Dans le cadre d’une enquête régionale exceptionnelle, la CRC d’Ile-de-France a analysé la gestion des trois grands services d’eau franciliens de 2010 à 2014, afin d’étayer un essai d’analyse prospective d’un futur “Grand Paris de l’eau”. A l’occasion, la CRC a surtout réalisé un travail sans précédent de recensement et d’analyse de l’ensemble des abus, travers et dérives qui caractérisent la gestion en délégation de service public par une entreprise privée. A lire impérativement.
Les trois rapports d’observation définitifs rendus publics successivement de mars à juillet 2017, concernent le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (SEDIF) et ses quatre millions d’usagers, en DSP avec Veolia depuis 1923, le Syndicat des eaux de la Presqu’ile de Genevilliers (SEPG) et ses six cent mille usagers, lui aussi en DSP avec Suez depuis 1923, et enfin Eau de Paris et ses deux millions d’usagers de Paris intra muros en régie..
La prospective relative à un futur “Grand Paris de l’eau”, qui irrigue ces trois rapports n’est pas l’essentiel à ce stade, nous y reviendrons quand Emmanuel Macron aura annoncé dans quelques semaines sa réforme de la Métropole du Grand Paris.
L’essentiel ici c’est la rédiographie impitoyable, sans précédent, que dresse (aux cas d’espèce du SEDIF et du SEPG), la CRC des irrégularities, abus, manquements, innombrables dérives de la gestion de l’eau en DSP par une entreprise privée.
Jamais en effet ces abus n’avaient été passés en revue avec pareil luxe de détails, objectivés, analysés, chiffrés…
Au point d’apparaître comme des caractéristiques génériques, structurelles, de TOUTES les DSP, au-delà du seul examen réalisé en Ile-de-France.
Mais il y a mieux.
Dans sa démarche, la CRC élabore aussi une véritable doctrine, décrit par le menu ce que pourrait et devrait contenir un contrat de DSP, afin de préserver les intérêts de la collectivité et des usagers du service public.
Et liste dès lors impitoyablement tout ce qu’un contrat de DSP ne doit surtout pas contenir, et explique très longuement pourquoi.
L’exemple des provisions pour renouvellement
“Si pour la collectivité, le périmètre du service d’eau est clairement délimité avec des installations physiquement identifiables et des usagers connus, en revanche, du point de vue du délégataire de la taille des grands industriels de l’eau, l’individualisation du service à l’échelle d’une collectivité est moins aisée, car l’organisation de la société délégataire ne recouvre pas le périmètre d’équipement d’une seule collectivité.
En conséquence, les outils de gestion de la société sont en général peu adaptés à une restitution financière précise sur le périmètre isolé d’un groupement de communes. De plus, le poids des immobilisations est prépondérant dans la gestion d’un service d’eau.
Les dépenses liées au patrimoine sont donc importantes mais peuvent être irrégulièrement réparties dans le temps. Le plus souvent, le compte-rendu financier des délégataires a donc pour principe de présenter aux collectivités une situation moyenne sur la durée de leur contrat, indépendante de la répartition dans le temps des dépenses de renouvellement. Le compte
rendu financier présente alors sur ce point une vision économique et non plus une vision comptable.
Le calcul de lissage des dépenses est réalisé sur l’ensemble de la durée du contrat. Il intègre des dépenses effectivement réalisées dans le passé mais aussi des dépenses prévues dans le futur, et dont les usagers n’ont aucune assurance qu’elles seront effectivement réalisées.
Les montants correspondent donc dans les faits à des dépenses théoriques et non à des dépenses engagées, ni même comptablement provisionnées.
La transparence et le contrôle sur l’affectation des moyens, grâce à ce compte rendu financier s’avèrent donc limités, puisque ce dernier ne témoigne pas des moyens réellement mis en oeuvre pour le renouvellement des installations et que cette pratique nécessite un suivi extra-comptable. »
Source : CRC IDF 2017.
L’exemple des "charges réparties"
« Il est d’usage dans certains grands groupes de voir facturés par la société mère à ses filiales des frais de structures du groupe. Il s’agit d’une pratique qui intéresse la gestion privée intra-groupe.
Concernant la gestion d’un service public, un poste de dépenses qui ne correspond à la facturation d’aucun service ou d’aucune prestation n’a pas lieu de figurer dans les charges de ce service.
Le dimensionnement de la structure du groupe et son coût sont des choix qui ne dépendent que de la société mère du délégataire. À ce titre, ce n’est pas une charge qui doit être portée en tant que telle par le service de l’eau ; c’est au groupe auquel appartient le délégataire de financer sur le résultat du service l’organisation qu’il croit nécessaire de mettre en oeuvre.
En conséquence, le montant des frais de siège ne devrait correspondre qu’à des prestations réellement fournies, et pour des raisons de transparence de l’information donnée à l’usager, le solde devrait figurer dans la part forfaitaire de rémunération du délégataire, étant entendu qu’une partie de cette rémunération sert à financer la structure du groupe auquel il appartient.
Toute société doit être en capacité de justifier la réalité de ses charges et la correcte évaluation du montant facturé.
Des principes fondamentaux doivent notamment être respectés pour des facturations de cette nature :
• la société bénéficiaire des prestations ne doit pas disposer de ressources internes pour effectuer ces prestations – les prestations facturées par le groupe doivent donc être distinctes de celles susceptibles d’être traitées par le délégataire avec ses propres services ;
• les prestations doivent être exposées dans l’intérêt direct du délégataire, lequel ne se confond pas avec l’intérêt du groupe ;
• les prestations doivent correspondre à un service effectivement rendu, il faut donc disposer des preuves matérielles de la réalité des prestations ;
• ces prestations doivent être rémunérées de manière non excessive par rapport aux services rendus. »
Sources : CRC IDF juin 2017.
L’exigence du contrôle
Ces deux seuls exemples font apparaître la carence abyssale de contrôle que devrait exercer une collectivité sur un contrat de délégation de service public, puisque l’on retrouve des prélèvements opérés par l’entreprise privée au titre du renouvellement et des frais de siège ou structure dans TOUS les contrats de DSP !
Ce qui illustre aussi, de manière criante, l’activité délétère des innombrables bureaux d’étude intervenant auprès des collectivités locales, véritables chevaux de Troie des multinationales du secteur, qui se gardent bien de condamner ces pratiques.
Pire, désormais, les entreprises proposent aux collectivités de mandater pour "contrôler" le contrat, moyennant finances, via des marchés publics, les mêmes bureaux d’étude qui auront martelé avant le choix du mode de gestion (avec force mensonges grossiers), que la DSP c’est (toujours) mieux (et moins cher !) que la régie !
On touche ici à une véritable corruption structurelle du marché des audits et de la mise en oeuvre de la loi Sapin...
Le tableau dressé par la CRC IDF est impitoyable.
Après lecture impossible de dire “On ne savait pas, c’est trop compliqué…”
Quiconque prétend s’intéresser de quelque manière à ces questions doit impérativement lire ces rapports. Ils donnent en effet toutes les clés pour défendre utilement l’intérêt général, loin de la démagogie outrancière qui prévaut trop souvent en la matière.
Tant chez quelques soi-disant tenants de la gestion publique dont la compétence s’arrête à quelques slogans débiles répétés ad nauseam à des fins de captation de rente "militante" à visées électorales, que chez les requins du privés et leurs innombrables séides.
Lisez !
C’est d’autant plus impératif que d’autres dangers menacent désormais, qui n’entraient pas, vu leur apparition récente, dans le périmètre de la CRC : les SemOp, et la nouvelle directive concessions, qui organisent une nouvelle et colossale asymétrie d’information dont les majors du secteur espèrent qu’elle va leur permettre de continuer à abuser les collectivités locales, ce en quoi elles ne se trompent malheureusement pas...
Nous y reviendrons.
Etonnante la réponse de Santini à la CRC : Autosatisfaction à tous les étages !!!!
La seule recommandation formulée par la CRC dans ses observations définitives :
« préciser dans le contrat de délégation qu’au surplus du plafonnement de la rémunération du délégataire déjà en vigueur, celle-ci ne peut pas excéder le montant du résultat d’exploitation total du service. » a déjà été prise en compte. dit-il
Les principaux points notés dans la synthèse sont démontés par Santini : le CICE perçu par le délégataire, la rémunération du délégataire en augmentation bien supérieure aux prévisions, les frais de siège sans justificatif, les prestations confiées à des filiales "cash-pooling" tout cela est balayé superbement dans sa réponse
à la CRC.