-ontos "devoir", et -logie). Didact. Théorie des devoirs, en morale.
– Specialt.Déontologie médicale : théorie des devoirs professionnels du médecin.Cottard "par déontologie s’abstenait de critiquer ses confrères (PROUST).
Trafic
n.m. (1339 ; it.traffico ; O.I.) 1.Vieilli. Commerce. Faire trafic de, négocier. Mod. (Péj.) Commerce plus ou moins clandestin, honteux et illicite.Trafic des bénéfices. V. Simonie. "L’effroyable trafic de chair humaine qui si longtemps ravagea les côtes de l’Afrique" (JAURES).Trafic des stupéfiants. Plaisant. Faire trafic de ses charmes. Se livrer à la prostitution. Dr.Trafic d’influence, fait d’agréer des offres ou de recevoir des présents pour faire obtenir de l’autorité publique un avantage quelconque. V. Malversation. 2. (Mil. XIXème ; angl.traffic ). Mouvement général des trains ; fréquence des convois sur une même ligne.Un trafic intense. - Par anal.Trafic maritime, routier, aérien. Circulation des véhicules.
Le Nouveau Petit Robert, éditions 1967 et 1997.
* M. Antoine Frérot est Directeur Général de Veolia Water. Né en 1958, ancien élève de l’Ecole Polytechnique (X 77), Ingénieur des Ponts et Chaussées, Antoine Frérot a débuté sa carrière en 1981 comme ingénieur chercheur au Bureau Central d’études pour l’Outre-Mer (BCEOM). En 1983, il rejoint le Centre d’études et de Recherche de l’ENPC - CERGRENE - comme chef de projet, puis en devient directeur adjoint de 1984 à 1988. De 1988 à 1990, il poursuit sa carrière au Crédit National comme responsable d’opérations financières pour le compte de grandes entreprises du secteur des Transports de l’Aéronautique et de la Mécanique. Il rejoint la Compagnie Générale des Eaux en 1990 d’abord comme chargé de mission (1990-95), puis Directeur Général de CGEA (Compagnie Générale d’Entreprises Automobiles) et CGEA Transport (1995-2000). Il est nommé en juin 2000 Directeur Général de CONNEX la Division Transport de Vivendi Environnement (VE), et membre du Directoire de VE. Depuis janvier 2003, Antoine FREROT est Directeur Général de Veolia Water - Générale des Eaux, la division Eau de Veolia Environnement, membre du Comité Exécutif de VE et Directeur Général Adjoint de Veolia Environnement.
Note : Eaux glacées n’est pas particulièrement réputé pour relayer les campagnes de communication des majors de l’eau françaises. Cette contribution de M. Antoine Frérot nous paraît toutefois mériter d’être portée à la connaissance du plus large public qui n’aura pas accès au cénacle de Cerisy.
Une citation :
"Les gens du même métier se rassemblent rarement, même pour se divertir et prendre de la dissipation, sans que la conversation aboutisse à une conspiration contre le public ou à quelque invention pour augmenter leurs prix".
Adam Smith.
Gestion de l’eau :
Gestion de l’eau (1) : le réquisitoire de l’IFEN
Gestion de l’eau (2) : la vision de Veolia
Gestion de l’eau (3) : le cri d’alarme de Bernard Barraqué
Gestion de l’eau (4) : la tentation autarcique
Gestion de l’eau (5) : les pauvres et l’eau
Lire aussi :
Marchandisation de l’eau : la nouvelle offensive du « bio-capital »
Carnets d’eau, 7 avril 2007.
L’Europe de l’eau (3) : la fuite en avant ?
Carnets d’eau, 21 avril 2008.
Un observateur avisé que ses fonctions contraignent à la réserve n’en a pas moins adressé à Eaux glacées la contribution ci-après, que nous apportons volontiers au débat, tant elle conforte le constat qu’un nouveau paradigme va devoir être formalisé, à mesure que les tensions s’accroissent sur l’actuel modèle économique du service de l’eau :
« Le système montre ses limites et est remis en question par la somme des actions (grands comptes, appareils ménagers et individus), qui induisent une baisse structurelle de la consommation d’eau potable, « boostée » par des campagnes de sensibilisation institutionnelles. Le pouvoir du citoyen serait bientôt plus dans l’acte d’achat que dans celui de vote, au risque d’une société toujours plus individualiste. Quand comprendra-t-on que l’économie de marché ne règle pas tous les problèmes si on ne la dote pas de réels moyens de cadrage et de régulation ?
« Ce genre d’annonce dans les mains des analystes financiers du CAC 40 pourrait même être contre-productive pour les sociétés des eaux en provoquant la chute du cours de leurs actions, tant qu’une nouvelle réforme du financement de l’eau n’est pas en vue.
« Actuellement le rendement affiché par les grandes entreprises privées du secteur est en moyenne de 4 à 6% par an en France, et bien davantage à l’international, donc très loin des rendements à deux chiffres d’autres grands groupes de produits de première nécessité. Je pense aux vendeurs de yaourt et autres spécialités laitières qui surfent sans honte, ni barrières, sur la vague haussière des prix laitiers. C’est donc un aveu que le volume financier, et donc le rendement, sera encore moins au rendez-vous dans les années à venir si le système reste identique. Ici considérer que la majorité des DSP actuelles courent sur 10 à 20 an). Et ce n’est pas l’ANC ou le pluvial qui vont compenser !
« Hormis les rentrées financières, en quoi la baisse des consommations d’eau est-elle un réel problème ? Si l’on prélève moins d’eau, on a davantage d’eau disponible, donc moins d’eau à pomper, traiter, acheminer et … retraiter, tant que le débit « sanitaire » reste correct. De toute façon la baisse à ses limites …
« A défaut de mettre en chantier le débat sur la gouvernance, nous pourrions déjà imaginer, là ou la ressource est en déséquilibre, des solutions qui servent à gérer la décroissance de l’eau :
– un tarif de l’eau moins cher, si les gens acceptent un compteur avec une électrovanne, relié à internet, qui permet à l’opérateur un écrêtement automatique, pré-défini en accord avec l’abonné et la collectivité, des débits en périodes de pointe, ce qui évite de surdimensionner les réseaux pour les pics estivaux.
– une rémunération du délégataire assise sur ses performances, pour diminuer par palier les pertes dans le réseau et la consommation chez les particuliers, compensée par une part fixe sur la facture d’eau plus élevée que les pertes occasionnées, ou, au-delà d’un certain seuil, par l’impôt.
– anticiper la baisse des recettes, ce que font déjà certains syndicats, et donc adapter les investissements et les contrats de DSP en conséquence, quitte à augmenter un peu la part fixe (abonnement).
– réformer le système de financement de "l’eau qui paye l’eau" : oui, il a montré ses limites maintenant que les prélèvements des Agences de l’eau vont à Bercy et que le PMU ne contribue plus à la solidarité et la péréquation. Mais ne laissons pas le soin aux têtes pensantes des grands groupes de l’eau de le faire à notre place ! Le risque est connu : orienter le système vers un nouveau « business plan », plutôt que vers un système ré-équilibré autour l’enjeu de maintenir un accès correct de l’eau à tous, responsabiliser les acteurs et trouver de nouvelles sources de financement de la protection et gestion de la ressource.
« Et en opposition avec les grandes manœuvre de lobbying et des faux problèmes qui y sont associés, en attendant d’éventuelles réformes, strictement nécessaires à l’intérêt général, saluons les courageux efforts d’après-guerre pour amener l’eau courante dans tous les villages et le travail de terrain des fontainiers et agents techniques publics ou privés qui nous permettent d’ouvrir actuellement le robinet sans trop nous poser de questions … »