Tous les Français vont être invités, du 15 avril au 15 octobre 2008, en application de la Directive cadre européenne sur l’eau, à donner leur avis sur les grandes orientations censées permettre une gestion équilibrée de la ressource. Ils devront donc concrètement se prononcer sur les projets de Schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) qui vont leur être soumis. L’exercice va malheureusement tenir du tour de prestigiditation, tant le dispositif mis en place simplifie à l’extrême des questions complexes, et détermine une "approbation" du SDAGE que la construction des questionnaires élaborés à l’attention du grand public rend quasi automatique. Une étude attentive des documents disponibles atteste de surcroît que les projets de SDAGE élaborés par les Agences de l’eau et les Comités de bassin omettent trop souvent des questions essentielles.
Instruments de planification, les Sdage définissent, à l’échelle de chaque bassin ou groupement de bassins hydrographiques (Loire-Bretagne, Seine-Normandie, Artois-Picardie, Rhin-Meuse, Adour-Garonne, Rhône-Méditerranée), les grandes orientations pour une gestion équilibrée de la ressource en eau, ainsi que les objectifs de qualité et de quantité des eaux à atteindre au plus tard en 2015, conformément à la directive cadre sur l’eau (DCE).
La prise en compte de cette directive implique précisément une révision du Sdage avant fin 2009, puis tous les six ans par la suite.
Les comités de bassin et les préfets coordonnateurs de bassin avaient approuvés à la fin 2007 les projets de Sdage élaborés par les Agences de l’eau, puis validés par les Comités de bassin, et les projets de programmes de mesures 2010-2015 qui prévoient des actions concrètes, assorties d’un échéancier et d’une évaluation financière, pour atteindre les objectifs définis dans le Sdage.
Une circulaire du Medad en date du 11 janvier 2008 avait ensuite précisé l’organisation de la consultation publique qui doit se dérouler du 15 avril au 15 octobre 2008.
Elle comprenait un calendrier de la consultation, un modèle d’arrêté préfectoral ainsi qu’une note méthodologique sur le questionnaire figurant en annexe de la circulaire. Enfin, un vademecum de l’organisation de la consultation rappellait les missions respectives des services de l’Etat concernés et du comité de bassin.
En application de la directive européenne 2000/60/CE du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (DCE), et du Code de l’environnement (art. R.212-7 et R.212-19), sont donc soumis à la consultation du public le projet de Sdage et ses documents d’accompagnement, le rapport environnemental exigé pour l’évaluation environnementale du projet de Sdage, ainsi que le projet de programme de mesures.
En fait la révision du Sdage ne se limite pas à la mise en œuvre de la DCE, mais concerne l’ensemble des thèmes liés à la gestion de l’eau et notamment la gestion des inondations.
A l’issue de la consultation publique organisée du 15 avril au 15 octobre 2008, les conseils régionaux, conseils généraux, chambres consulaires, conseils économiques et sociaux régionaux et, lorsqu’ils existent, les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) seront également consultés, comme ils l’avaient déjà été en 2005 lors de la première consultation publique sur l’état des lieux, qui avait précédé l’élaboration des avant-projets de Sdage.
L’ensemble de ces documents sera ensuite, le cas échéant, modifié pour tenir compte des avis exprimés par le public et les assemblées locales.
Les documents définitifs devront être arrêtés par les préfets coordonnateurs de bassin au plus tard le 21 décembre 2009.
A cette date les nouveaux « plans de gestion », vocable qui devrait se substituer à celui de Sdage, seront donc définitivement adoptés.
Les agences de l’eau sont la principale instance organisatrice de cette consultation, et doivent mettre les documents à disposition du public, puis collecter et traiter les avis, en lien avec les préfectures qui y sont également associées.
En outre, "un questionnaire a été élaboré par bassin et adapté aux particularités locales, et sera adressé par courrier à chaque foyer."
Disponibles en préfecture et mis en ligne dès le 15 avril, ils seront donc par ailleurs postés aux habitants des territoires métropolitains du 19 mai au 6 juin.
Sur ce point on se demande bien pourquoi, alors que les fameux "questionnaires" seront mis en ligne dès le 15 avril, il faudra ensuite attendre près de deux mois avant qu’ils ne soient diffusées par voie postale dans chaque boite aux lettres ?
Ce n’est pas la fin de l’année scolaire et l’approche des vacances qui vont être de nature à mobiliser les foules, et comme l’affaire sera bouclée le 15 octobre ce n’est pas davantage la rentrée qui va permettre une véritable mobilisation autour de la consultation.
Bon, compte tenu de l’indigence catastrophique des fameux "questionnaires", pas sur que cela change grand chose...
Quant à la Corse et aux DOM ils connaîtront une "consultation décalée dans le temps", histoire sans doute de prendre celui de s’acclimater aux contingences locales...
La première "consultation" calamiteuse de 2005
Tout laisse désormais à croire qu’aucune leçon n’a été tirée du précédent catastrophique de 2005... Car une première "grande consultation publique nationale" avait déjà été organisée il y a trois ans. Il s’agissait alors d’inviter les Français à se prononcer sur "l’Etat des lieux" établi en 2004, qui a servi de fondement à l’élaboration des avant-projets de Sdage.
Et l’affaire avait, déjà, très vite tourné à la farce grotesque.
Comme les Français, on s’en souvient, allaient être invités à s’exprimer par voie de referendum sur le projet de Constitution européenne, qu’ils rejetteront massivement, la procédure de consultation nationale sur l’eau sombrait, à peine lancée, corps et âmes.
En effet, en vertu du referendum qui allait avoir lieu, on décrétait que les fonctionnaires qui allaient devoir s’occuper, pour le Medd et les préfectures, de la consultation sur l’eau, allaient devoir observer un "devoir de réserve" dans le mois précédant le désormais fameux referendum. Résultat, à peine ouverte, la consultation s’interrompait de fait !
Et n’était relancée en juin que sous la forme d’un "clip" hallucinant de 30 secondes, diffusé par TF1 en juin 2005, mettant en scène le Directeur de l’eau en personne, M. Pascal Berteaud, affublé d’une chemise de trappeur, au bord de l’eau, nous racontant que l’eau c’est beau et que tout va bien dans le monde enchanté de Casimir et des Ponts et Chaussées...
On mesurera aisément l’ampleur des dégâts en prenant connaissance des lamentos entonnés par les myriades d’associations qui avaient été mobilisées pour porter la bonne parole du Medd auprès des petits et des grands nenfants, moyennant quelques picaillons, et qui témoigneront de leurs états d’âme, dans l’épouvantable charabia désormais de rigueur, lors du "Colloque national de restitution de la consultation du public sur l’eau en France" qu’organisera le Medd le mardi 13 juin 2006. Il est recommandé au préalable de faire provision de Prozac avant de s’infliger la lecture du pensum.
Une démocratie « participative » en trompe l’œil : l’exemple de Seine-Normandie
Il semble hélas avéré que ce précédent calamiteux n’aura servi à rien et que la nouvelle "grande consultation" de 2008 ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices...
D’ores et déjà certains bassins ont cette fois-ci pris de l’avance en mettant en ligne leurs propositions sur des "sites dédiés".
C’est le cas du bassin Seine-Normandie, dont le comité de bassin a élaboré depuis 2006 un plan de gestion des eaux en concertation avec les collectivités, les industriels, les agriculteurs et les associations.
Le projet de Sdage adopté en octobre 2007 se structure donc autour de "dix propositions-clés", déjà mises en ligne.
Quant aux sept "questions" qui en seront tirées, et à partir desquelles le public sera invité à s’exprimer, elles seront mises en ligne le 15 avril prochain.
Les "propositions-clés" recouvrent entre autres les objectifs de sécurisation des sources d’alimentation en eau potable (diagnostic, classement des captages), de diminution des pollutions d’origine domestique ou agricole (application de la directive nitrates), de maîtrise des rejets par temps de pluie (renforcement de la prise en compte par les collectivités, via des "zonages d’assainissement pluvial", recyclage des eaux pluviales), de prévention des cas de pollution aux substances dangereuses, de restauration des milieux et de la continuité écologiques, de maintien des espaces humides (classement, mesures compensatoires), de protection de al’estuaire de la Seine et du littoral, et de prévention des risques d’inondations.
Décidément sous les feux de la rampe puisqu’une mystérieuse « Armée secrète le libération de Seine-Normandie » publie depuis quelques mois un bulletin au vitriol dans lequel elle dénonce les errements de sa tutelle, le plus grand bassin français constitue un véritable cas d’école d’un exercice factice qui apparaît au grand jour si l’on s’attache à examiner plusieurs documents gracieusement rendus publics par l’Agence.
D’abord l’avant-projet de SDAGE qui va donc être soumis à consultation et commentaires. A la lecture de sa troisième version présentée en Comité de bassin le 30 novembre 2006, on se convaincrait aisément que tout va, presque, bien dans le meilleur des mondes de l’eau...
Or ce n’était pas du tout l’avis du Conseil scientifique de la même Agence de l’eau Seine Normandie, qui, dans un avis rendu le 22 juillet 2007, passait littéralement au kârcher ™ ce même avant-projet de SDAGE ! La lecture de cet avis en dit long sur l’abîme qui sépare la rassurante communication de l’institution et les problèmes qui nous attendent en matière de gestion de l’eau...
Et là où l’affaire devient proprement navrante, c’est quand on prend connaissance des dix « propositions-clés » que l’Agence, histoire de faire sa maligne, à déjà mis en ligne, avant même le 15 avril, et dont seront extraites les 7 questions auxquelles nous seront invités à répondre après cette date...
Si l’on a à l’esprit les observations formulées par le Conseil scientifique, on reste songeur.
L’exercice est difficile et ce n’est pas le « métier » des Agences de consulter le grand public. Est-ce une raison pour nous mener ainsi en bateau, et accoucher après des travaux considérables d’un « questionnaire » indigent qui ne fera pas avancer la gestion durable de l’eau d’un iota ?
On ne comprend pas davantage que les 6 Agences et le Meeddat n’aient pas été fichues de mettre en place une adresse internet commune dédiée à cette "grande consultation nationale", et se soient dotées de 6 adresses plus loufoques les unes que les autres !
A moins que ce ne soit fait exprès ?
Au village Potemkine de l’environnement tout est bel et bien "devenu possible".
Et ce n’est pas l’intervention de Bernard Rousseau, ancien président de FNE, et toujours responsable de son pôle Eau devant l’Association des Journalistes de l’Environnement (AJE), réunis le mardi 2 avril dans les locaux du Conservatoire du Littoral à Paris, qui sera de nature à nous rassurer. Ses propos, repris dans l’édition du 7 avril 2008 d’Actu Environnement, quand bien même il incite les medias à se mobiliser en faveur de notre grande consultation nationale, ne dissimulent guère un pessimisme trempé à quarante d’expérience dans les méandres de la gestion de l’eau à la française...
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Gérard Borvon, SeauS, 18 avril 2008.