Un énorme fossé d’incompréhension oppose depuis quelques mois, partout en France, les représentants de l’Onema et des Directions départementales des territoires (DDT) aux troupes de la FNSEA, qui reproche à l’administration de « sanctuariser les milieux aquatiques sans tenir compte des impératifs économiques ». Une véritable guerre des tranchées s’est ainsi développée autour… du curage des fossés !
Heurts, menaces, affrontements physiques, recours en justice, contestation des tracés des ruisseaux et rivières sur les nouvelles cartes de l’IGN, interpellations d’élus… témoignent de l’importance des enjeux.
Pour la FNSEA le drainage, et le curage des fossés qui en découle doivent demeurer l’apanage du monde agricole, et ne pas être encadrés par l’administration, qui excipe à juste droit des contraintes découlant de la LEMA du 30 décembre 2006 et de la DCE.
Deux mondes s’affrontent de plus en plus ouvertement, creusant jour après jour un véritable fossé… d’incompréhension. Un groupe de travail ministériel va donc s’attacher à définir ce qu’est un fossé et ce qu’est un ruisseau.
Ne reste plus qu’à y inviter Erick Orsenna, puisqu’il ne pige plus pour Lyonnaise des eaux, et qui éclairerait utilement la FNSEA, le Minagri et le MEDDE sur ce qu’il convient de faire là où la main de l’homme n’a jamais mis le pied, ce qui ferait avancer considérablement le chantier de la GEMAPI, directement concerné comme on va le voir par ces ténébreuses affaires…
On constatera aisément que l’administration, fort peu soutenue par ses tutelles, ne pèse rien face à la FNSEA. Qu’on imagine demain avec la GEMAPI, quand ce ne sera plus l’Etat, mais les élus locaux, qui feront face à la fronde du « monde paysan »…
Un article publié le 24 août 2014 dans « L’avenir agricole et rural de la Haute Marne » témoigne de ces vives tensions.
Dans le quotidien Sud-ouest du 2 septembre 2014, Hervé Bluhm, qui dirige la délégation intérégionale sud-ouest (Aquitaine et Midi-Pyrénées) de l’Onema, qui compte 120 agents, réfute pour sa part tout excès de zèle…
Les élus locaux, fortement mobilisés partout en France par la FNSEA, interpellent dès lors le ministère de l’Ecologie, dont les réponses éclairent singulièrement la grave maladie dont souffre la gestion de l’eau en France. Soit la construction de digues de papier, villages Potemkine qui ne résistent jamais aux élans furieux du monde agricole…
– 1. La question écrite n° 12233 de M. Jean Louis Masson (Moselle - NI), publiée dans le JO Sénat du 26/06/2014 - page 1502.
« M. Jean Louis Masson attire l’attention de Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie sur le fait que les pouvoirs de la police de l’eau en matière de curage des fossés semblent d’autant plus démesurés que les services administratifs concernés interprètent la réglementation de manière tatillonne et extensive.
C’est déjà évident à l’encontre des agriculteurs ou des propriétaires fonciers auxquels on interdit parfois de curer des fossés créés et entretenus par l’homme depuis plusieurs siècles et figurant même sur les cadastres du Premier Empire.
C’est encore plus vrai à l’égard des communes rurales où les maires sont véritablement harcelés. Ainsi, récemment, un maire ayant fait curer un fossé qui est à sec en été et qui ne présente donc aucun un intérêt écologique, a été l’objet de poursuites devant le tribunal correctionnel alors même que l’opération était indispensable pour remédier aux inondations répétitives de maisons lors des orages.
Il souhaiterait donc savoir si elle pourrait assouplir les règles applicables aux communes lorsqu’elles procèdent au curage de fossés où la présence d’eau n’est qu’intermittente. À défaut, il souhaite savoir si au moins les préfets ne pourraient pas procéder à des arbitrages plus pertinents lorsqu’il s’agit de communes. »
La réponse du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, publiée dans le JO Sénat du 21/08/2014 - page 1956.
« Les fossés ou les drains créés de la main de l’homme sont des réseaux d’écoulement qui s’entretiennent dans le but de maintenir leur fonctionnalité, ce pour quoi ils ont été créés.
Il s’agit d’ouvrages artificiels dont l’entretien ne relève pas des dispositions du L. 215-14 du code de l’environnement ni des rubriques de la nomenclature « loi sur l’eau » relatives aux travaux sur cours d’eau.
L’entretien des fossés et des drains est néanmoins encadré par le respect de leur dimensionnement établi dans le cadre, le cas échéant, de leur déclaration ou de leur autorisation au titre de la rubrique 3.3.2.0 relative aux réseaux de drainage.
Toute la difficulté réside cependant dans la confusion souvent faite entre des cours d’eau très aménagés et rectifiés dans le passé, servant d’exutoire de drainage et des fossés artificiels.
Or, l’entretien de cours d’eau, qu’il soit réalisé par le propriétaire riverain ou par les collectivités territoriales est encadré par la réglementation sur l’eau dans le but, notamment, d’assurer sa compatibilité avec le respect du fonctionnement et du bon état de l’écosystème aquatique.
Aussi, tout en confirmant l’intérêt de la législation sur l’eau et les cours d’eau, compte tenu de la montée des tensions autour de cette question de l’entretien des cours d’eau et de la distinction entre fossés et cours d’eau, un groupe de travail a été installé à l’initiative de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE).
Réunissant services du MEDDE, préfets et magistrats, il associera dans un second temps la profession agricole.
Des documents nationaux permettant une déclinaison adaptée localement, devraient être élaborés dans ce cadre. Notamment, un document encadrera les méthodologies permettant d’opérer la distinction entre fossé et cours d’eau et un document pédagogique précisera ce qu’est l’entretien de cours d’eau, l’intérêt d’une prise en charge collective et les précautions à prendre pour qu’il soit réalisé dans le respect de l’écosystème. »
– 2. La question écrite n° 10661 de M. Daniel Laurent (Charente-Maritime - UMP), publiée dans le JO Sénat du 27/02/2014 - page 511.
« M. Daniel Laurent attire l’attention de M. le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie sur les conditions d’entretien des cours d’eau et l’« empilage » réglementaire qui conduit à des démarches d’autorisation incompatibles, mêmes pour de simples opérations d’entretien.
Les agriculteurs dénoncent une réglementation lourde et coûteuse, dans laquelle plus personne ne se retrouve, dans le même temps, les habitants voient leurs biens emportés à cause, notamment, d’une mauvaise gestion des flux et il n’est pas rare de voir des riverains, des agriculteurs ou des élus condamnés pour non-respect de règles administratives disproportionnées.
Un simple curage de fossé devient l’objet d’une autorisation nécessitant des coûts et des délais qui rendent l’entretien courant très compliqué, souvent pour des considérations réglementaires environnementales absconses.
Afin d’assurer une gestion efficace des cours d’eau, ne conviendrait-il pas de faire une évaluation des règles environnementales et des démarches administratives sur l’entretien des cours d’eau et tendre vers une simplification qui apporte une sécurité juridique pour les acteurs concernés et rationalise les démarches. En conséquence, il lui demande quelles mesures le Gouvernement compte mettre en œuvre en la matière. »
La réponse du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, publiée dans le JO Sénat du 21/08/2014 - page 1953.
« La législation prescrit des moyens limités pour l’entretien de cours d’eau à réaliser par le propriétaire riverain de manière à ce que celui-ci puisse être compatible, sans procédure, avec le respect de l’écosystème que constitue le cours d’eau et avec l’obligation de contribuer à l’atteinte ou au maintien de son bon état écologique.
Le curage systématique avec engin mécanique, mal dimensionné, conduit très souvent à un recalibrage du lit du cours d’eau. Ce recalibrage, au-delà d’appauvrir et dégrader l’écosystème, aggrave les inondations à l’aval en accélérant l’écoulement des eaux en crue et, à l’inverse, aggrave, en élargissant le lit, le phénomène de comblement dans la section curée en ralentissant l’écoulement des eaux en débit faible.
C’est pourquoi ce type d’entretien aux effets négatifs potentiels doit être évité au maximum et ne peut être réalisé sans une autorisation au titre de la loi sur l’eau dès lors qu’il dépasse le strict nécessaire à l’écoulement normal des eaux ou à la lutte contre l’eutrophisation.
Les fossés ou les drains créés de la main de l’homme sont des réseaux d’écoulement qui s’entretiennent dans le but de maintenir leur fonctionnalité, ce pour quoi ils ont été créés. Il s’agit d’ouvrages artificiels dont l’entretien ne relève pas des dispositions du L. 215-14 du code de l’environnement ni des rubriques de la nomenclature « loi sur l’eau » relatives aux travaux sur cours d’eau. L’entretien des fossés et des drains est néanmoins encadré par le respect de leur dimensionnement établi dans le cadre, le cas échéant, de leur déclaration ou de leur autorisation au titre de la rubrique 3.3.2.0 relative aux réseaux de drainage. Toute la difficulté réside cependant dans la confusion souvent faite entre des cours d’eau très aménagés et rectifiés dans le passé, servant d’exutoire de drainage et des fossés artificiels. Aussi, tout en confirmant l’intérêt de la législation sur l’eau et les cours d’eau, compte tenu de la montée des tensions autour de cette question de l’entretien des cours d’eau et de la distinction entre fossés et cours d’eau, un groupe de travail à l’initiative de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a été installé. Réunissant services du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, préfets et magistrats, il associera dans un second temps la profession agricole. Des documents nationaux permettant une déclinaison adaptée localement, devraient être élaborés dans ce cadre. Notamment, un document encadrera les méthodologies permettant d’opérer la distinction entre fossé et cours d’eau et un document pédagogique précisera ce qu’est l’entretien de cours d’eau, l’intérêt d’une prise en charge collective et les précautions à prendre pour qu’il soit réalisé dans le respect de l’écosystème. »
– 3. La question écrite n° 10035 de M. Philippe Madrelle (Gironde - SOC), publiée dans le JO Sénat du 16/01/2014 - page 126.
« M. Philippe Madrelle appelle l’attention de M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt sur l’inadaptation de certaines dispositions de la loi sur l’eau.
Il souligne l’assignation en justice d’un maire d’une comme de la Gironde qui a fait procéder à des travaux de curage d’un cours d’eau.
Ce maire avait fait exécuter des travaux hydrauliques, facilitant ainsi l’évacuation des eaux de tout un village avant l’arrivée de la saison pluvieuse. Ce maire se retrouve assigné en justice car in n’a pas suivi la procédure légale qui prévoit des travaux d’étude estimés à un coût très onéreux.
Conforme aux textes du plan de prévention des risques d’inondations, cette action de nettoyage d’un cours d’eau a permis d’éviter des conséquences dramatiques tant pour l’agriculture, la vie locale et économique et les habitants de cinq communes. En conséquence, il lui demande s’il ne juge pas opportun de revoir certaines dispositions de la loi afin d’éviter des actions en justice.
La réponse du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, publiée dans le JO Sénat du 28/08/2014 - page 1989.
« L’entretien de cours d’eau, qu’il soit réalisé par le propriétaire riverain ou par les collectivités territoriales est encadré par la réglementation sur l’eau dans le but, notamment, d’assurer sa compatibilité avec le respect du bon fonctionnement et du bon état de l’écosystème aquatique.
Le curage systématique avec engin mécanique, mal dimensionné, conduit très souvent à un recalibrage du lit du cours d’eau. Ce recalibrage, au-delà d’appauvrir et dégrader l’écosystème, aggrave les inondations à l’aval en accélérant l’écoulement des eaux en crue et, à l’inverse, aggrave, en élargissant le lit, le phénomène de comblement dans la section curée en ralentissant l’écoulement des eaux en débit faible.
C’est pourquoi ce type d’entretien aux effets négatifs potentiels doit être évité au maximum et, lorsqu’il est mis en jeu, se limiter au strict minimum nécessaire pour assurer l’écoulement normal des eaux ou lutter contre l’eutrophisation sans toucher au profil du cours d’eau.
En outre, sauf dans le cadre de l’entretien réalisé par le propriétaire riverain lui-même, toute opération d’entretien entraînant un retrait d’un volume de sédiments supérieur à 2 000 m3 est soumise à une autorisation au titre de la loi sur l’eau.
Cette procédure vise à imposer une analyse préalable des besoins d’intervention et du devenir des sédiments sortis du lit, ainsi qu’à établir les modalités de réalisation de l’opération les plus respectueuses de l’écosystème.
Cette procédure peut sembler disproportionnée si l’on privilégie des interventions d’entretien de cours d’eau au coup par coup et dans l’urgence.
Cependant, depuis la loi sur l’eau de 1992, la législation vise à progressivement renforcer la prise en charge de cet entretien par des groupements de collectivités territoriales organisés à une échelle hydrographique cohérente.
Ce fut le cas encore tout récemment avec la loi de modernisation de l’action publique territoriale et de l’affirmation des métropoles du 27 janvier 2014 qui a créé et structuré la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI-FP).
Ce regroupement rend obligatoire, en application de l’article L. 215-15 du code de l’environnement, la définition d’un plan de gestion sur la base d’un diagnostic du fonctionnement sédimentaire du cours d’eau. Ce plan de gestion est alors soumis à déclaration ou autorisation au titre de la loi sur l’eau en fonction du volume de sédiments dont le retrait est envisagé. L’autorisation peut être valable dix ans.
Elle peut en outre intégrer l’analyse et les prescriptions nécessaires aux interventions post-crues dans les secteurs soumis à des phénomènes majeurs de déplacements de sédiments, permettant ainsi de ne plus avoir à s’interroger en urgence, au moment de la crise, sur les procédures à suivre et les solutions à adopter pour la remise en état. En outre, les études préalables représentent un coût relativement faible si l’on considère qu’elles permettent de mieux appréhender les problématiques d’érosion et de circulation des eaux, évitant des travaux qui peuvent s’avérer inutiles au regard de l’objectif recherché, voire dangereux pour les populations de l’aval.
Dans la majorité des cas, ces études permettent d’optimiser les travaux et d’obtenir au final un meilleur coût de réalisation. Cette obligation, réglementaire mais avant tout technique, constitue une véritable opportunité d’amélioration des interventions, de prise en compte de l’ensemble des enjeux et de mutualisation des moyens. Elle ne peut être considérée comme excessive.
Le rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) de mars 2014 sur les conséquences des intempéries ayant touché le sud-ouest et les Pyrénées les 18 et 19 juin 2013, confirme que la législation n’est pas en cause mais qu’elle souffre plutôt d’une mauvaise compréhension de son intérêt et d’une insuffisante mise en œuvre des plans de gestion.
Toutefois, tout en confirmant l’intérêt de la législation sur l’eau et les cours d’eau, compte tenu de la montée des tensions autour de cette question de l’entretien des cours d’eau et de la distinction entre fossés et cours d’eau, un groupe de travail a été installé à l’initiative de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Réunissant services du ministère de l’écologie, préfets et magistrats, il associera dans un second temps la profession agricole. Des documents nationaux permettant une déclinaison adaptée localement, devraient être élaborés dans ce cadre. Notamment, un document encadrera les méthodologies permettant d’opérer la distinction entre fossé et cours d’eau et un document pédagogique précisera ce qu’est l’entretien de cours d’eau, l’intérêt d’une prise en charge collective et les précautions à prendre pour qu’il soit réalisé dans le respect de l’écosystème. »