La création d’une nouvelle compétence obligatoire de « gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations », compétence impartie au bloc communal, qui n’avait rien demandé, assortie de la création d’une nouvelle « Aquataxe », et du transfert d’ici à dix ans de la gestion de 50 000 kilomètres de digues, aujourd’hui compétences de l’Etat, là encore aux collectivités locales qui n’avaient rien demandé, restera comme l’une des plus scandaleuses « madofferies » commise depuis que la gauche a accédé au pouvoir en mai 2012. L’extrême technicité du dossier, embrouillé à dessin par nos conjurés, ne devrait pourtant pas dissuader élus et citoyens de s’y intéresser, au regard de ses implications, colossales, et parce que cette affaire incarne jusqu’à la caricature les pratiques délétères du lobby de l’eau français, qui conduit à sa perte une politique publique majeure, avec des conséquences gravissimes sur les plans financiers et environnementaux.
Depuis la publication au JO de la loi Maptam le 27 janvier 2014, l’affaire Gemapi n’en finit pas de faire des vagues.
Nouveaux épisodes avec le forcing des EPTB constitués en ententes interdépartementales pour muer fissa en syndicats mixtes, condition indispensable pour espérer l’emporter sur les EPAGE qui ont gagné haut la main la première manche au Sénat et à l’Assemblée.
Puis la tentative de la DEB de remettre en cause l’encadrement des missions Gemapi décidé par le législateur.
Et enfin, apothéose, l’invraisemblable « rapport » d’un "groupe de travail mixte" fantoche CNE-CMI, soumis au CNE le 2 avril dernier, et qui, tout à la fois, décrit par le menu le terrifiant bordel déclenché par nos comploteurs, qui laisse aisément augurer que cette OPA sans précédent n’aboutira jamais, et éclaire aussi sur les différents groupes d’intérêts qui continuent à conspirer, contre la volonté du législateur, pour imposer la prise de pouvoir obstinément préparée depuis deux ans.
Au total un instantané chimiquement pur de la « maladie de l’eau », soit la mise sous tutelle d’une politique publique essentielle par une coalition d’intérêts qui conspire à ciel ouvert contre l’intérêt général.
Les EPTB constitués en entente interdépartementale dans la nasse
Le 16 avril 2014, le JO du Sénat publiait la réponse du Secrétariat d’État, auprès du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche, à la question orale sans débat n° 0690S de Mme Marie-Françoise Gaouyer (Seine-Maritime - SOC), publiée dans le JO Sénat du 30/01/2014 - page 245.
L’échange vaut son pesant de cacahouètes.
Le gang des EPTB-Canal historique, qui est à l’origine de cette éprouvante saga, victime de sa suffisance, s’est fait laminer au Sénat et à l’Assemblée, et par les EPAGE, et surtout, un comble, pour avoir tenu pour quantité négligeable le tropisme hollandais du « Tout EPCI », alpha et omega du catéchisme des Actes 3, et bientôt 4, catéchisme qui a établi une règle d’or : quand on veut transférer une compétence que l’on ne financera pas, on la refourgue aux EPCI à fiscalité propre, qui battront monnaie par le biais de la fiscalité locale.
Ca apprendra à nos Ribouldingue et Filochard à mépriser la représentation nationale, comme ils en ont acquis la très fâcheuse habitude, grâce à la mise sous tutelle opérée depuis trente ans par le Cercle français de l’eau.
Résultat, mi-avril, nos conjurés ont du faire des pieds et des mains pour insérer un cavalier dans la loi d’Avenir pour l’Agriculture et la Forêt, aux fins de pouvoir transformer les 10 ententes concernées, soit EPTB canal historique en syndicats mixtes ouverts…
« Mme Marie-Françoise Gaouyer. Monsieur le secrétaire d’État, ma question concerne les établissements publics territoriaux de bassin, les EPTB, reconnus depuis la loi de juillet 2003 comme les acteurs de référence en matière de politique de l’eau à l’échelle d’un bassin versant ou d’un sous-bassin.
« Depuis dix ans, ces établissements ont acquis une expérience et un savoir-faire irremplaçables. Au-delà de leur rôle essentiel dans la prévention des inondations, la préservation des zones humides et la gestion équilibrée de la ressource eau, qui constituent leur cœur de compétence, les EPTB ont apporté une contribution décisive à notre connaissance de ces espaces et à leur valorisation auprès du public.
« À titre d’exemple, l’EPTB de la Bresle mène des actions aux échelles adaptées, à la demande des collectivités ou même des agriculteurs : engagement des travaux de restauration de la continuité écologique, avec des résultats concluants en termes de remontée des poissons migrateurs ; lancement d’une étude pour lutter contre les érosions et les ruissellements sur un sous-bassin ; animation, avant sa validation, du schéma d’aménagement et de gestion des eaux...
« Monsieur le ministre, en intégrant les EPTB aux dispositifs de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, la MAPAM, au titre de la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, la Gémapi, compétence désormais dévolue aux établissements publics de coopération intercommunale - les EPCI - à fiscalité propre, avec possibilité de délégation vers un EPTB, vous avez reconnu cette expérience ainsi que la pertinence de la gestion par bassin versant, seule à même d’apporter la cohérence indispensable pour des espaces qui ne connaissent pas nos frontières administratives.
« Toutefois, le transfert ou la délégation de cette compétence restent volontaires, ce qui fragilise les EPTB actuels. De plus, ceux-ci n’ont été que partiellement intégrés puisque la version actuelle de la loi ne fait référence qu’aux syndicats mixtes, qui ne sont qu’une forme d’organisation administrative de ces établissements. En effet, parmi les trente-six EPTB, dix sont des institutions interdépartementales.
« Cette décision d’écarter un quart des établissements est étonnante et préjudiciable. Tout d’abord, elle crée des ambiguïtés localement : certains EPCI vont devoir prendre en charge la Gémapi, sans expérience et avec peu de moyens, alors même qu’un EPTB interdépartemental assurait jusqu’alors cette compétence avec succès. Or il est impossible pour les EPCI de donner délégation à un tel EPTB pour assurer cette compétence ! Faudra-t-il que l’EPTB disparaisse et que les EPCI reprennent le travail à zéro ? Faudra-t-il que l’EPTB change de forme et devienne un syndicat mixte ?
« Cette seconde solution n’est pas intrinsèquement mauvaise, mais elle comporte des risques. Détruire une institution pour recréer un syndicat mixte serait long, juridiquement complexe et politiquement périlleux. En particulier, le désengagement de certains départements, au regard notamment des contraintes budgétaires qu’ils connaissent, est à craindre. Vous le voyez, cette solution, si souhaitable soit-elle, recèle des fragilités à tous les étages !
« Monsieur le ministre, quel avenir le ministère du développement durable réserve-t-il aux EPTB interdépartementaux ? L’État est-il prêt à les accompagner activement dans la transition que vous semblez appeler de vos vœux ? Enfin, comment envisagez-vous de renforcer sur tout le territoire national la logique globale de gestion par bassin versant, seule à même d’assurer les solidarités entre collectivités ? »
– M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
– M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, je vais vous faire connaître la réponse de Mme Ségolène Royal.
« La politique de gestion des milieux aquatiques et de prévention des risques d’inondations et de submersion nécessite la structuration d’une maîtrise d’ouvrage territoriale en charge de la gestion permanente des ouvrages hydrauliques, la maîtrise de l’urbanisation des zones exposées, la gestion intégrée des cours d’eau et une sensibilisation des élus et de la population.
« Ces compétences étaient jusqu’alors facultatives et partagées entre tous les niveaux de collectivités. La loi MAPAM, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, a donc attribué aux communes une compétence ciblée et obligatoire relative à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations. Toutefois, ces compétences pourront être exercées, en lieu et place des communes, par des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ou être déléguées ou encore être transférées si les communes adhèrent à des groupements de collectivités.
La loi distingue désormais trois échelles cohérentes pour la gestion des milieux aquatiques :
– le bloc communal, assurant un lien étroit et pérenne entre la politique d’aménagement et les missions relatives à la gestion du milieu aquatique et la prévention des risques d’inondation ;
– l’EPAGE, l’établissement public d’aménagement et de gestion de l’eau, en charge de la maîtrise d’ouvrage locale et de l’animation territoriale dans le domaine de l’eau à l’échelle du bassin versant de cours d’eau ;
– l’EPTB, l’établissement public territorial de bassin, en charge de missions de coordination et de maîtrise d’ouvrage de projets d’intérêt commun à l’échelle du groupement de bassins versants.
« Lors du vote de la loi MAPAM, le législateur a décidé que les institutions interdépartementales ne pourraient plus être reconnues comme EPTB. Ces groupements, essentiels pour la mise en œuvre de la politique de l’eau, devront donc évoluer en syndicats mixtes. L’introduction d’une période transitoire pour leur permettre de le faire dans de bonnes conditions pourrait cependant être opportune. Un amendement du Gouvernement a été adopté en ce sens par le Sénat ces derniers jours dans le cadre du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
« Plus largement, pour encourager le regroupement des collectivités à des échelles cohérentes sur le plan hydrographique, ne pas déstabiliser les structures existantes et garantir la solidarité territoriale, les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux doivent identifier dès 2015 les bassins, les sous-bassins ou les groupements de sous-bassins hydrographiques qui justifient la création ou la modification du périmètre des EPTB et des EPAGE.
« Cette réforme entrera en vigueur le 1er janvier 2016. Le Comité national de l’eau et la Commission mixte inondation se sont réunis le 2 avril dernier pour examiner ses modalités de mise en œuvre avec les représentants de tous les partenaires concernés. Une mission d’appui sera constituée dans chaque bassin, sous l’autorité du préfet coordonnateur de bassin, pour accompagner la réforme.
« Par ailleurs, les structures assurant des missions de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, à la date de publication de la loi MAPAM, continuent à exercer les compétences qui s’y rattachent jusqu’au transfert de celles-ci aux EPCI à fiscalité propre et, au plus tard, jusqu’au 1er janvier 2018. »
– M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Gaouyer.
– Mme Marie-Françoise Gaouyer. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, et je vous prie de faire savoir à Mme Royal que nous serions ravis de la recevoir.
Sur la Bresle, qui est un fleuve très riche en poisson, notamment en saumon, la gestion diffère d’un versant à l’autre, d’un département à l’autre, voire d’une région à l’autre. C’est de là que surviennent les problèmes. Il faut en outre savoir qu’une communauté de communes interrégionale est impliquée. »
Une compétence à géométrie variable
Depuis que nombre d’élus s’inquiètent, à juste titre, du périmètre et du contenu précis de la nouvelle compétence GEMAPI, nos conjurés, main sur le cœur, rétorquent que celle-ci (en fait à l’insu de leur plein gré) a été strictement encadrée par le législateur (qui a vu arriver nos Pieds Nickelés…).
La compétence GEMAPI ne recouvrirait donc que les missions ci-après, définies aux 1, 2, 5 et 8 de l’article L-211.7 du code de l’environnement :
– aménagement de bassin hydrographique :
– entretien de cours d’eau, canal, lac ou plan d’eau ;
– défense contre les inondations et la mer (gestion des ouvrages de protection hydraulique) ;
– restauration des milieux aquatiques (zones d’expansion de crues).
Or, dans une présentation effectuée le 11 avril 2014 à l’Agence de l’eau RMC, qui organisait un séminaire dédié à la GEMAPI, Jean-Baptiste Butlen, adjoint à la sous-directrice de l’action territoriale et de la législation de l’eau du MEDDE, ajoutait (page 5 du Powerpoint ci-après) :
« (…) Néanmoins l’exercice de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations peut justifier la prise de compétences supplémentaires en matière de maîtrise des eaux pluviales, de gouvernance locale et de gestion des ouvrages. »
On se demande bien ce qui autorise M. Butlen à passer outre la volonté du législateur, qui a encadré très strictement l’exercice de cette compétence ?
Enfin, nous concernant, la question emporte sa réponse, comme nous l’avons déjà abondamment indiqué…
Reste que voici un nouvel exemple flagrant de déconstruction par la fraction de la superstructure d’état du lobby de l’eau de la volonté de la représentation nationale.
Nouveau coup de force au Comité national de l’eau
Après la séance homérique du 18 décembre 2012, qui aura conduit Hydroplus, et en guest star Virginie Dumoulin, as usual, à tenter de désamorcer le scandale (sans succès comme on le vérifiera sous peu), nos conjurés réalisent un nouveau coup de force lors de la séance du CNE du 2 avril 2014.
La quarantaine de délégués présents (sur 156 en principe - noyau dur du lobby en service commandé -, et heureusement que la cheffe de M. Butlen a vérifié que le règlement du CNE n’instituait aucun quorum, c’est dire si on peut y faire n’importe quoi, ce qui se reproduit à chaque séance), se sont vus adresser quelques jours plus tôt, dans un premier envoi du "secrétariat du CNE" :
– Une Note de présentation de la "Mission d’appui" ;
– Un projet de décret (créant) la "Mission d’appui" ;
Ici, il s’agit, eu égard au bordel invraisemblable créé par les conjurés de la GEMAPI, de faire sortir des limbes six « Missions d’appui », une par bassin, placées sous l’autorité des Préfets coordonnateur de bassin, et qui devront, principalement, arbitrer entre EPCI, et surtout EPAGE et EPTB, s’agissant de "qui va faire quoi"...
On devine dès lors aisément ce qui va s’ensuivre, dans le registre bataille de chiffonniers, s’agissant d’une compétence nouvelle obligatoire dont personne ne veut, et qui ne bénéficie à ce jour d’aucun financement, pas un centime d’euro !
On observera ainsi sans surprise que, s’agissant d’une compétence supposée concerner 17 millions de Français, et qui devrait se traduire par une nouvelle taxe annuelle de 40 euros par citoyen assujetti, lesdites Missions d’appui ne sont constituées que par des représentants de l’état et des élus… Pas UN représentant de la société civile, des associations de défense de l’environnement et des consommateurs !
Envolés les partenaires, disparues les parties prenantes, évaporés les dialogues multi-acteurs, et mille et une autres foutaises qui font l’ordinaire de la « gestion de l’eau à la française ».
Là, on parle pouvoir et gros sous, circulez, y a rien à voir…
Radiographie d’une bombe à retardement
Nous avons gardé le plus beau pour la fin.
Dans notre bibliographie qui abonde pourtant en rapports ahurissants, rien de tel.
Dans un envoi complémentaire, avant la même séance du CNE du 2 avril 2014, nos quarante délégués (leurs maigres troupes étant toujours aussi étiques), reçoivent un sidérant pavé, signé de l’un de ces « groupes de travail ad hoc » qui sont la spécialité (illégale) du CNE.
Il s’agit du : « Rapport et propositions du groupe de travail « gouvernance et compétences » au Comité National de l’Eau et à la Commission Mixte Inondation concernant la compétence GEMAPI et sa mise en oeuvre. »
Bon, il y en a pour 35 pages, écrit menu, mais c’est un véritable chef d’œuvre.
Tout y est : le constat implacable de l’invraisemblable bordel déclenché par les mêmes. Le relevé précis des mille et une impasses des textes adoptés par le législateur, sur pression désordonnée des mêmes. Les « préconisations » des mêmes pour s’exonérer de l’encadrement de l’exercice de la nouvelle compétence GEMAPI décidé par le législateur.
Ainsi, ne reculant devant rien pour arriver à leurs fins, au terme d’un cheminement des plus tortueux, nos conjurés proposent, par exemple, ce qui serait de nature, à leurs yeux, à faciliter le décollage de la GEMAPI, de transférer obligatoirement, par un acte autoritaire, l’exercice de la compétence assainissement... aux EPCI à fiscalité propre, et donc d’en déposséder les communes. Rien de tel pour provoquer une levée de fourches dans le bocage ! Et on se demande bien à nouveau quel est le mandat qui autorise nos pieds nickelés à s’arroger les prérogatives de la représentation nationale ?
Une œuvre d’art, qui devrait être enseigné à l’ENA, à l’INET, déclamé à la tribune de l’Assemblée, voire, ne reculons devant rien, enseigné dès le lycée…
Sa lecture demande certes un sérieux effort.
Quand ce sera chose faite, vous aurez tout compris de la gestion de l’eau en France, et, une fois validé par un brevet décerné par un MOOC, serez fins prêts pour accéder à la direction d’une Agence de l’eau, à la présidence du CNE, à la direction de la DEB, tant il apparaît clair qu’à ce rythme là les excellences qui nous gouvernent vont rapidement être décimées.
Qu’on songe aussi à l’irréalité démente de ces délires bureaucratiques en chambre quand les décrets, arrêtés et circulaires (surtout des circulaires bien sûr…), qui vont en émaner vont tomber sur des agents des DDT-M, des DREAL de bassin, des MISEN, et leurs collègues des collectivités locales, déjà impitoyablement décimés par les RGPP, RéATE et MAP…
A suivre.
Excellente analyse (et joli style).
Extrapôlable à souhait, c’est l’essence même d’un syndrôme.
De César à la Cour des rois sans oublier François Premier.