Après la publication de nos récents articles « enflammés », selon ses dires, sur la question du « droit à l’eau », notre ami Henri Smets, héraut de ce combat en France, nous a demandé de faire place à un point de vue sensiblement différent, ce à quoi nous déférons volontiers, puisque ce qui nous rapproche est plus fort que ce qui nous sépare.
Henri Smets n’a en effet pas changé d’avis depuis dix ans qu’il mène le combat du droit à l’eau. Le soutien reçu des multinationales sur ce sujet ne le gène pas : « Je défendrai avec ardeur la thèse de l’eau pour les pauvres, y compris les 40 litres gratuits de Mme Miterrand. Je ne refuse pas non plus le soutien du Pape ou du Secrétaire général des Nations-unies, ou des présidents Chirac ou Sarkozy…
Ce qui me gène le plus actuellement est qu’il n’existe pas de propositions de financement suffisamment articulées qui recueillent un appui minimum en France. Taxer les superprofits, oui mais de qui ? Et comment ? Si l’objectif est de taxer les distributeurs privés en situation de quasi monopole, que vont ils faire ? Répercuter sur les usagers, car il n’y a pas de prix de marché. Comment taxer les privés et oublier les régies ? Alourdir le budget public quand les caisses sont vides a peu de chance de succès. »
Sur ce point cher Henri, nous soutenons qu’aucun obstacle technique n’interdit en vérité de taxer les profits des multinationales. Que la volonté politique soit absente, là nous vous rejoignons, hélas… Mais sur ce point nous avons il est vrai un très ancien différend, et des points de vue hélas irréconciliables.
Ce qui ne nous empêche aucunement de faire droit à vos arguments.
Le point de vue d’Henri Smets
“Tous ceux qui pratiquent l’amour du prochain, qui croient aux valeurs de la fraternité et de la solidarité, sont prêts à fournir un peu d’eau ou son équivalent à ceux qui en manquent ou ne peuvent la payer.
Le don de l’eau est une valeur sacrée pour la grande majorité des citoyens de ce pays qui ne considèrent pas que l’eau est une marchandise comme les autres. Les enquêtes d’opinion montrent que la population française est d’accord pour aider les plus démunis à avoir accès à l’eau.
Le problème en cause n’est pas de taxer les superprofits de certaines entreprises du secteur de l’eau, mais d’éviter que quiconque ait la honte de ne pas avoir d’eau ou de toilettes.
Appliquer au secteur de l’eau le principe fondateur que “l’eau paye l’eau” est la façon française de résoudre le problème du droit à l’eau pour les plus démunis.
Dans plus de 50 États, il y a déjà des systèmes d’aides pour l’eau, et ce qui existe en France devrait être amélioré car il fait parfois pâle figure.
La future contribution de solidarité sur les consommations d’eau reprendra le principe de l’ancienne taxe instituée pour favoriser l’équipement en distribution d’eau dans le milieu rural (FNDAE), et fera clairement apparaître la contribution de chacun au droit à l’eau. Elle dégagera de 5 à 10 fois plus de moyens financiers que ce qui existe.
Dans le secteur de l’énergie, la CSPE (Contribution au service public de l’énergie), que nous payons depuis quelques années sur chaque facture, a été acceptée sans problème. Créée par la gauche en 2000, elle a été mise en place par la droite en 2004.
Le futur débat au Parlement sur le financement de l’aide pour l’eau permettra d’explorer d’autres pistes susceptibles de recueillir le soutien des élus, s’il en existe. Il est vrai que cette nouvelle taxe sur l’eau n’a pas un caractère progressif et que l’on pourrait lui préférer un surcroît d’imposition sur le revenu ou la fortune.
En attendant de trouver la solution miracle, à la fois simple à gérer et acceptable pour tous, il nous faudra sans doute adopter la contribution de solidarité pour l’eau, un moindre mal pour faire un grand bien.
Ce choix répond aux vœux des usagers de faire preuve de solidarité pour mieux répartir entre tous la charge que constitue la facture d’eau des plus démunis. L’objectif à atteindre est de l’eau pour tous et partout en laissant aux systèmes fiscaux la tâche de redistribuer les revenus et de lutter contre les inégalités. Verser 3 millièmes de centime d’euro par litre d’eau consommée ne mérite pas des diatribes. Il est temps d’agir et non de reculer.”
Henri Smets, Académie de l’Eau.