Depuis peu à la retraite, Joël Gruau a effectué toute sa carrière de technicien de l’assainissement au sein du service départemental de l’assainissement du Val-de-Marne, l’un des trois départements français qui exerce une compétence d’assainissement au niveau départemental. Son expérience éclaire les mille et une facettes d’un métier méconnu.
"Le paradoxe avec l’assainissement c’est que l’on pourrait dire, dans une perspective historique, que l’on est toujours en retard sur l’urbanisme, en situation de défense. On subit l’eau. Et quand on l’a il faut l’évacuer. Les Romains construisaient des égouts dans lesquels on pouvait circuler. Plus près de nous, dans nos réseaux, nos anciens y voyaient 20 centimètres d’eau, moi quand j’ai débuté on en était à 50 centimètres. Aujourd’hui c’est 90 centimètres, on ne peut plus y circuler. Or construire c’est très cher. On a un patrimoine, il faut le pérenniser et le rentabiliser. Ses plus anciennes sections datent de Belgrand, ce sont les "Napoléon III", comme « Pierre et Marie Curie » à Ivry qui date de 1860. C’est superbement construit, en moellons équarris, avec une cuvette en tommettes vernissées. Ce qui confère à la fois une très grande résistance à l’abrasion et un écoulement facile. Et puis il y a quelque chose que l’on "sent", et c’est très important : ça "respire". Maintenant avec le béton et la condensation, on a un sentiment d’oppression.
Donc nous sommes toujours dans la course à l’écoulement. Depuis 30 ans on a construit pour Thiais, Orly, Rungis, et de plus en plus pour les eaux de pluie. Puis pour les inondations de la vallée de la Bièvre. Désormais le grand chantier c’est Valenton 2, qui va avoir une influence sur tout le département. En fait on doit accompagner le vieux rêve français d’être propriétaire de son petit pavillon. Mais toutes ces constructions nouvelles, comme aussi toutes les villes-champignons de la moyenne couronne augmentent le temps de transport des effluents. Mais qu’y faire ? Tout le monde aspire de plus en plus à s’aérer, à avoir un chez soi, là où le lotissement est encore possible, et pas trop cher...
Donc le schéma est simple : eaux usées-tuyau-raccordement-tuyau-station d’épuration. Ancienne, comme à Achères, puis la nouvelle Achères, puis Valenton... Le problème c’est que le tuyau vient toujours après le béton. Et spontanément les architectes occultent les techniques d’évacuation, c’est secondaire. J’ai eu un exemple où le 2ème niveau de sous-sol était au niveau de l’égoût, en unitaire. Quand ils ont eu des remontées, ils se demandaient pourquoi...
Dans ce contexte la grande différence entre le public et le privé, c’est que nous nous faisons à 80% du préventif. Le privé fera l’inverse, lui il fera du curatif à 80%...
Dans le même ordre d’idées il arrive que nous soyons appelés par une commune qui a un problème d’écoulement ou de surcharge par exemple. On arrive, on regarde, et on voit que l’entreprise privée qui est concessionnaire voulait encore mettre des nouveaux tuyaux. On nettoie, et ça marche...
Comment le département a-t-il repris la compétence assainissement ? C’est un processus complexe qui se développe à partir des années 60 quand les 3 nouveaux départements de la Petite-Couronne ont reconstruit les anciens services des égouts de la Préfecture de la Seine, les "Grands travaux d’assainissement" (GTA), qui s’occupaient du territoire s’étendant sur ce qui allait devenir les Hauts-de-Seine, la Seine Saint-Denis et le Val-de-Marne.
Et assez vite, comparaison entre la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne, le Val-de-Marne s’est orienté vers les eaux usées, avec Valenton, alors que la Seine Saint-Denis s’est plus tôt souciée des eaux pluviales.
Côté personnel au début des années 70 il restait encore quelques égoutiers de l’ex-Service de la Préfecture de la Seine qui ont eu le choix de regagner leur service d’origine, ou d’intégrer le Val-de-Marne. Beaucoup craignaient d’y perdre sur le plan statutaire et ont préféré Paris. Sur une trentaine de surveillants de travaux et d’égoutiers il n’y en que que six qui soient restés. Du coup il y a eu une première grosse vague de recrutements à partir de 1973. Comme c’étaient beaucoup de fils, neveux ou cousins d’égoutiers, pour certaines familles c’est la 3ème génération.
Moi j’ai été embauché au début de 1974. Je faisais partie de la nouvelle vague qui allait devenir surveillants de travaux, mais avec davantage de technicité. Du coup entre la mi-73 et la fin 75, on a vu arriver une cinquantaine de personnes. Et c’est là que sont apparus tous les nouveaux services. Le service central, celui des égoutiers, puis la section Stations, le service Electro-mécanique. Avec le développement est venu ensuite le service de l’Hydraulique et de l’Urbanisme, puis les Travaux neufs. Là on a eu 1, puis 3, puis 2 services...
Côté patrimoine c’est un peu compliqué en apparence. A la base tous les ouvrages de l’ex-Préfecture de la Seine ont été transmis au Département. Pour l’ex-Seine et Oise c’était un peu différent puisqu’un certain nombre d’ouvrages avaient déjà un caractère intercommunal, donc les négociations ont été un peu plus compliquées, mais on a fini par les récupérer. Il y avait aussi d’autres ouvrages qui appartenaient eux, à différents syndicats d’assainissement, qui ont du être dissous avant qu’on les récupère. Mais finalement çà s’est fait sans trop de mal.
Ensuite il a fallu prendre en compte l’urbanisation galopante et la création de ZAC, et donc construire de nouveaux égouts pour le compte du nouveau Département. Et là il était clair que certaines communes n’avaient pas les moyens humains, techniques et financiers d’y faire face. Donc à la fin des années 70 on a un patrimoine qui est récupéré et, devant, la perspective de nouveaux travaux.
Je me souviens que l’une des premières enquêtes que j’ai eu à faire c’était d’identifier et de cartographier le patrimoine qui nous appartenait : "Ca c’est à nous...". Bon, au début il y a eu un peu de patinage pour la gestion des ouvrages, mais les anciens ont appris aux plus jeunes.
Ensuite c’est le service stations qui s’est étoffé, à mesure que la DDE se débarrassait des stations de pompage.
Sur la question des eaux pluviales, qui n’était donc pas une priorité initiale, il faut voir la complexité administrative du problème. C’est la commune qui doit construire les fossés et faire l’évacuation. Mais la voirie pose un problème de compétence entre la DDE et le Département, il faut savoir à quel type de voirie on a à faire, surtout quand elles se "raccordent", à la jonction du communal et du départemental.
Au fil du temps ce patrimoine et ces réseaux neufs, çà a donc fini par constituer un réseau maillé assez complexe. Dans le passé c’était simple, quand les égoutiers curaient eux-mêmes les égouts. Dans les ovoïdes, qui étaient une fantastique invention, avec la "vanne-roulette", qu’on appelait la "mitrailleuse" à Paris, ça marchait tout seul ou presque, puisque ça fonctionne avec la force de l’eau, grâce à des tampons en cuir.
Mais quand on s’est mis à construire des réseaux circulaires de plus en plus profonds, la vanne-roulette çà ne marchait plus. Bon, si on prend du recul on a des réseaux complémentaires. Un nouveau réseau avec des ouvrages plus profonds, et le réseau de surface maillé où on peut faire passer l’eau d’un côté ou de l’autre. Et dans lequel on peut toujours faire assurer les visites par les hommes, et non pas par un robot flottant. Ce qui reste très important.
Comme l’essentiel des eaux va de plus en plus à Valenton, on a mis en place des procédures plus strictes, en liaison avec les autres département et le SIAAP, et on réutilise du coup davantage aussi l’ancien réseau de surface. Au total les ouvrages sont bien complémentaires et le réseau bien structuré.
Reste que les gens n’ont pas vraiment conscience que l’on doit traiter de plus en plus d’eau. Pourquoi ? Et bien on se dit, à tort, que l’urbanisation ne progresse plus. On a l’impression que tel nouveau lotissement, ici ou là, ne change rien. Il y a du neuf, mais "rien de nouveau". Et bien en matière d’assainissement c’est faux. Surtout parceque dans la situation complexe de l’Ile-de-France, avec la prééminence "historique" des stations d’épuration d’Achères puis de Valenton, on récupère aussi, et on fait transiter dans notre réseau, des eaux de l’Essonne et de la Seine-et-Marne, qui sont en pleine explosion démographique. Pour l’Essonne, par exemple, ça arrive directement à Valenton.
Résultat il peut arriver qu’il faille "couper" le réseau du Val-de-Marne, qui peut être fermé, alors que les tuyaux qui viennent de l’Essonne, eux on ne peut pas les fermer... Dans ce contexte, avec les nouvelles capacités de Valenton, ça veut dire que le Département va encore devoir "prendre des épaules" pour rester en capacité de faire face. Et c’est là que le Schéma Directeur prend tout son sens puisqu’il permet à tous les acteurs concernés, et ils sont nombreux, de bien prendre la mesure des enjeux pour l’avenir.
Dans ce service public, on a une dimension humaine, fondamentale, à tous les niveaux. On se retrouve à devoir gérer, arbitrer, entre des objectifs de qualité, sanitaire, de sécurité, et entre les usagers et les riverains. Ca donne une dimension un peu différente de celle des autres métiers. De plus il y a quinze ans on est passés de l’ère préhistorique à l’âge de l’informatique. Et nous avons beaucoup plus de contraintes de sécurité et d’hygiène que dans les métiers de l’eau (la potabilité). Ici, au PC Sécurité, on coordonne par exemple les interventions dans les égouts, avec des critères de bon fonctionnement et de qualité. Ca veut dire qu’il faut gérer le matériel, se former à la sécurité, avec des contraintes et des procédures très strictes. Là le service public est irremplaçable à cette échelle territoriale d’intervention, compte tenu de la multiplicité des acteurs concernés. C’est grâce à notre "maillage humain", à notre présence permanente, à notre connaissance intime du territoire que ça marche. Cà le privé ne sait pas faire."
Bonjour
Je viens de lire votre article et je me pose la question êtes vous le Joêl Gruau qui à habité à Villeneuve le Roi dans les années 1960/1970
Merci de me repondre
Philippe QUERARD
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