Auditionné le 10 novembre dernier par le comité de suivi mis en place par les commissions des affaires économiques et du développement durable de la Chambre haute, le P-DG de Veolia, qui succédait aux dirigeants de Suez et d’Engie, loin d’y répliquer ses propos furieux publiés dans le quotidien Le Monde une semaine plus tôt, a remporté haut la main cette étape d’un tournoi qui va encore très longtemps se poursuivre dans une multitude d’enceintes en choisissant d’axer l’essentiel de son propos sur le projet de fusion, dont il a longuement détaillé les motifs, la genèse et le contenu face à des élu(e)s qui peinent manifestement à en appréhender tous les enjeux.
Faut-il attribuer ce quasi sans faute au coaching intensif du duo Azema-Obadia ? Peut-être. Quoi qu’il en soit la prestation fut impressionnante, quand bien même nous ne partageons pas nombre des arguments qui l’étayaient.
A commencer par l’affirmation maintes fois répétée que la survie des deux « champions nationaux » est gravement menacée par un « péril jaune » évoqué en termes apocalyptiques, au point que si la fusion n’intervenait pas, « d’ici vingt ans Veolia et Suez n’existeront plus… »
Et d’entonner le refrain du patriotisme économique bien dans l’air du temps, à droite comme à gauche, thématique elle aussi martelée sans relâche, à destination d’élus auxquels Antoine « Imperator » Frérot assure, qu’une fois la fusion accomplie, le projet de création du champion de la transition écologique bénéficiera en premier chef à leurs territoires, et donc à la France, puisque conformément à l’ADN de nos champions, c’est dans leur base arrière hexagonale qu’ont toujours été développées les innovations que nos deux champions vendent ensuite dans le monde entier.
Et d’enfoncer le clou en assurant que la moitié de leurs métiers devront être réinventés d’ici à vingt ans, sauf à perdre leur rang sur la scène mondiale, avec force exemples à l’appui, comme le recyclage du plastique, le traitement des déchets électroniques, l’extraction des terres rares, le traitement de l’air, les nouvelles exigences en matière d’environnement et de santé…
Dès lors que Suez était à vendre, poursuit-il, il existait un risque majeur que l’entreprise soit achetée (horresco referens) par un grand acteur étranger ! Du coup, sur le ton de l’évidence, seul Veolia était à même d’élaborer une offre qui permettrait d’éviter ce désastre, ce qui fut fait dès l’annonce officielle de la mise en vente du premier bloc d’actions par Engie.
Et d’assurer à plusieurs reprises, un grand moment, qu’il n’avait eu « aucune conversation avec l’Elysée », n’ayant pas "rencontré son personnel", mais avait néanmoins tenu à informer de son projet les pouvoirs publics, en l’espèce Matignon et le ministère de l’Economie…
Ici un colossal éléphant se dandine dès lors dans la salle, que personne bien sur n’aperçoit…
Plus tard une inflexion intéressante se fera jour concernant Meridiam. Antoine Frérot précisera en effet à plusieurs reprises après avoir réexpliqué le transfert des activités de l’Eau France de Suez à Meridiam que c’était certes sa proposition, mais que ce serait à l’Autorité de la concurrence de décider, voire d’exiger la mise en œuvre d’un autre scénario.
Anticipant l’attention portée par les élu(e)s au volet social de la fusion et aux risques pour l’emploi, notre capitaine d’industrie détaillera d’abord les différentes catégories de postes et de compétences présentes au siège de Suez avant que d’indiquer quel serait leur sort, qui serait repris par Veolia, qui par Meridiam et qui trouverait in fine un poste au sein du nouveau groupe qui n’éprouverait aucune difficulté à les absorber, fort de ses 40 milliards d’euros annuel de chiffre d’affaires.
(Pour une entreprise qui a procédé à quatre vagues de licenciements massifs en 5 ans, fallait oser…)
Pour enfoncer le clou notre capitaine d’industrie sort ensuite de son chapeau sa proposition choc : il demande au parlement de créer une structure ad hoc qui contrôlera et au besoin sanctionnera, y compris financièrement, tout manquement à ses engagements en matière d’emploi. Reçu cinq sur cinq…
Sur un autre plan Antoine Frérot détaille aussi les synergies attendues de la fusion, soit 200 millions d’euros par un effet de taille pour les achats du nouveau groupe, et rien moins que 300 millions d’euros par l’ensemencement croisé des bonnes pratiques ou innovations développées jusqu’ici par chacun des deux groupes. Et de citer à titre d’exemple l’actuelle avance de Suez en matière de consommation énergétique des stations d’épuration, où les innovations de Veolia pour ce qui concerne la maintenance des incinérateurs.
Et c’est ainsi que « 40 ans après avoir inventé l’Ecole française de l’eau, nous allons maintenant créer l’Ecole de la transformation écologique, autour du nexus eau, déchets, énergie »…
C’est donc en approfondissant de la sorte le contenu du projet qu’Antoine Frérot a pu se soustraire sans difficulté aucune aux questions embarrassantes afférent au volet purement politique de notre ténébreuse affaire, questions qui ne lui ont pas vraiment été posées par ailleurs.
Jeu, set et match.
A suivre.
NOTE : le replay des trois auditions au Sénat ne devrait pas tarder à être mis en ligne. Six heures au total dont le sous texte, qui échappe parfois à ses acteurs, en dit long…