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NE PAS CLIQUER
LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE
VAGUES
Comment calculer le « prix » de l’eau ? (2)
par Marc Laimé, 28 novembre 2006

Avant de débattre du "juste" prix de l’eau, encore faut-il prendre en compte les différents usages de l’eau, les coûts qu’ils génèrent, et les très complexes systêmes de péréquation mis en place pour y pourvoir. Où l’on s’aperçoit très vite qu’on ne paie pas pour ce que l’on croit, mais que l’on paie de surcroît sans le savoir pour de multiples usages de l’eau au-delà de notre consommation domestique !

La stricte notion de "prix de l’eau" n’a pas grand sens dans l’absolu. Les eaux et leurs usages sont nombreux. Les coûts à prendre en compte le sont tout autant. Comparer le prix sans considérer les coûts, notamment les coûts directs (supportés directement par l’usager) n’a pas grand sens. De plus les prix peuvent aussi être modulés par des systêmes de péréquation variés, dans un objectif de redistribution ou d’incitation, comme les "primes au bon fonctionnement" distribuées par les Agences de l’eau. Aujourd’hui plus de 99% de la population française est raccordée à un réseau de distribution. Une grande partie de cette eau est restituée après usage, et doit faire l’objet de traitements d’épuration avant d’être rejetée dans la nature, ce qui représente un coût de plus en plus important, jusqu’à la moitié de la facture d’eau. A l’exception de l’eau utilisée collectivement et payée par le contribuable tous ces coûts se retrouvent sur la facture de l’habitant, augmentés de prélèvements divers : TVA et redevances non utilisées immédiatement par le service d’eau de celui qui les paye.

En 2003 les volumes facturés atteignaient 4,7 milliards de m3, dont plus de 600 millions de m3 pour les gros consommateurs (industrie, commerce). A elle seule l’agriculture consomme en fait près de 70% de l’eau facturée chaque année. Au total la consommation se répartit en 4 grands postes : 24% pour l’eau potable, 68% pour l’agriculture, 5% pour l’industrie et 3% pour l’énergie.

La seconde loi française sur l’eau du 3 janvier 1992 insistait sur le "régime unifié" de l’eau. Mais la gestion de l’eau oblige à concilier des intérêts publics et privés, des échelles européenne, nationale et locale avec leur lot de tensions entre les différents échelons. Ces tensions contraignent à des négociations complexes qui ont pris le pas sur la préservation de la ressource. Dans ces conditions le prix de l’eau enregistre ces tensions et atteste de manière de plus en plus flagrante d’une insuffisance de la régulation publique.

Il est de surcroît quasiment impossible d’instaurer un "prix unique" de l’eau. Les communes ont la responsabilité des services de l’eau depuis 1828. Et à l’instar des impôts ou des transports publics locaux, les prix des services fluctuent d’une commune à l’autre. Il est vrai que le coût de la mobilisation de la ressource est différent, les distances variables (transport très cher, fuites dans le réseau...), son traitement plus ou moins complexe, l’évacuation et le traitement des eaux usées coûteux ou très coûteux. En outre certaines villes disposent aujourdhui d’équipements largement amortis, alors que d’autres doivent rembourser des emprunts à taux élevés. La qualité du service peut varier très sensiblement (contrôle, épuration plus ou moins poussée, dépannage plus ou moins rapide...) Et les redevances varient d’un bassin, ou même d’une région à l’autre à l’intérieur d’un même bassin. Enfin de nombreux maires redoutent que l’instauration d’un prix unique ne soit un encouragement à la mauvaise gestion. Les vertueux paieraient pour les imprévoyants d’hier ou de demain.

Enfin un prix unique ne peut s’accommoder de l’existence de types de gestion aussi différents que la régie, la concession, l’affermage, la régie intéressée... Dans ce cadre le prix unique pourrait paradoxalement rendre le systême encore plus opaque. Et comment l’instaurer quand existent près de 30 000 services des eaux qui ont chacun leur spécificité, leur histoire ? Sans compter qu’il entrainerait des transferts injustifiés de charges entre populations (villes riches vers villes pauvres) qui viendraient s’ajouter aux iniquités qui existent déjà. Contrairement aux apparences, ce n’est pas forcément là où l’eau est la plus disponible que la facture est la moins chère, ni parcequ’elle est chère que les services sont mal gérés.

En termes de financement ces coûts donnent lieu à divers postes de facturation. Celle de la distribution d’eau qui se décompose en "consommation", "prime fixe" (abonnement) et location de compteur. La facturation de la collecte et du traitement des eaux usées sous forme de redevances en nombre variable ensuite. Et enfin le versement de redevances à des organismes publics comprenant l’Agence de l’eau (dont une partie figure au poste "distribution d’eau"), et les Voies Navigables de France.

Au-delà de ces sommes incluses dans la facture il faut aussi avoir à l’esprit que les ménages paient en tant qu’usagers leur consommation d’eau privée. Qu’ils paient en tant que contribuables l’eau utilisée par la collectivité. Et en tant que consommateurs la part de l’eau incluse dans les coûts de fabrication des produits qu’ils consomment... Ceci lors même que les fabricants de ces produits paient très fréquemment l’eau qu’ils utilisent jusqu’à 50 fois moins cher que le consommateur privé !

La consommation moyenne en eau d’un ménage, évaluée à 120 m3, entraine une dépense annuelle légèrement supérieure à 330 euros. On peut considérer que c’est un coût élevé pour un bien offert gratuitement par la nature. Mais ce bien doit être pompé, transporté, traité, assaini après usage. Donc un prix inférieur à 0,26 centimes d’euro peut à tout prendre paraître raisonnable. Il suffit de le comparer au prix d’un litre de supercarburant : l’eau est 400 fois moins chère que l’essence. Il n’est pas scandaleux que chaque famille dépense chaque jour 1 euro pour sa consommation d’eau et ses besoins en assainissement. C’est en gros le prix d’une baguette et demi de pain. Reste que pour un ménage aux revenus modestes la dépense n’est pas négligeable.

Ce qui pose problème ce n’est pas seulement le montant de la facture, mais sa forte augmentation depuis une dizaine d’années, comme sa trop grande disparité d’une commune à l’autre. Pour 120 m3 d’eau une famille paie 213, 43 euros dans le Puy-de-Dôme, mais 396,36 euros en Seine-et-Marne. Le prix peut en fait varier du simple au double d’une commune à l’autre. Dans un premier temps la facture a surtout servi à payer les investissements nécessaires à la construction du réseau d’adduction. Puis, l’élaboration de normes de qualité rendant indispensable le traitement de l’eau brute, elle-même de plus en plus polluée, le prix de l’eau a également couvert le coût de ce traitement. Enfin, l’approche globale du cycle de l’eau ayant conduit à ne rejeter dans le milieu naturel que des eaux épurées, le coût de cette dépollution s’est retrouvé sur la facture, en même temps qu’augmentaient les coûts liés à la protection de la ressource et de l’environnement.

(A suivre)

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